40. Nina

25 6 50
                                    

Nina ne songea pas une seconde à tenter de fuir, elle fila vers les sous-sols et les chambres, vers l'endroit où, docilement, elle avait mené Arthur à sa perte. Les couloirs habituellement déserts bruissaient de murmures, ce qui aurait dû l'inciter à renoncer, mais elle ne contrôlait plus ses pas, dévorée par l'angoisse et la certitude que, quoi qu'elle fasse, ils avaient échoué.

Miles savait tout. Nina ne pourrait jamais sortir, il avait sans aucun doute révoqué ses accès, bloqué les issues, prévenu chaque membre de la sécurité de se tenir prêt à l'intercepter. Les larmes lui vinrent, brouillèrent son regard, mais il était trop tard pour reculer, revenir en arrière, quelques jours plus tôt, abandonner des héros ignorants à leur destin funeste, retrouver sa petite vie sinistre et merveilleuse, bâtie sur leur sang.

La jeune femme se figea juste avant le dernier coude. Des échanges murmurés lui parvinrent, le crépitement d'un talkie walkie, un vrombissement sourd, indéfinissable. Pas un cri, ni coup de feu, aucun fracas. Si Arthur avait résisté, c'était terminé.

Il flottait une odeur étrange dans l'air, les vestiges d'une légère brume, qui la fit tousser et lui piqua les yeux. Un gaz se dissipait progressivement dans l'atmosphère confinée du labyrinthe. Ils n'avaient pas pris de risques et l'avaient neutralisé à distance, en traître, d'un brouillard empoisonné. Le roi factice n'avait même pas eu droit à son coup d'éclat. Le désarroi mais aussi la colère poussèrent Nina à franchir le dernier tournant.

Deux hommes de la maintenance, en salopette grise, réglaient une machine bourdonnante qui crachait de la vapeur blanche. Protégé par son masque à gaz, un médecin s'engagea dans l'escalier, suivi par une infirmière tout aussi équipée. Quatre gardes de sécurité se tenaient à l'écart et discutaient tranquillement, appuyés au mur.

Arthur se trouvait-il encore dans la chambre, l'avaient-ils déjà emmené ? Était-il vivant, mort ? Impossible de le savoir.

Nina ferma les yeux pour refouler ses larmes, refouler la scène, et fit mécaniquement un pas en arrière. Une main se posa sur son épaule, coupant court à sa dérobade. Elle en ressentit une forme étrange de soulagement.

— Nina, tu tombes bien, je te cherchais, annonça la voix sèche de Gavin Feldcorn, le chef de plateau. Le patron veut te voir.

Elle acquiesça sans le regarder. Dans son ombre se trouvaient deux gardes de sécurité, armés pour la guerre. L'un d'entre eux dépassa Gavin et poussa Nina contre le mur. L'esprit sonné, elle se laissa faire tandis qu'il la fouillait sans douceur.

— Elle est clean, grogna-t-il.

Gavin hocha la tête et la saisit par le bras.

— Je te suggère de ne pas faire de problèmes, lui souffla-t-il à l'oreille.

Elle n'y avait même pas songé. Il l'entraîna vers le fond du complexe, dans des endroits qu'elle n'avait jamais arpentés, qui menaient dieu sait où, et dont elle n'espérait pas revenir.


De l'avis général, Miles n'aurait pas dépareillé parmi ses combattants. Grand, beau, les épaules larges et le sourire facile, il aurait récolté un nombre conséquent de supporters s'il avait osé revêtir une armure et brandir une épée. Certains disaient qu'il s'entraînait en secret, dans le but de massacrer lui-même ses champions un jour prochain, peut-être à des fins électorales.

De son côté, Nina pensait que c'était un pleutre, qu'il se donnait des airs mais que jamais il n'oserait affronter une de ses machines à tuer. Ou alors en pipant la joute à son avantage.

À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire.

Debout à la fenêtre de son bureau haut perché, il ressemblait au méchant businessman d'innombrables films populaires, sanglé dans un costume parfait, détendu, prêt à gérer un énième souci trivial, dont il refilerait les pots cassés à sa vaste équipe d'assistants dévoués. Gavin guida Nina jusqu'au fauteuil face à la table de travail, puis se posta en sentinelle, près de la porte.

Les Héros de RienOù les histoires vivent. Découvrez maintenant