Hector sommeillait depuis plusieurs heures dans sa chambre – une cellule, désormais, malgré son confort certain – lorsque la porte s'ouvrit. Il lui fallut une seconde pour s'extirper de ses songes, dans lesquels Troie et ses tourments s'imposaient malgré tout, et reconnaître Athéna, ou plutôt Alex, dans sa toge blanche aux poches alourdies.
— Allez, on bouge, déclara-t-elle, puis elle s'en fut sans rien ajouter.
Le prince troyen avait eu largement le temps de tourner et retourner la situation dans sa tête et n'était pas parvenu à dégager de solution. Prisonnier d'un monde dont il commençait seulement à assimiler les règles, isolé, pion dans un conflit en cours depuis des années et dont il était à la fois l'enjeu et la victime, il oscillait entre de profonds sentiments de révolte, où sa mort lui paraissait souhaitable si elle pouvait laver son honneur, ou une lassitude pensive, lorsqu'il comprenait que sa position était, à peu de choses près, celle de bien des soldats. Obéir en dépit de ses intérêts personnels, malgré un frère, une femme, un fils dans les geôles de l'ennemi, se plier à un idéal noble ou les envies égoïstes d'un autre, sacrifier le nécessaire, faire son travail. D'entre tous, il aurait dû comprendre qu'il s'agissait là de la manière logique d'agir, qu'il ne pouvait pas s'offusquer. Il avait été général dans ses rêves, mais il ne l'était pas dans la réalité.
La déesse avait surgi et il devait obtempérer. Il suivit donc Alex, plus curieux qu'inquiet. Dans la pièce voisine, ses gardes mal embouchés formaient une haie d'honneur, et aucun ne broncha. Ils sortirent sans leur adresser un mot.
— Où allons-nous ? demanda-t-il.
— Torcher Sparte, répondit-elle à mi-voix.
Voilà qui était imprévu.
— Max a donné son accord ?
Elle lui décocha un regard qui signifiait que c'était une mauvaise question et il haussa les épaules. Scission dans l'équipe. Il avait l'habitude des familles divines qui se déchiraient. En général, seuls les mortels en pâtissaient tandis que les Olympiens se réconciliaient autour d'un festin.
Alors qu'ils remontaient les couloirs du complexe, personne ne s'interposa, bien que leur passage attire bien des regards, bien des murmures. Alex disposait manifestement des mêmes pouvoirs que son frère, peut-être davantage. S'il avait été des leurs, Hector aurait eu du mal à placer sa loyauté. Alex semblait plus intelligente mais moins morale. Max était fragile derrière ses convictions.
Alex finit par atteindre le service médical, poussa la porte de la salle où elle l'avait déjà examiné plus d'une fois, lui indiqua le lit couvert de papier blanc. Interdit, Hector s'assit sagement et observa la guérisseuse tandis qu'elle préparait ses instruments barbares. Il avait fait l'expérience des aiguilles qui percent la peau, des bandes qui compressent le bras, du cercle de métal froid posé sur sa poitrine. Des broutilles au regard des blessures que l'on s'infligeait sur le sable.
— Donne ton bras.
Il secoua la tête.
— Vous avez parlé de Sparte.
— Oui.
La porte du fond s'ouvrit sur une petite silhouette. Comme il le lui avait suggéré, Leo avait abandonné ses cheveux verts, qu'elle avait désormais noirs et bouclés, ramenés en un chignon d'un volume spectaculaire. Elle portait des vêtements aux teintes sombres, pantalon et veste sur une chemise blanche, un style sobre qui ne lui allait pas trop bien. Hector avait compris que, dans ce monde, les hommes et les femmes pouvaient se vêtir à l'identique sans que personne ne s'en offusque, aussi se garda-t-il de faire le moindre commentaire. Leo lui adressa un sourire dur, il se contenta d'un petit signe du menton. La voir le rassura, une émotion furtive, curieuse, qu'il accueillit avec joie.
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Les Héros de Rien
FantasySouverain promis à la légende, Arthur veille sur le royaume de Bretagne en l'absence de ses chevaliers, partis en quête du divin Graal. Épaulé par Merlin, il affronte monstres et brigands au cours d'escarmouches dont il ressort immanquablement victo...