– J'ai souhaité être le héros de l'histoire.
Mais ce que tous les petits garçons ignorent quand ils formulent secrètement leur souhait, c'est le prix à payer pour l'obtention de ce dernier et cela, Kylian l'avait appris à ses propres dépends. Tout petit garçon qu'il fut jadis est mort ce jour-là. Une partie de lui avait sombré dans le puits.
– Les Anciens nous disaient quand nous étions petits que ce puits était maudit. Qu'une voix sinistre et perfide s'en échappait et qu'elle tentait les plus désespérés, fit Grégory en le regardant tandis que Kylian vint saisir le portrait se situant sur le mur.
– Les plus désespérés ? Non. Seulement les plus faibles, mais que pouvait-on attendre d'autre de la part d'un enfant, hein ? Dis-moi.
Une fois encore, Grégory choisit de se taire, car que pouvait-il répondre à cela ? À dire vrai, le jeune lieutenant de police était encore en train d'essayer de comprendre. Cependant, il fallait bien admettre que tout ceci le dépassait, quand bien même, il n'avait jamais cessé de croire au fait que tout pouvait se produire.
Grégory descendait d'une lignée de gens un petit peu superstitieux et facilement influençables. Des gens en somme très gentils, mais que certains qualifieraient de grands naïfs, car après tout, il fallait être sacrément perché pour croire tout ce que les Anciens pouvaient bien raconter. Aujourd'hui, l'histoire du manoir de Castelroc servait essentiellement pour le tourisme et pour amuser la galerie. Peu de gens y croyaient, peu de gens s'en souciaient. Il y avait d'autres problèmes bien plus importants et des affaires bien plus urgentes que cette vieille bâtisse suspendue dans la montagne tombant en décrépitude.
Malgré tout, certains croyaient aux rumeurs. Aux ragots. Aux légendes. Certains croyaient dans le mythe de Castelroc et savaient, au plus profond d'eux-mêmes, que ce lieu renfermait un terrible secret : le début d'une malédiction.
Lancée lors de la construction des fondations et ayant marqué au fer rouge, au moins six générations.
– Ma grand-mère, paix à son âme, disait que la maison arrachait l'âme de quiconque s'y aventurait. Qu'il y avait quelque chose, ici, dans les fondations même, qui...
– Ta grand-mère avait tort, le coupa Kylian en reposant le portrait, mais elle avait raison également. Cependant, ce que tu cherches, ou crois chercher, n'est pas là. Le monstre du manoir de Castelroc n'est plus là.
– Comment pouvais-tu savoir que je faisais allusion à cela ?
– Je te l'ai dit non : Je fais partie des meubles à présent. Je suis une partie de la réponse que tu recherches désespérément depuis si longtemps et, en même temps, je fais partie de l'énigme que tu ne résoudras jamais. Tant avant toi ont essayé, mais cela ne les a conduits que vers la... Folie !
Car il ne pouvait être question que de folie pour essayer de résoudre un tel mystère. Grégory n'était pas le premier et Kylian savait qu'il ne serait probablement pas le dernier non plus, mais il ne pouvait tolérer que cela aille plus loin. Qu'il comprenne ou tout du moins qu'il réalise ce qu'il se passait. Pour l'instant, son esprit était embué par un surplus d'informations subtilement mélangé à ses croyances personnelles, l'empêchant de raisonner de façon claire et limpide, mais cela ne durera pas.
– Et si je te disais que je pourrais te libérer de ton sort ? Qu'il existe un moyen !
Un moyen ? Un moyen de faire quoi ?
– Me libérer ? reprit sarcastiquement Kylian dans un ricanement froid et distant, De quoi veux-tu me libérer au juste ? Je n'ai jamais dit que j'étais captif.
– Mais tu... Tous ces gens Kylian ! s'écria-t-il soudainement, comme pour lui rappeler l'horreur des derniers jours.
– Je n'ai jamais dit que c'était moi, non plus. Penses-tu sincèrement que j'ai passé mes nuits, tel un loup-garou, à camper dans les bois en attendant que quelqu'un passe par là ? Que j'ai attendu, des jours durant, qu'un inconnu daigne enfin se montrer pour que je puisse brutalement l'assassiner ? Ce n'était pas moi.
Non, certes, mais il connaissait le coupable. Il n'y en avait qu'un seul et tout le désignait, mais quoi qu'il puisse advenir, son nom devait être tu.
– Alors quel lien as-tu avec tout cela ? Hmm ? Vas-tu enfin m'expliquer ce que tu fais ici ? Pourquoi ai-je l'impression que tu dois... surveiller cet endroit ? Pourquoi ai-je l'impression que tu es là, uniquement pour empêcher les gens de s'en approcher, mais pourquoi ? Parce qu'ils risquent quelque chose ou...
Ou parce que quelque chose ici risquerait de se retrouver exposé.
– C'est ça, n'est-ce pas ? Il y a bel et bien quelque chose ici ou bien même de...
– Grégory. Ça suffit.
– Où est Édith, Kylian ?
– Elle est retournée en ville, je te l'ai dit.
– Non. Je te repose la question : Où est-elle ?
– Et que vas-tu faire ? Me tirer dessus une nouvelle fois ? Voyons, soyons sérieux...
– Tu ne répondras à aucune de mes questions, car tu refuses que je comprenne ce qu'il se passe, quels sont les enjeux, alors je préfère te poser des questions plus... simplistes, disons. Mais là encore, tu ne comptes pas me répondre, n'est-ce pas ? souleva Grégory, Donc quoi ? Tu l'as tuée ?
– Donc, dans ta tête, je suis quoi ? Une sorte de tueur en série ? Je suis coupable de tout parce que tu l'auras décidé ?
– Tout t'accuse. Ton comportement de l'autre jour, ta présence ici, le fait que tu restes évasif sur mes questions... Honnêtement, ça ne m'inspire pas confiance.
– Je vois.
Vous pouvez mettre des mois, voire des années à construire quelque chose, mais à la moindre petite bourrasque, tout menace de s'effondrer. Il a simplement suffi à ce que Grégory s'implante lui-même une idée en tête pour que le mal soit fait.
– Alors, nous allons rester ainsi, face à face, à nous regarder en chien de faïence, sachant que tu ne peux ni me tuer, ni m'arrêter. Quelle triste réalité, releva Kylian en descendant les marches de l'escalier.
– Et toi ? Que comptes-tu faire ?
– Attendre que tu te vides de ton sang est une idée comme une autre, bien que je n'aie guère la patience pour m'adonner à cela. Je pourrais aussi bien finir ce que j'ai commencé.
– Et c'est tout ? Tu vas me tuer ici et maintenant ?
– N'es-tu pas résolu ? Si tu voulais fuir, tu l'aurais fait, même si pour cela, je devais passer la soirée à te courir après. Mais non. Au lieu de ça, tu es resté tranquillement à mes côtés, comme si tu attendais quelque chose de ma part. Mais quoi ? Là encore... quelque chose qui m'échappe.
– Comme c'est ironique, n'est-ce pas ? Aucun de nous deux ne peut plus comprendre l'autre.
Ironique et triste à la fois. C'était comme si vous étiez témoin du départ de votre meilleur ami et que vous ne puissiez rien y faire. Comme si vous vous retrouviez cloué, là, sur le rebord du quai, en le voyant embarquer dans un train qui le mènerait au loin. Un lointain que jamais, vous, vous n'atteindriez.
– Juste pour que tu le saches, je n'ai pas tué Édith.
– Même là, je ne te crois pas, ricanât Grégory.
Ces mots furent couverts par le bruit d'une deuxième détonation. Bruyante. Résonnant tel un écho à travers les différents couloirs du manoir. Un bruit que personne n'aurait à entendre et pourtant, un bruit qui le hanterait à jamais.
–Par contre, toi, mon ami, je t'ai eu.
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Tout ce qu'il reste
Mystery / ThrillerAs-tu déjà fait attention ? À cette maison située au bout du chemin ; celle qui se cache derrière les pins. Selon la rumeur, elle serait inhabitée. Pourtant, à plusieurs reprises, une silhouette, passant ici et là, derrière les fenêtres, nous a été...