23. Déçu

30 5 30
                                    

Si Leo ne pouvait suivre son rythme, elle connaissait le chemin : ce qu'ils perdirent en célérité, ils le gagnèrent en précision. Les ténèbres régnaient toujours dans l'église, et la porte qu'Hector avait forcée s'ouvrit dès qu'ils la poussèrent. Le prince troyen, lui, n'avait pas bougé.

Le soulagement coupa les jambes d'Arthur qui tomba à genoux. Ou était-ce du désarroi ? Il ne savait pas ce qu'il avait espéré, ça ou autre chose. Qu'il soit éveillé, contrarié, déçu d'avoir été abandonné, heureux de le voir. Rien de tout ça. Il respirait toujours. Leo s'était accroupie elle aussi, et le manipulait, sourcils froncés. Elle posa deux doigts contre sa gorge, l'oreille contre ses lèvres, lui souleva les paupières puis soupesa un bras qui retomba mollement sur le sol. Arthur tressaillit à au son étouffé de la chair contre la pierre. Leo lui pinça le bout d'un doigt, à la base de l'ongle, frappa des mains devant son visage.

— Qu'est-ce qui lui arrive ? demanda Arthur, d'une voix éteinte.

Leo s'assit sur ses talons et lâcha un bref soupir.

— Je n'en suis pas certaine.

Elle le dévisagea, l'hésitation inscrite en lettres de feu sur ses traits ombrés.

— Il faut que tu comprennes que Nina vous a emmenés... sans en demander la permission. Elle n'en avait pas le droit. Elle a effacé ses traces, du mieux qu'elle le pouvait, je suppose, mais ce n'est pas vraiment une experte de ce genre de trucs. Pas du tout. Alors je pense que... quelqu'un s'est rendu compte que votre disparition n'était pas naturelle... et qu'il a...

Elle claqua des doigts, un son bref, qui se répercuta autour d'eux.

— ... neutralisé Hector.

— Pourquoi pas moi ?

— Ah. Parce qu'il ne dispose pas de ce pouvoir sur toi. Tu es... différent.

— Différent ?

— Ouais.

— Ce sont ses dieux ?

La fée – l'humaine – lâcha un rire désabusé.

— Ils aiment se voir comme tels, je suppose. Mais ce ne sont pas des dieux. Juste de sombres connards.

— Des...

— Des brigands maléfiques, voilà. Des abrutis. Des monstres. Des forces des ténèbres, Arthur.

— Et Hector était à leur merci ?

— Oui. Et toi aussi. En cela, Nina n'a pas menti. Elle vous a arrachés au pire.

Leo se releva, posa les mains sur ses hanches, et jeta un regard circulaire autour d'eux, sur les sièges, l'autel, les vitraux grisés.

— Est-ce que c'était une bonne idée, sûrement pas, merde. Enfin, je ne devrais pas dire ça. Tu es vivant, je suppose que ce n'est pas rien. Pour toi, au moins.

Il ne la suivait pas mais il sentait qu'il devait dire quelque chose.

— Merci.

Elle secoua la tête, la mine désabusée.

— C'est à elle que tu dois dire merci. Et franchement... Je ne sais pas si tu vas avoir envie de le lui dire très longtemps. Parfois, être mort, c'est beaucoup moins compliqué.

Un grincement retentit puis des pas rapides résonnèrent sur la pierre grise. Ils se tournèrent de concert vers la nouvelle venue. Nina surgit entre les colonnes, les rejoignit et poussa un cri de surprise avant de s'agenouiller près d'Hector.

— Oh mon dieu...

Dieu, songea Arthur, surpris. Est-il tout de même là, quelque part ?

— Leo, il se passe quoi ?

— Il est dans le coma. Je pense qu'ils ont implémenté le kill switch, comme on leur avait demandé.

— Mais il n'est pas mort.

Nina posa une main ouverte sur sa poitrine qui se soulevait doucement.

— Sans doute parce qu'ils l'ont voulu réversible ? Je n'en sais rien. En tout cas, s'il ne s'abreuve pas, s'il ne s'alimente pas, il ne tiendra pas longtemps. Écoute, Nina... Je sais que tu avais imaginé les embarquer dans ta bagnole et les larguer dans un quartier de la périphérie...

— Je n'avais pas imaginé grand-chose.

— Non, en fait, je me doute, parce que c'est un plan débile. Mais maintenant, la voie est toute tracée : soit on le laisse ici et on s'en lave les mains, en espérant qu'ils ne remontent jamais jusqu'à toi, soit on va voir Max et Alex.

— Max...

La manière dont la jeune femme avait prononcé le nom ne laissait aucun mystère sur son opinion concernant le personnage. La peur débordait de ses lèvres, mâtinée de dégoût.

– Il n'y a pas trente-six solutions.

Leo demeurait neutre, illisible, pragmatique sans doute. Son amie secoua la tête, poings serrés.

— Max ? On ne peut pas savoir comment il réagira... Il pourrait... Il pourrait décider... de ne rien faire. Ou pire. Il pourrait faire pire.

Nina tendit la main vers le visage endormi d'Hector et lui frôla la joue. Arthur ressentit une brusque inquiétude, qui se mua en étrange jalousie lorsqu'il réalisa qu'elle ne voulait que l'effleurer. La tendresse dans ses gestes était à la fois réconfortante et douloureuse. Il se mordit les lèvres.

— Est-ce que ce serait vraiment pire ? Tu connais un médecin ? Quelqu'un qui va pouvoir nourrir un gars dans le coma ? Sans poser de questions ? Et trouver une solution pour le réveiller ?

Nina releva des yeux implorants vers sa comparse, voilés d'une pellicule humide. Leo secoua la tête.

— Je suis biologiste, pas médecin, bordel, Nina. Tu ne comprends jamais rien.

Arthur s'était assis sur la pierre et gardait les poings serrés dans son giron. Comme il l'avait craint, elles ne pouvaient rien faire pour Hector.

— Et Arthur ? demanda Nina, d'une voix cassée.

— Regarde-le, ton Arthur. Il ne sait pas où il en est.

— Qui est Max ? intervint le jeune homme en se redressant brusquement.

En face de lui, Nina grimaça.

— Quelqu'un de dangereux.

Leo secoua la tête, bras croisés, les surplombant dans la pénombre.

— Quelqu'un qui pourra aider Hector. S'il le veut bien.

— Un sorcier ?

— Sûrement le plus grand sorcier de ce monde.

— Allons le voir.

Arthur fit mine de se lever, Nina s'interposa en le bloquant d'une main vive.

— Arthur, tu ne comprends pas...

Il se dégagea.

— Hector va très mal, dit-il d'une voix blanche. Si je peux l'aider à aller mieux, je veux le faire. Je ne comprends rien à vos conversations, vous palabrez comme si j'étais invisible. Mais je ne suis pas... un serf que l'on néglige. Si Dame Dackitt...

— Dame Dackitt, on aura tout entendu. C'est Leo, mon nom.

— Leo... Si Leo pense que ce Max peut sauver Hector, je veux prendre ce risque.

— Écoute le héros, Nin' ! Il est prêt au sacrifice ! C'est dans ses gènes !

La fille qui ressemblait à Morgane écarta des mains agacées devant son visage.

— Arrête de dire n'importe quoi !

Leo gloussa, d'un rire amer.

— Max est le seul qui peut nous aider.

— C'est un pari risqué ! Je ne les ai pas sortis de là pour le livrer à un boucher !

Leo esquissa un sourire ironique.

— Quelle métamorphose. Il faudra que tu m'expliques, un jour. Pourquoi eux. D'entre tous.

Nina nicha son visage entre ses mains et ne répondit rien. 

Les Héros de RienOù les histoires vivent. Découvrez maintenant