69. Living in Oblivion

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À partir des couloirs de production, retrouver Lancelot nécessitait de traverser un plateau de tournage aux allures de clairière enchantée. Hector n'en mesura l'impact sur Arthur qu'au moment où ils y pénétrèrent.

En pleine nuit, les lieux étaient plongés dans la pénombre, le ciel était noir, les murs ne reflétaient aucun décor virtuel propre à tromper les sens. Mais l'herbe chatouillait les pieds nus, la source glougloutait et les arbres diffusaient leur senteur boisée. Le roi breton s'immobilisa un moment pour s'imprégner de cette poche de nature surgie de nulle part.

Le caractère artificiel de ce morceau de forêt reproduit en intérieur ne pouvait que sauter aux yeux, mais Arthur croyait en la magie, et Hector devinait qu'elle lui permettait de réconcilier la plupart de ses découvertes avec sa vision du monde. Le Diable capable d'illusions puissantes ou de transporter des fragments de terre dans son royaume perverti. Le déciller viendrait plus tard. Sans doute serait-il vexé, ou furieux, qu'on lui ait caché la réalité, mais il comprendrait. Hector espérait toujours qu'Alex pourrait lui remettre les idées en place d'une potion bien choisie.

Yann les précéda dans la broussaille, vers un sentier qu'il avait manifestement déjà emprunté. À la raideur de ses épaules, au rythme de son souffle, Hector devina que l'acteur n'en menait pas large. Difficile d'imaginer qu'il ne retraçait pas les dernières semaines dans son esprit, examinant chaque élément de son quotidien, chaque bribe de souvenir, chaque acte posé.

Nina glissa soudain sa main dans le creux de son coude, et Hector sursauta.

— Lancelot ne m'aime pas beaucoup, remarqua-t-elle.

— Avec de bonnes raisons, répartit Arthur, le ton cinglant.

Elle rit avec amertume.

— C'est sûr. Je le mérite. Mais j'espère que cela ne va pas nous causer d'ennuis. Ce n'est pas le moment.

Elle leva les yeux vers Hector.

— Mais puisqu'il t'a envoyé sauver notre roi, tu pourras lui expliquer.

Le Troyen grimaça. Elle lui rappelait le mensonge qu'il avait servi à Arthur pour l'amadouer, et dont Lancelot n'aurait aucune notion. Il avait vu le chevalier combattre pour Légendes. C'était un homme grand, séduisant, sûr de lui, convaincu de sa supériorité, d'une bravoure absurde. Le contenir serait compliqué, mais Yann en était capable. Hector espérait juste que l'acteur ne profiterait pas de ce nouvel appui pour leur imposer d'aller sauver les autres. Perceval pourrait rentrer dans le rang face à Arthur, mais les trois derniers n'avaient aucun lien avec leurs mythes, et pour autant qu'il le sache, ne connaissaient Yann et Nina sous aucune forme. Il aurait fallu dénicher d'autres membres de la distribution pour les convaincre. La grande femme qui jouait les walkyries, ou le barbu qui interprétait les vieux pères, sages et mentors. Son rêve initial de mener une petite troupe reconnaissante vers la lumière lui arracha un soupir. Une naïveté digne des plus grands héros, pour qui rien, jamais, n'est impossible.

Derrière Yann, ils s'étaient engagé dans un couloir au plafond plus bas, bordé de buissons, le passage qui menait le combattant au duel et qu'ils prenaient à revers. Le silence trahissait l'absence de faune, insectes nocturnes et autres petites créatures, oiseaux au cri hanté, craquement des troncs. Mi-curieux, mi-craintif, Hector frôla les feuilles de la paume. Réelles ? Il n'aurait pu le dire. Songer qu'il s'était laissé prendre à ce simulacre lui paraissait désormais inouï.

Une chambre, un chemin de ronde, une cour, le sable. Rien d'autre. Une enfilade de quelques pièces, deux interlocuteurs, quelques serviteurs anonymes. Logé, nourri, blanchi, dans une cage aux barreaux dissimulés derrière de nombreuses illusions.

Les Héros de RienOù les histoires vivent. Découvrez maintenant