🍂28 - VADE RETRO SATANAS🍂

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Avec le temps, Kylian fut bien incapable de distinguer les sons : il confondait le sifflement bruyant du vent avec un lointain hurlement, car après tout, les deux n'étaient-ils pas semblables ? Il ne saurait le dire. Dans la plupart des cas, il attendait, patiemment, qu'elle revienne. Il attendait de la voir avec cette pointe dans son sourire, ce sentiment de satisfaction qu'elle affichait quand elle avait enfin eu ce qu'elle voulait. C'était inéluctable, Merry finissait toujours par avoir ce qu'elle voulait, comme si le "destin" l'aidait ou était tout du moins de son côté. Impossible penseriez-vous ? Si vous saviez. Les limites du réel, de l'impossible et du cauchemar sont si fines, que nous les franchissons chaque jour sans nous en rendre compte. Des millions d'êtres humains sur Terre réalisent chaque jour de tout petits miracles à peine perceptibles.

Tout comme Kylian.

À chaque fois que le secret semble menacé, il parvient miraculeusement à le préserver, alors que la tâche qui s'annonçait si simplette au début, se complexifie de plus en plus au fur et à mesure que les défenseurs de la vérité grossissent leur rang. Que ce soit des Chloé, des Gregory ou bien même des Édith... Peu importait leur nom, Kylian n'avait qu'une seule et unique mission : protéger la maison. Cela faisait partie du marché. Cela a toujours fait partie du marché, car Grégory avait raison : les vœux ne se réalisent pas sans conséquences certaines. Sans compromis. Sans sacrifices. Sans contreparties. Toutes ces choses qui entraient en jeu et qui échappaient à la perception qu'un enfant de cinq ans pouvait bien se faire de la vie et des vœux.

Tout ce qu'il voulait, lui, c'était être un héros. Pourquoi ? Parce que les héros, ça sauve les gens.

En théorie, du moins.

Hélas, quand on grandit, on se rend compte que le héros ne gagne pas toujours. Que le héros ne bat pas toujours le méchant et que parfois, pour que cela puisse faire, il doit lui-même devenir le méchant. Faire quelque chose allant à l'encontre de ses principes, de ses valeurs, de ses croyances. Quand on grandit, on réalise que là encore, le trait entre le héros et le "méchant", le bien et le mal, la limite... est plus que fine et très souvent malléable. Oui, le héros ne gagne pas toujours, pas sans casser des œufs en tout cas, et Kylian était devenu un véritable professionnel de l'omelette.

Merry.

Chloé.

Gregory.

Édith.

La liste se rallongeait et cela faisait d'autant plus de noms à retenir. Cela faisait d'autant plus de visages à ne pas oublier. Cela faisait d'autant plus d'œufs éclatés.

Car oui, vouloir être le héros de l'histoire avait un prix, lourd et coûteux, surtout quand on ignore de quelle histoire il s'agit. Dans tous les cas, Kylian était certain d'une chose, cela faisait bien longtemps qu'il n'était plus question de lui. Qu'il avait cette drôle d'impression de faire partie d'un tout, de quelque chose de plus grand. Comme un meuble que l'on poserait dans un coin afin de boucher un trou. Oui, c'est cela, il avait l'impression de n'exister que pour boucher un trou.

Alors que l'obscurité termina de s'installer à l'extérieur, recouvrant le manoir d'un épais voile, une silhouette familière fit progressivement son apparition devant Kylian qui ne put s'empêcher de lever les yeux au ciel en la voyant se dresser devant lui tandis que celle-ci le dévisagea sévèrement, le corps flottant.

– Je ne connais que trop bien ce regard, je sais. Tu n'es pas contente.

– Pourrais-je l'être ? Je n'ai même pas eu le droit à un enterrement digne de ce nom et aux dernières nouvelles, mes ossements pourrissent toujours au fond de ce vieux puits dégoutant. Tu avais dit que tu t'en occuperais.

– J'ai dit beaucoup de choses au cours de ces deux dernières années, répliqua le jeune homme en soupirant.

– Je sais. Crois-tu que je n'ai pas suivi tout ce qu'il s'est passé ? Là encore, tu avais promis que cela cesserait... avec moi.

– Je présume que cela fait partie des nombreuses promesses que je ne peux malheureusement pas tenir. Une de plus ou de moins, qu'est-ce que cela changerait à mon sort ? Je suis condamné.

Elle ne rajouta pas un mot et se contenta de flotter ici et là à travers la pièce.

– Si tu es là et que je te vois c'est que...

– C'est l'heure. Il s'impatiente, lui répondit la voix.

– Comme à chaque fois quand on arrive à cette période de l'année. Je remarque néanmoins que cette année, il a décidé de t'envoyer... Il doit vraiment espérer que la récolte soit bonne.

– Cela ne me plaît pas d'être ici, si cela peut te rassurer, même si je sais que tu t'en fiches étant donné que, eh bien, je suis ici par ta faute.

– Vous, les esprits... Vous avez la rancune tenace, même dans l'au-delà.

– C'est le problème quand on ne peut, hélas pas, reposer en "paix". Peux-tu sincèrement me le reprocher ?

Non, et il le savait. Néanmoins, Kylian doit bien admettre qu'il ne s'attendait pas à ce que cela soit elle pour la récolte de cette année. Merry aurait suffi.

– Chloé, je... bafouilla Kylian en plongeant son regard sur elle.

– Je sais, mais cela ne change rien, le coupa-t-elle, Tu es responsable de cette situation, Kylian, alors arrange-la sinon tu sais ce qu'il arrivera.

Il t'a envoyé faire tout le sale travail cette fois, hein ?

Il a réalisé ton vœu, n'oublie pas.

Comment le pourrait-il ? À chaque occasion, à chaque seconde, celui-ci lui revenait en pleine figure telle une claque violente.

– Tu peux retourner d'où tu viens et lui dire qu'il aura ce qu'il veut. Comme chaque année. Je n'ai jamais manqué un seul jour, me semble-t-il ? Dans ce cas, ne commencez pas à me traiter différemment.

– Tu lui dois encore une âme, non ? Pourtant, je n'en vois qu'une ici... où se trouve la seconde ? l'interrogea-t-elle.

Bonne question. Où se trouvait Merry et pourquoi cela prenait autant de temps ?

– Oh, tant que nous y sommes, transmets-lui un message de ma part, veux-tu ? Dis-lui : "vade retro satana" une nouvelle fois pour moi. Tu seras mignonne.

Le tout accompagné d'un doigt serait le bienvenu et le plus appréciable, mais Kylian n'était guère en position de demander le beurre et l'argent du beurre.

– Tu as six heures, Kylian. Ne le fais pas attendre.

Six heures, c'est long. Il peut s'en passer des choses en six heures. On peut sauver le monde en six heures.

Tout comme on peut aussi le condamner.

Oui, tout peux se passer en six heures.

Tout ce qu'il resteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant