Kylian était resté un moment assis à même le sol froid et fissuré, le regard plongé à travers les baies vitrées explosées, sur les jardins ravagés. Il accusait le temps à chaque fois qui lui était permis de le faire, mais la vérité était que le temps n'y était probablement pour rien dans ce désastre. Dans ce chaos. Si le manoir de Castelroc avait longtemps figuré en tant que pièce importante du patrimoine de la ville, il profita d'un léger entretien qui ne dura pas plus de cinq ans. Cinq années à essayer de défricher, de ramasser, de pousser, de déblayer, de réparer tout ce qui avait été fait en une centaine d'années et il fallait voir ! Cela avait presque fonctionné. Les bénévoles de l'association de protection du patrimoine de la ville ainsi que quelques employés de mairie, bien déterminés à redonner à ce lieu, sa gloire d'antan, avaient quasiment réussi à changer les choses. Oui, presque, car l'arrivée de deux enfants particulièrement turbulents avait complètement changé la donne.
Merry avait ouvert la voie, mais Kylian, en la suivant, l'avait pavée comme un véritable artisan. Ils s'étaient faufilés, profitant d'une journée de grand ménage, pour s'amuser ici et là car après tout, quel enfant ne profiterait pas d'un terrain de jeu à ciel ouvert et aussi vaste ? Quel enfant n'irait pas mettre son nez là où on le lui interdisait ? Une interdiction fut tout ce qu'il suffit pour motiver ces deux-là à faire les quatre cents coups et à réaliser l'impossible. À l'époque déjà, les gens de la ville savaient que cet endroit était l'épicentre de toutes les rumeurs les plus folles, mais on avait légèrement cessé de croire aux histoires de fantômes ou bien de malédiction. Les habitants de Toleni accusaient la malchance pour toutes les morts tragiques et les disparitions mystérieuses ayant gravités autour du manoir et personne n'alla jusqu'à s'interroger sur la nature même de ce qui pouvait se produire ici.
Pourquoi ? Parce que la peur les tenait à l'écart. Ils ne savaient pas ce qu'ils craignaient, mais tous avaient cette sensation partagée en eux. Comme un sentiment commun. Sentiment qui, de toute évidence, fut étranger à Kylian qui n'avait alors qu'une chose en tête : explorer. Il n'avait pas peur du noir, des monstres sous le lit ou des fantômes, non loin de là, car ce qui le terrifiait sincèrement existait bel et bien et avait un nom : Merry. Les Anciens l'avaient même appelée "la Terreur du quartier" tant elle était terrible. Une enfant agitée, bagarreuse, que l'on retrouvait toujours partout et nulle part à la fois, comme si Merry occupait l'espace.
Et Merry, elle, en faisant ce qu'elle voulait de Kylian. Elle l'entraînait dans les pires guet-apens, elle s'arrangeait toujours pour que les punitions lui tombent dessus, elle le dénonçait à la première occasion... Oui, Merry était une véritable petite chipie. Cependant, aux yeux de Kylian, c'était aussi et surtout sa seule et unique amie. C'était sa seule et unique joie de vivre, car Merry et ses bêtises lui permettaient quelque part de vivre. Mais quelle vie peut bien vouloir avoir un enfant de cinq ans ?
Alors, encore une fois, il l'avait suivie comme elle s'y attendait, mais alors que les adultes étaient partis, ils avaient laissé derrière eux deux petits colis prêts à tout pour comprendre pourquoi cet endroit était "interdit". Et ils l'avaient découvert. Ce jour-là. Ils étaient tombés sur les babioles de la maison, sur de vieux tableaux, sur des trésors qui auraient pu tout expliquer. Tout sauf cette étrange sensation d'être observé en permanence.
Sans doute n'étaient-ils pas seuls ? Peut-être qu'un des bénévoles était revenu pour eux ou bien un de leurs parents ? Peut-être même le maire lui-même serait venu leur tirer les oreilles et leur donner une leçon ? À cette question, ils n'ont jamais eu la réponse, car ce n'était pas tant la sensation d'être observés minutieusement comme si quelque chose, quelqu'un, les détaillait, mais c'était l'incontrôlable soif de curiosité qui les poussa jusqu'aux jardins. Puis... jusqu'au puits.
Ce n'était que deux gamins curieux. Inconscients. Insouciants. Trop pour leur propre bien, sans doute.
Ce que personne ne savait à l'époque, c'est que le manoir paraissait peut-être abandonné, mais il ne l'était pas totalement. Ou tout du moins, pas réellement. Kylian, aujourd'hui, le comprenait mieux que quiconque : cet endroit ne vous laisse pas le quitter même si vous mourrez.
"Sauve-toi !"
Ces deux mots le hantaient encore et il pouvait les entendre aussi clairement que le jour où ils furent prononcés par Merry. Il les entendait résonner à travers les couloirs vidés de toute âme, portés par le vent glacial de l'hiver qui s'installait confortablement. Ces mêmes deux mots qu'il avait jadis criés à son tour, il y a deux ans de cela. Ces mêmes deux mots dont il était persuadé qu'ils résonneraient de nouveau aujourd'hui.
Mais que pouvait-il bien rester à sauver au juste ?
Kylian était la seule âme qui restait.
Il était tout ce qu'il restait.
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Tout ce qu'il reste
Misteri / ThrillerAs-tu déjà fait attention ? À cette maison située au bout du chemin ; celle qui se cache derrière les pins. Selon la rumeur, elle serait inhabitée. Pourtant, à plusieurs reprises, une silhouette, passant ici et là, derrière les fenêtres, nous a été...