"Tu avais promis."
Jambe branlante par-dessus le dossier du canapé, Kylian fixa la silhouette flottante à l'horizontale lui faisant face.
"Tu avais promis."
La journée avait été horriblement longue et cela paraissait être un euphémisme, car à peine était-il rentré qu'immédiatement, il s'était jeté sur son canapé. Tant de choses s'étaient passées et tant aurait pu se passer que le jeune homme peina à s'en remettre.
"Tu avais promis."
Et depuis qu'il était rentré, elle ne l'avait pas quitté. Elle était là, le dévisageant malgré l'état déplorable dans lequel elle lui apparaissait et bien que cela aurait pu marquer n'importe quelle autre âme humaine, Kylian, lui, s'en était accommodé, car ce n'était pas tant son apparence qui le choquait, mais bel et bien cette même phrase qu'elle semblait répéter en boucle.
"Tu avais promis."
C'était bien plus qu'un reproche puisque ces trois mots servaient également de rappel. De rappel à une promesse faite il y a vingt-cinq ans et que, avec le temps, Kylian paraissait peiner à se remémorer même si le simple fait qu'il soit ainsi hanté par Merry pouvait en dire long.
– Ne peux-tu pas revenir plus tard ? J'ai suffisamment mal au crâne comme cela et je n'ai pas besoin que tu viennes me rabâcher toujours la même chose.
"Tu avais promis."
– Je sais. J'ai promis et regarde ce que j'en ai fait de notre promesse, Merry : Je me suis allègrement assis dessus. Toi-même, tu n'es pas tout à fait exemptée de toutes fautes, n'est-ce pas ?
Elle cessa.
– Six personnes... Putain Merry, même pour toi, ça fait beaucoup non ?
Et si seulement il ne pouvait être que question de cela. Toute cette histoire avait aujourd'hui pris des proportions délirantes et pour la première fois depuis deux ans, Kylian eut l'impression que la situation lui échappait complètement. Pour la première fois depuis deux ans, Kylian avait ressenti l'angoisse, la panique tandis qu'il était à deux doigts de commettre une nouvelle faute.
– On ne peut plus continuer à jouer à cela toi et moi... On ne peut plus se permettre d'être aussi... Négligents. Rappelle-toi ce qu'il s'est passé la dernière fois que cela s'est passé, ce que j'ai dû faire. Rappelle-toi.
Oui, rappelle-toi.
Rappelle-toi ô combien la curiosité de certains pouvait être une arme redoutable. Si Kylian n'était pas intervenu à ce moment-là, dieu seul sait ce qu'il se serait alors passé. Aurait-elle dévoilé toute la vérité ? Certainement. Kylian n'avait encore jamais connu une femme plus déterminée, et ce, jusqu'à l'apparition d'Édith C. Lewis.
Un soupir échappa alors au commissaire allongé. Tout ceci avait pris une tournure bien étrange et il savait d'ores et déjà où cela le mènerait.
– À cause de toi, je ne vais plus avoir le choix et tu sais quoi ? Je t'en veux un petit peu, car si tu avais respecté notre accord, je n'en serais pas là aujourd'hui. Maintenant, je suis dans la merde jusqu'au cou et je vais devoir agir. Encore !
Le fantôme commençait alors à disparaître progressivement à travers les poutres apparentes de la maison tandis que Kylian la regarda faire.
– C'est ça, fuit. Pour venir me faire chier, il y a du monde, mais pour assumer ses propres conneries, alors là...
"Tu as promis."
– Je sais ! Arrête de me répéter cette phrase. Je sais ce que j'ai promis et je sais aussi ce que j'ai à faire. Je sais ce que tu veux et ce que tu me réclames depuis des années. Je sais ce que ce maudit endroit me veut, je sais tout ! Et je le ferai. Comme convenu. N'ai-je pas toujours tenu parole jusqu'à présent, Merry ? T'aurais-je un jour déçue ? grogna Kylian.
Ce qu'il pouvait détester ces moments de l'année. Ces moments où tout semblait, malgré ses efforts, lui éclater de nouveau à la figure, comme si Kylian était prisonnier d'un sort. Comme si tout ne faisait que se répéter encore et encore.
– Si tu savais comme je suis fatigué... Putain que je le suis.
Hélas, le choix n'avait jamais été une option pour lui. C'était plus une douce illusion qu'il souhaitait conserver. Une illusion qui lui laissait croire qu'il était libre. Malheureusement, la vérité était tout autre et Kylian, plus que n'importe quel habitant de la ville, n'était en réalité que l'esclave d'un vœu. Un stupide vœu fait par un stupide gamin au-dessus d'un stupide puits.
Comment avait-il pu se laisser berner et y croire ?
– Dis, Merry, tu te rappelles, toi, de ce jour-là ou pas du tout ? Parfois, j'ai l'impression que cela fait des décennies et parfois, j'ai comme l'impression que c'était hier seulement. Qu'est-ce que l'on a été con d'y croire... Surtout moi en fait.
Les Anciens répétaient souvent les mêmes histoires à qui voulait bien les entendre et même si chaque histoire commençait différemment, toutes avaient malgré tout un point commun : Pour que le vœu fait au puits se réalise, alors il fallait y laisser la chose qui nous était la plus précieuse.
– On en est là, toi et moi, juste parce que j'ai voulu faire un putain de vœu.
VOUS LISEZ
Tout ce qu'il reste
Misterio / SuspensoAs-tu déjà fait attention ? À cette maison située au bout du chemin ; celle qui se cache derrière les pins. Selon la rumeur, elle serait inhabitée. Pourtant, à plusieurs reprises, une silhouette, passant ici et là, derrière les fenêtres, nous a été...