★ UNE BONNE RAISON D'Y CROIRE

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NDA ; bonne lecture!

CHAPITRE 08
Une bonne raison d'y croire.

S'il y a bien une constante dans la boucle temporelle que Lu Guang subit actuellement qui se répète chaque jour, c'est la sidération de son maître Liu Siwen lorsqu'il lui évoque le fait qu'il va, ou venait, de rencontrer son âme sœur. Quelle que soit la manière dont le jeune homme amène l'information, l'expression stupéfaite du septuagénaire ne bouge pas d'un pouce, comme s'il ne parvenait pas à assimiler Lu Guang et âme sœur dans la même phrase.

« Quoi ? Tu vas prendre un café avec ton âme sœur ? »

Le vieil homme attire sur eux l'attention de ses quelques élèves qui viennent sur l'heure du déjeuner pour s'entraîner, et Lu Guang a envie de se ratatiner sur place. Il parle de Cheng Xiaoshi à Liu Siwen à chaque fois que la journée se répète, et regrette quelque peu de devoir toujours recommencer son récit chaque jour qui passe ― il aimerait bien avoir le ressenti de son maître sur l'évolution de la situation, et non toujours à chaud, à partir de ce que Lu Guang lui récapitule.

En tout cas, cette fois-là n'a pas fait exception à la règle : après avoir discuté avec Cheng Xiaoshi et convenu d'un premier véritable rendez-vous, Lu Guang est passé voir son maître, même s'il ne devrait pas, puisqu'il perd trop de temps à parler avec son âme sœur et revient donc de sa pause déjeuner encore plus en retard que le premier jour. Chen Bin ne manque d'ailleurs pas de le lui faire remarquer à chaque boucle avec une pointe d'amusement, étonné par cette attitude inhabituelle de la part de son collègue ― qui escompte toutefois qu'il ne s'en souviendra pas une fois la boucle brisée, parce qu'avec un peu de chance, son âme sœur et lui conviendront d'un autre moyen de se donner rendez-vous et arrêteront de se voir le midi.

Après tout, il ne souhaite pas arrêter d'aller voir Liu Siwen chaque midi. Il a besoin de lui raconter leurs précédentes conversations pour y voir plus clair. Ce jour-là, il a même pu à peu près lui présenter Cheng Xiaoshi grâce à leurs deux conversations brèves.

Conversations insuffisantes pour briser la boucle, mais qui lui ont suffi pour réaliser que Cheng Xiaoshi est réellement ―

― à des années lumières du type d'homme dont il estime pouvoir tomber amoureux.

Oh, il n'est pas désagréable, non. Le jeune homme aux cheveux bruns lui est apparu comme quelqu'un de sympathique, qui est sans doute apprécié dans son univers et son cercle d'amis. Mais lui et Lu Guang n'ont rien en commun. Rien du tout. L'un prend plaisir à se trouver sous les projecteurs, tandis que l'autre ne changerait pour rien au monde quoi que ce soit à sa vie d'anonyme. Il n'a pas détesté le temps qu'ils ont passé à discuter, et a d'ailleurs accepté de le revoir dans cette quatrième version du jeudi 24 octobre, mais leur échange l'a conforté dans une chose à laquelle il croit depuis longtemps : être âme sœur avec quelqu'un ne va pas de pair avec tomber amoureux de cette personne.

Quoi que puissent en dire certains romantiques qui y croient encore.

« On dirait que ton âme sœur est quelqu'un de bien pour toi, commente Liu Siwen quand Lu Guang finit de lui présenter l'énergumène qu'est Cheng Xiaoshi. Tu seras sans le moindre doute heureux avec lui. »

Lu Guang en doute, mais il reconnaît que l'homme a quelque chose d'intriguant. Ou de fascinant. Il hésite sur le mot exact, conscient qu'une part de lui veut simplement comprendre l'état d'esprit dans lequel évolue ce jeune homme qui semble croire, d'après leur première conversation, dur comme fer à l'amour induit par les boucles temporelles d'âmes sœurs. Et puis, Cheng Xiaoshi attire tous les regards, par ses mots bruyants, sa façon d'être et son grand sourire. Sans que cela signifie qu'il y a des sentiments romantiques derrière, Lu Guang ne peut s'empêcher d'être attiré par lui.

D'ailleurs, les clients du café aussi paraissent sensibles à ce jeune homme aussi éclatant qu'un soleil. Lorsqu'ils se retrouvent après leurs journées de travail respectives, dans le petit restaurant choisi pour ce rendez-vous, tous les regards convergent instantanément vers le jeune homme aux cheveux noirs dès qu'il franchit la porte avec une dizaine de minutes de retard. Il le repère immédiatement et son sourire s'agrandit encore davantage ― Lu Guang ne comprend pas pourquoi, parce qu'encore une fois, cette boucle temporelle ne signifie rien. Cheng Xiaoshi n'a pas à tomber amoureux de lui simplement à cause d'une vieille croyance qui les déclare liés l'un à l'autre.

« Tu as toujours les coquelicots. » commente Cheng Xiaoshi en s'asseyant en face de lui et en regardant avec insistance le bouquet désormais posé dans un vase que Lu Guang a pu négocier avec un serveur et lui permet de rester les mains libres pendant ce repas sans risquer d'abîmer les splendides fleurs.

« Je n'ai pas vraiment eu le temps de retourner chez moi.

― Tu habites dans quelle partie de la ville ? Moi je suis sur les hauteurs, je prends le bus pour venir travailler ici. Ce n'est pas trop contraignant, sauf le jeudi, quand je le rate. » Cette dernière remarque intrigue Lu Guang.

« Vous le ratez tous les jeudis ? relève-t-il en songeant que l'autre a dû mal s'exprimer.

― Oui, répond-il toutefois à sa grande surprise, avant d'ajouter : Je t'ai déjà dit qu'on pouvait se tutoyer sinon ! On a le même âge, non ? » Le jeune homme aux cheveux blancs a du mal à se permettre de telles familiarités avec un type qu'il vient à peine de rencontrer, aussi préfère-t-il changer de sujet, toujours sans répondre à la question initiale :

« Pourquoi les jeudis ?

― C'est comme ça. Je suis malchanceux les jeudis. La preuve, je revis cette journée en boucle, alors que je pourrais revivre, je ne sais pas, les dimanches. Un jour où je ne travaille pas et où je peux profiter d'un moment de repos. » Au moins sont-ils d'accord sur le fait qu'ils veulent sortir au plus vite de la boucle temporelle. C'est toujours cela de pris. « C'est drôle, d'ailleurs, poursuit le jeune homme. C'est ton anniversaire, donc j'imagine un jour que tu apprécies beaucoup, tandis que pour moi, c'est la pire journée de la semaine et sans doute du mois ! Le destin doit trouver ça drôle. Ou juste aimer le proverbe qui dit que les opposés s'attirent. »

Lu Guang l'observe sans rien dire durant quelques secondes, se demandant comment Cheng Xiaoshi peut tellement croire aux âmes sœurs qu'il attribue à un coup du destin une preuve que le concept n'existe pas. Ils sont trop différents pour que leur relation aboutisse à quelque chose, et ils n'ont certainement rien des hommes-boules, qui sont supposément un seul et unique corps que l'on aurait séparé.

« Tu crois vraiment que c'est un coup du destin ? finit-il par demander.

― Bien sûr, lui sourit le jeune homme comme s'il s'agissait d'une évidence. Comment est-ce qu'il pourrait en être autrement ?

― Comment est-ce que tu peux encore croire à ce point à un concept aussi désuet que les âmes sœurs ? laisse échapper Lu Guang, qui a de plus de mal à contenir son incompréhension.

― Et pourquoi est-ce que je n'y croirais pas ? lui rétorque Cheng Xiaoshi avec un air de défi. Après une pause de quelques secondes pendant lesquelles ils se dévisagent simplement sans rien dire, un silence assez embarrassant étant tombé autour de leur table, il ajoute : « Si la boucle temporelle ne se brise pas demain, je te donnerai une bonne raison d'y croire toi aussi. »

Lu Guang est presque curieux de voir cela.

JUSQU'À CE QUE FANENT LES COQUELICOTS - 𝗹𝗶𝗻𝗸 𝗰𝗹𝗶𝗰𝗸Où les histoires vivent. Découvrez maintenant