27. Replié

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Sa course le mena dans un jardin. Dans sa fuite, il avait croisé de nombreux soldats qui avaient tenté de s'interposer, mais il les avait évités, pris à contrepied, bifurqué in extremis dans un nouveau corridor, emprunté un escalier, puis un autre, jusqu'à cette porte ouverte sur la verdure.

Ce n'était pas grand chose, un carré d'herbe planté de quelques arbres, des buissons, deux bancs. De tous les côtés, des murs. Une prison, un refuge. Malgré la nuit, la bruine qui tombait dans les lueurs fantastiques des fenêtres, il s'engagea sous les ramures, jusqu'à un tronc rugueux. Il y posa les mains et le front, puis le corps tout entier. L'écorce s'effrita sous ses doigts repliés, humide et sale, il s'en macula la chemise et les joues, pressa dans l'arbre comme s'il pouvait le renverser ou s'y fondre. La douleur lui crispa enfin les muscles, comme elle lui dévorait le crâne depuis de longues minutes, sans qu'il puisse en faire sens.

Cet homme mentait. Ils mentaient tous. Il était vivant, il le sentait en lui-même. Vivant, Arthur, roi de Bretagne. Où était Hector ? Hector aurait compris, aurait prouvé leur existence, déconstruit chacune des monstruosités qui franchissaient les lèvres de leurs ennemis.

Il glissa assis dans l'humus, fesses sur le sol glacé, écarta les pans de sa veste pour révéler sa tunique, puis soulever l'étoffe et exposer son flanc blessé. Du bout des doigts, il effleura la marque de sa chute, tressaillit. Réelle.

Ils se trompaient. Les rêves étaient fantasmagoriques, chargés de mystère, brumeux, imprécis. Ses souvenirs se déroulaient en épisodes d'une précision confondante. Les derniers jours l'étaient beaucoup moins. S'il y avait un rêve, c'était celui qu'il vivait à l'instant. Un cauchemar atroce. Une ville improbable. Des chariots sans chevaux, des êtres sans morale. Il pouvait s'accrocher à ce qu'il savait de lui-même, sans doute possible, et rejeter le reste, l'absurdité des événements depuis son enlèvement nocturne.

Hector avait paru réel, lui aussi.

Il ferma les yeux, joignit les mains et pria. Le silence lui répondit, le froid et les ténèbres, une pulsation désagréable dans ses tempes, le chuintement de son coeur emballé.

Il devait se reprendre. Ses ennemis se délectaient sûrement de cette panique risible. Il avait fui comme un lièvre sous leurs assauts, alors même qu'ils cherchaient à le déstabiliser.

Joue leur jeu, Arthur. Laisse-les te raconter n'importe quoi. Prétends que tu les crois. Attends l'ouverture. Ils finiront bien par baisser leur garde.

Était-ce la voix d'Hector ou celle de Merlin ?

L'un comme l'autre lui auraient recommandé de ne pas perdre espoir et de combattre. Il en était capable. Il prévaudrait. Il ne pouvait pas continuer à se dissimuler derrière plus sage ou plus fort pour mener sa barque dans cet océan chahuté.

Il s'essuya le visage des paumes, chassant l'eau du ciel et celle qui s'était échappée de ses yeux, puis prit une profonde inspiration. Il remarqua alors seulement qu'il n'était pas seul dans le jardin. Max s'était assis à quelques mètres, sur l'un des bancs, tranquille dans son costume blanc. Il tenait une ombrelle au-dessus de sa tête, sur laquelle l'averse crépitait.

Ils se dévisagèrent un moment, sans rien dire l'un et l'autre. Arthur ne ressentait aucune honte, juste un embryon de fureur, qui ne demandait qu'à grandir et tout dévaster.

— Ça va mieux ? demanda finalement le sorcier.

La réponse ne lui importait guère, Arthur le voyait bien. Il l'avait suivi pour finir le travail, lui porter le coup mortel.

— Que suis-je ? demanda le jeune roi, car il l'était, roi, il le serait à tout jamais, quoi qu'en dise cette ordure.

— L'appellation en vogue est Entité Biologique Artificielle. EBA, dans le langage courant. On aurait pu conserver le mot Intelligence, mais comme ce n'était pas votre fort, on ne l'a pas fait. On aurait dit « clone » autrefois.

Les Héros de RienOù les histoires vivent. Découvrez maintenant