28. Stoïque

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— Des victoires, seulement, ça devrait mieux passer.

Sous sa couverture, une tasse fumante à la main, Arthur ne répondit pas. Les reliefs de sa rupture de jeune trônaient encore sur la table basse. Il s'était forcé, pour tenir le coup, alors même que son corps tout entier menaçait de craquer.

Les images s'animèrent, contrôlées par le petit objet que tenait Max.

Le chevalier noir qui avait surgi quelques jours plus tôt. Un combat difficile mais remporté haut la main. Mouvement des épées, lourdes et meurtrières, la lame d'Excalibur qui étincelle.

— Il y a manifestement un circuit dans l'épée, pour lui donner cette apparence... et par moment, la manière dont le tranchant change de couleur... Je suppose qu'elle doit dégager de la chaleur...

L'ennemi est à terre, il pousse un râle, tente de se redresser. Arthur le transperce de sa lame et le cloue au sol dans un geste presque désinvolte.

Sur son canapé, le jeune homme tressaillit. Il n'avait pas le souvenir de cette mise à mort. L'homme était désarmé, impuissant. Il aurait dû l'épargner.

L'image s'emballe, puis ralentit. À nouveau le chevalier noir. Le combat s'engage. Il ne se déroule pas exactement de la même manière. Arthur tranche un tronc, qui s'effondre sur l'adversaire, et le renverse. Ce qui suit est une formalité. Le roi a triomphé du mal.

— Je n'ai pas fait ça, murmura Arthur.

— Non, effectivement. Ces images datent d'il y a quelques mois. Mais le chevalier noir est un classique, qui revient régulièrement dans la programmation. Moins cher qu'une des créatures plus spectaculaires, qu'ils retouchent à la post-prod.

— Je ne comprends pas.

— Tu es acteur dans une pièce de théâtre élaborée, Arthur. Et tu es le seul à l'ignorer. Toutes les personnes qui ont peuplé tes journées : Merlin l'enchanteur, ton écuyer Girflet, la vilaine Morgane, sont des comédiens. Ils jouent leur rôle le temps des scènes qui sont diffusées, puis rentrent chez eux. Tu restes tout seul, dans ta chambre, je suppose, dont tu ne peux pas sortir, entre deux scènes. Deux combats. C'est la raison pour laquelle tu n'as pas vu Guenièvre ou ton sénéchal, ces dernières semaines. Cela évite d'avoir à payer des gens pour jouer leur rôle. Et vu les lois sur les échanges avec les EBA... On a tendance à éviter les épouses.

— Nina ?

Sur le miroir magique, le roi breton affrontait un ours monstrueux. Depuis son divan, Arthur était certain de n'avoir jamais rencontré pareil fauve.

— Nina est comédienne, oui. Elle joue le rôle de Morgane dans ton arc, celui de Cassandre dans celui d'Hector et encore l'un ou l'autre rôle secondaire dans d'autres production. Une servante chez Siegfried, il me semble. Mais bon, le public n'adore pas retrouver le même visage dans des rôles différents, cela nuit à l'immersion.

Arthur face à Lancelot. Les deux hommes se toisent et s'invectivent. Merlin tente de s'interposer, est repoussé sans ménagement. La fureur déborde des regards, les corps se crispent, les mains serrent les épées.

— T'es-tu déjà demandé pourquoi tu allais tête nue au combat ? Une absurdité, quand on tient à la vie. Mais il faut que tu sois identifiable. Sans quoi les spectateurs pourraient se sentir floués. Car, Arthur... ces joutes factices rapportent beaucoup d'argent... Oups.

L'image se fige avant que Lancelot ait pu porter un coup de plus. Arthur est blessé, le sang dégouline sur son épaule.

— On va peut-être éviter d'aller jusqu'au bout.

Les Héros de RienOù les histoires vivent. Découvrez maintenant