🍂8 - CONFRONTATION ET ECHO🍂

84 25 6
                                    

– Vous ne pouvez pas entrer ! Le Maire est en réunion et il ne faut absolument pas le déranger. Commissaire, attendez !

Comme si une simple interdiction avait un jour suffi à arrêter Kylian. Encore moins quand elle provenait de Géraldine, la secrétaire du Maire. La pauvre était à son service depuis au moins trente ans, mais elle n'avait visiblement retiré aucune leçon concernant son emploi, car en plus d'y être mal menée, elle servait aussi et surtout d'esclave des temps modernes au personnel de la mairie. Géraldine faisait toute la sale besogne allant du standard en passant par le tri du courrier, le classement des documents, l'organisation des différentes réunions auxquelles le Maire devait assister, elle allait à sa place en guise de "représentante" à chaque événement de la ville et n'avait guère une minute à elle.

Kylian déboula alors dans le bureau du Maire dans lequel deux autres personnes se trouvaient plus de ce dernier et tous le dévisagèrent gravement, mais aussi avec une pointe de surprise.

– Dehors, ordonna-t-il en attendant près de la porte.

Tout le monde s'exécuta sans discuter, ramassant dossiers et pochettes cartonnées avant de disparaître derrière la porte qui se referma violemment.

– Allons bon, de quoi peut-il bien s'agir cette fois-ci ? demanda le Maire en se vautrant dans son fauteuil, faisant fi de la présence menaçante se trouvant face à lui.

– Nous devons discuter, vous et moi, répondit sèchement l'homme en se plantant mains sur le bureau.

– Êtes-vous venu me faire « payer » le petit numéro que je vous ai fait hier ? Si c'est le cas, sachez que je m'en excuse. Satisfait ?

Il n'en avait que faire de ses excuses. Par ailleurs, Kylian était peut-être un ivrogne invétéré, mais il était loin d'être un simple d'esprit, il savait que le Maire ne pensait pas ce qu'il venait de dire et qu'il préférerait mille fois se pendre avec sa cravate plutôt que de s'excuser.

– Pour l'amour de Dieu, Kylian, qu'est-ce que vous me voulez ?

– Que vous soyez utile pour la première fois de votre misérable et grassouillette existence. L'enquête que nous menons sur les six corps retrouvés dans la forêt nous mène tout droit jusqu'au manoir.

– C'est impossible, ricana le Maire comme si cette affirmation était la chose la plus grotesque qu'il ait entendue de la journée.

– Les analyses sont formelles.

– Le manoir est fermé depuis des années et d'ailleurs, vous êtes bien placé pour le savoir étant donné que son dernier visiteur, ce fut vous. Il n'existe qu'un trousseau de clés et j'en suis l'heureux propriétaire, donc personne n'aurait pu s'aventurer là-bas sans que je ne le sache, car il aurait fallu ouvrir les portes, les grilles, le portail...

Un soupir nerveux échappa au commissaire de police, visiblement exaspéré d'avoir affaire à un imbécile pareil. Les clôtures ou grilles, peu importe, ça s'escaladait et les portes ça se défonçait. Il était bien placé pour le savoir, pendant un temps, c'était ce qui l'amusait le plus : entrer dans un lieu interdit par effraction. Ainsi, il fit le triste constat que la grande majorité des bâtiments de la ville étaient sans défense et qu'il était facile, pour quiconque serait déterminé d'y faire sa petite vie tranquillement.

– Vous vouliez être avertis s'il y avait le moindre progrès, eh bien me voilà, fit le policier.

– Et sachez que je n'apprécie guère les nouvelles que vous m'apportez. Cependant, j'apprécie encore moins la façon dont vous le faites. Prenez rendez-vous avec Géraldine la prochaine fois, bon sang de bois !

– Ah parce que pour vous les nouvelles concernant un sextuple meurtre ça devrait être réjouissant ? J'ai six corps sur les bras, Monsieur le Maire et mon enquête piétine depuis des mois. Des mois !

– Y suis-je pour quelque chose ? Vous ne devez cela qu'à votre propre incompétence. C'est malheureux que vous n'obteniez des résultats que maintenant, si tenté que l'on puisse appeler cela un « résultat », siffla le Maire, le nez retroussé.

Pendant quelques minutes, ils gardèrent tous deux le silence et s'observèrent comme deux animaux placés dans la même cage trop étroite. L'un avait le coupe-papier à portée de main et l'autre avait d'ores et déjà sa main sur la crosse de son arme à feu.

– Allons-nous nous contempler dans le blanc des yeux encore longtemps ? Contrairement à vous, je suis un homme occupé et j'ai de nombreuses choses à faire, finit par dire le Maire.

– Perdez les clés.

– Je vous demande pardon ?

Finalement, Kylian se détacha du bureau et fit quelques pas ici et là dans la pièce tout en se frottant la nuque.

– C'est la meilleure chose qui puisse nous arriver à tous les deux. Perdez ces fichues clés. Jetez-les quelque part, dans le port s'il le faut. Débarrassez-vous-en, répéta-t-il.

– Et pourquoi je ferai cela ?

– Vous savez très bien pourquoi.

Parce que les clés, tout comme le reste de la demeure, étaient maudites.

– Oh, je vois, fit le Maire en se levant. Vous avez peur.

S'approchant de lui, tout sourire, celui-ci eut néanmoins la sagesse de s'arrêter à quelques pas.

– Vous avez peur que si le manoir venait à être rouvert, quelqu'un puisse découvrir votre sordide petit secret. En effet, que penseraient alors vos collègues qui vous estiment tant ? Que penseraient-ils du fait que leur chef est un assassin ? Je vous le demande.

« Assassin ». « Meurtrier ». « Tueur ».

Tant de mots qui s'étaient répétés un nombre incalculable de fois dans son esprit. Tant de mots qui faisaient encore écho en lui.

– C'est donc de cela que vous êtes venu vous entretenir en déboulant tel un chien enragé ayant perdu sa laisse ?

– Vous ne savez pas de quoi vous parler.

– Oh, mais si. Détrompez-vous, je sais de quoi je parle. Après tout, rappelez-vous... Qui était là cette nuit-là ?

C'était une erreur. Une grave erreur. Kylian n'aurait jamais dû venir jusqu'ici.

– Je m'en vais. Venir ici était...

– Une folie ? Peut-être bien, mais demandez-vous bien, la prochaine fois, quel est le plus fou dans toute cette histoire : Votre tentative désespérée de vivre en ayant conscience d'être un meurtrier ou ma tentative grotesque de garder ces fameuses clés au plus près de moi ?

Il ne voulait pas y penser et mieux valait ne pas y penser. Kylian n'avait jamais pu oublier ce qu'il s'était passé cette nuit-là, ni même ce qu'il avait fait. Il était rongé par cela, mais tentait désespérément de vivre avec. De faire avec. De faire comme s'il ne l'avait pas poussé dans le puits.

Le puits à souhait. Le puits chantant.

– Sur ce, passez une merveilleuse journée, Commissaire.

Tout ce qu'il resteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant