22. Guidé

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La voiture, comme on appelait le chariot bleu sans chevaux, glissait dans la ville. Les vitres révélaient cette fois la réalité du dehors : d'autres véhicules, les rues et les passants, la pluie drue qui continuait de mouiller les toits et les rues, et métamorphosait les sources de lumière. Contrecoup des dernières heures, Arthur se sentit dériver, hypnotisé par ces visions déformées. À l'avant, Leo et Nina devisaient à mi-voix. La paroi qui séparait les deux parties de l'habitacle s'était rétractée quand il était monté. Et comme tant Leo que Nina s'étaient sanglées en s'asseyant, il les avait imitées. Il devinait qu'en cas de choc violent, la lanière l'empêcherait d'être projeté contre les fauteuils devant lui.

Nina essaya de l'inciter à manger mais malgré sa fatigue, il se sentait incapable d'avaler quoi que ce soit. Il prenait la mesure de ce qu'il avait fait : abandonné un homme inconscient en territoire inconnu, à la merci de prédateurs ou de malandrins aux intentions noires. L'idée que quelque chose ait pu arriver au Troyen en son absence l'emplissait d'une angoisse suffocante. Dans le même temps, il lui semblait ne pas avoir eu le choix. Il regrettait de n'avoir pas laissé de message, juste pour l'avertir de son initiative : peut-être dormait-on autrement dans son monde, plus profondément, peut-être s'était-il mépris sur son immobilité, et Hector s'était-il réveillé seul dans cette église étrangère. Qu'avait-il pensé, dans ce cas ?

Que je suis un pleutre, songea Arthur.

Mais il sentait aussi qu'Hector ne se serait pas réveillé.

Il ne pouvait s'empêcher de penser qu'il s'agissait là d'une punition divine pour avoir profané un lieu sacré par leurs actes contre-nature. Pourtant Hector ne vénérait pas Dieu, Arthur était le seul fautif, c'est lui qui aurait dû être frappé de malédiction, pas le Troyen. À moins que le Seigneur ait estimé qu'il fallait supprimer la source des errements du jeune roi.

Il pria à mi-voix. Promit qu'il reviendrait sur le droit chemin si Hector reprenait ses esprits.

Était-ce du chantage ?

Non. Un souhait désespéré.

— C'est la bonne ?

Une main lui secoua le genou.

— Hé Arthur, t'endors pas ! Est-ce que c'est la bonne église ?

Leo le regardait, sourcils froncés. Il cligna des yeux, peinant à reprendre pied dans l'instant. Elle lui désigna l'extérieur d'un doigt mais l'édifice qui se trouvait en bordure de route ne ressemblait en rien au sanctuaire qui avait accueilli leurs ébats : plus petit, brillamment éclairé, d'architecture trop lisse et luisante. Mortifié, il secoua la tête.

— Tant mieux parce qu'il y a l'air d'y avoir du monde, murmura-t-elle en se détournant. Prends la deuxième à gauche. Ils ont changé le sens de circulation dans la rue de la Loi, autant éviter.

La voiture s'était remise en mouvement et cheminait en silence. Arthur regarda vers l'avant, ne distinguant pas grand-chose du paysage. Juste les épaules des deux femmes, la route devant eux, l'arrière d'un chariot noir de plus grande taille. Nina semblait guider le véhicule à l'aide d'une roue qu'elle manoeuvrait d'une seule main. Arthur prit une profonde inspiration.

— Comment s'appelle cette ville ?

Leo lui jeta un coup d'oeil, un embryon de sourire.

— Son nom officiel est Europe-Ouest. Nous sommes dans le district belge, et à Bruxelles, plus précisément. Certains l'appellent Grosse Banane Bleue. Je trouve que ça lui va plutôt bien. Mais ce n'est pas vraiment une ville. Ou pas une ville comme tu l'entends. Elle n'a pas vraiment de limites, tu vois. Elle court sur des dizaines et des dizaines de kilomètres... de lieues, tu dirais. D'ici à la mer et plus loin encore. Dans toutes les directions. Tu pourrais marcher une semaine, droit devant, que tu n'en atteindrais pas le bout.

Les Héros de RienOù les histoires vivent. Découvrez maintenant