François avait l'habitude de prendre ses livres chez un bouquiniste du coin, Gérard.
L'enseigne s'appelait "Ivre de Livres" !
Il s'était étrangement lié d'amitié pour ce vieux monsieur bourru qui partageait avec lui sa passion dévorante.
Il y avait dans sa boutique une odeur de poussière, de vieux papiers, de vin rouge aussi. Le gérant avait plus l'air d'un antiquaire. Il taquinait la bouteille depuis fort longtemps.
En témoignaient son haleine mais aussi le bazar farfelu du lieu. C'était le chaos.Un peu comme chez François, c'était un fatras de pages et de romans de tous âges et de toutes provenances où une chatte ne retrouverait pas ses petits !
Mêlée à ça quelques toiles d'araignées impressionnantes et inaccessibles qui donnaient un air de vieux château fort abandonné à ce lieu hors du temps.Derrière son bureau qui lui servait de comptoir et d'accueil, il recevait les quelques énergumènes qui venaient se perdre dans cet endroit, par amour des lettres ou juste pour un renseignement.
L'atmosphère y était lourde. Un écrasant silence y régnait en maître. On y était souvent mal à l'aise et l'accueil froid du tôlier finissait de vous glacer le sang et vous faisait vite tourner les talons.
Malgré cela, François s'y sentait comme chez lui. La forte odeur du vin ne le gênait pas et au contraire lui rappelait son père.
Il connaissait cette boutique comme sa poche. Il savait où chercher tel livre ou tel auteur. Il se voyait même y travailler tellement il s'y sentait bien ...
Mais le gérant avait déjà un employé à mi-temps, qui rangeait comme il pouvait les arrivages et tentait de mettre un peu d'ordre dans ce champ de bataille.
Un jour où François venait le voir pour fouiner encore et dénicher une autre perle rare (qui lui ferait oublier son quotidien de misère), comme un camé vient chercher sa dose, le maître des lieux lui lança d'un ton péremptoire :
— Dis donc François ! Ça te dirait de venir m'aider quelques jours à ranger ? J'ai besoin de main d'œuvre ! L'autre d'avant je l'ai ... éjecté ! Il travaillait comme un souillon ! J'en tirais rien de bon. Il est aux oubliettes maintenant ! Hé hé !
François était estomaqué et enchanté par cette annonce balancée comme ça, à brûle-
-pourpoint. Il pensait ne jamais avoir ce poste puisqu'il y avait déjà un "employé", et d'autres avant lui ...Il tiqua juste un peu sur le mot "oubliettes" qui est l'ancien nom du cachot dans un château, au sous-sol ...
Mais François se dit que Gérard ne devait pas le savoir et l'employait seulement par ce qu'il fallait "oublier" cet ancien employé !
François serait le plus heureux des hommes si son lieu de travail était tapissé de livres comme chez lui, il serait au paradis, "Ivre de livres" comme le dit si bien l'enseigne !!
C'était sa chance !
Il allait lui répondre quand le bouquiniste lui jeta un papier sous le nez.
— Te voilà bienvenu chez toi jeune homme ! Signe !
C'était un contrat d'embauche à mi-temps, fait à la main sur un bout de feuille déchirée et tachée d'une auréole de vin rouge. On aurait dit du sang sur un pacte diabolique ...
François ne put rien dire. Il griffona son nom d'une main tremblante sur le document et lui marmonna un "merci Monsieur !" qu'il n'entendit pas.
— Allez ! Tu commences lundi ! Sois devant la boutique à 10h pétantes ! Et pas de retard ! T'as tout le boulot de celui d'avant à finir !
C'était abrupt. Mais comme ils se connaissaient, à leur manière, cela se passait de commentaires.
Le rendez-vous était pris. François commençait à gamberger.
Stressé par nature de tout et de rien, suspicieux du moindre courant d'air, angoissé voire paranoïaque compulsif, François se rongeait les sangs suite à cette proposition. Cela devrait être une offre inespérée pour lui, l'opportunité qu'il n'aurait jamais pensé avoir.
Mais il était très mal à l'aise. Et la petite voix s'affolait dans sa tête. Elle tournait en boucle comme un Démon Renard en cage comme dans Naruto. Elle lui envoyait mille piques en même temps :
Pourquoi il m'a offert ce travail ? Pourquoi il s'est comporté comme ça, de façon si dure, froide et dominatrice envers moi !? Qu'attend-t-il vraiment de moi !? Vais-je être à la hauteur ? Va-t-il me virer moi aussi si je ne lui conviens pas et me mettre, moi aussi, aux "oubliettes" !?
Il fut harcelé par ces questions tout le reste de la journée et toute la nuit. Il ne put rien lire pendant ce temps.
Il était pourtant libre. Il avait été viré de son dernier boulot pour "incompatibilité d'humeur" et "insolence". Juste parce qu'il n'avait pas accepté de faire une tâche qui, selon lui, ne lui incombait pas !
Bref on l'avait mis dehors encore une fois.
Et cette offre du bouquiniste tombait vraiment à pic pour lui finalement.
Malgré sa petite voix qui jacassait comme une vieille commère en sourdine pour l'en dissuader ou pour lui faire au moins peser le pour et le contre, il allait, sans réfléchir, accepter le poste.
Il était décidé. Il se disait :
Je vais le faire ! Il est parfait pour moi ce travail ! C'est l'offre de ma vie !
Et il ne pensait pas si bien dire, car il allait presque, en effet, y laisser sa vie...
VOUS LISEZ
MONTEZ ! [Terminé]
Misterio / SuspensoFrançois est un lecteur insatiable ! Par curiosité Il va s'intéresser d'un peu trop près à la vie d'un célèbre auteur de best seller à la vie trouble. Sa rencontre lui fera pousser des ailes et éclore son talent pour l'écriture, mais ce ne sera pas...