3. Un roi qui obéit à plus sage que lui

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— Les femmes appellent parfois leur amant « mon prince », il ne faut rien y voir d'autre.

Relevé sur son oreiller, Arthur tressaillit. Les doigts glacés de Merlin étalaient un onguent blanc et gras sur son hématome, une opération nécessaire mais douloureuse. Le jeune roi serrait les dents, conscient qu'à la moindre exclamation, le mage se moquerait.

— Il était vêtu de manière étrange. Sa peau était sombre. Je ne l'avais jamais vu.

Merlin haussa un sourcil broussailleux.

— Arthur, combien penses-tu qu'il y ait de personnes qui vivent en ville et au château, au juste ?

Arthur n'en avait aucune idée et il haussa les épaules. Le baldaquin de son lit formait un ciel de toile cramoisie au dessus de sa tête. Parfois, la nuit, il rêvait que le velours pesant tombait sur lui et l'étouffait.

— Bien trop pour que tu les rencontres tous, poursuivit son ancien professeur. Et certains viennent de loin, des pays du Sud distant. Tant qu'ils sont loyaux, dignes de confiance, pourquoi les juger à des éléments aussi superficiels que la couleur de leur peau ?

— Je pensais que le sombre était associé au mal, remarqua Arthur, penaud.

Merlin pinça les lèvres.

— Au sens figuré, pas au sens propre.

— Oh.

Le roi alité acquiesça. Les paroles du vieux sage sonnaient juste, mais semblaient en désaccord avec ce qu'il aurait pu dire autrefois. Les principes qui guidaient ses actions lui avaient toujours semblé extrêmement simples, sans subtilités excessives. Blanc, noir, bon, mauvais, ami, ennemi.

— J'aimerais le revoir, cet Hector. Il m'a demandé sa bénédiction, et je n'ai pas eu le temps de la lui donner.

Merlin recula et referma le couvercle de son pot, avant de le déposer sur la table de chevet. Il hocha la tête. Sur sa robe, mille cristaux brodés jouaient avec la lumière des bougies disposées ça et là dans la chambre.

— Je verrai si nous pouvons le retrouver.

— Il était grand et fort, vêtu d'une armure assez fruste... Peut-être un soldat ? Trop âgé pour une nouvelle recrue...

— Je verrai, répéta Merlin, avec un sourire.

Arthur n'insista pas.

— Kay saura sûrement, murmura le jeune roi.

Le sénéchal jouissait d'une mémoire stupéfiante, mais il était indisposé. Une indigestion, selon Girflet. C'était un mensonge : Arthur connaissait bien son demi-frère, qui cuvait certainement le vin de la veille au fond de son lit.

— Tu devrais te reposer, à présent.

— Vous avez promis de me dire ce qui s'est passé, si je restais tranquille. Je suis resté tranquille. Je n'ai pas gémi une seule fois !

Le magicien rit dans sa barbe face à cette fanfaronnade, écho de leurs rapports d'autrefois.

— Il n'y a pas grand-chose à dire. Morgane a déchaîné le feu des enfers, en usant de sortilèges noirs. Seule la magie peut lutter contre un pouvoir aussi sombre. Tu es le protecteur du royaume, mais moi aussi, Arthur. J'ai rempli mon rôle. La quiétude est revenue. Morgane est retournée dans son antre, pour panser ses plaies et ourdir un nouveau complot.

Arthur opina du chef, songeur.

— J'ai entendu les anges, dans le ciel, qui luttaient. Un fracas dans les nuages, au sein de cette lumière aveuglante. J'ai senti... mon coeur me souffler de les rejoindre, de combattre à leurs côtés, auprès des armées du Seigneur...

Les Héros de RienOù les histoires vivent. Découvrez maintenant