Aussi loin qu'il voulait bien se le rappeler, Kylian détestait ce genre de moment, celui où il se retrouvait, une fois encore, confronté à un mur. Un mur qu'il ne pouvait ni contourner, ni enjamber, planté sur un sol dans lequel il ne lui était pas non plus possible de creuser. Ce mur représentait l'impossibilité pour lui de s'échapper face à ses responsabilités. Tout en avançant au fur et à mesure, s'enfonçant toujours plus profondément dans l'enceinte de la propriété, Kylian n'eut qu'une seule et unique question, à savoir le choix de la méthode qu'il utiliserait cette fois-ci. Un accident était vite arrivé, mais pour que cela soit crédible, il lui fallait du temps pour préparer les lieux, or là, il en manquait cruellement. Ce n'était pas comme avec Chloé. Ils étaient seuls cette nuit-là, du moins c'était ce qu'il pensait quand, dans un énième accès de lucidité, il souleva son corps et jeta ce dernier dans le puits.
« Pour le bien de la promesse. »
Combien de fois s'était-il répété ces mots-là ? Combien de fois avait-il utilisé cette excuse pour justifier ses actes ? Sans doute trop de fois. Néanmoins, Édith entrait, elle aussi, dans le cadre de ladite promesse et pour cela, elle devait disparaître. Il fallait qu'elle disparaisse, car sa curiosité persistante compromettait absolument tout, notamment des années de secrets.
Alors Kylian avançait, son arme de service dissimulée dans la manche de son manteau recouvert de boue sur le bas et finalement, il finit par la trouver. Même une biche aurait été plus difficile à chasser. Même une biche ne serait pas bêtement restée plantée au milieu de la clairière, elle aurait senti le danger. Mieux encore, elle aurait deviné que le chasseur se trouvait là, l'observant. Mais pas Édith. Elle était maligne oui, mais il fallait croire que ça s'arrêtait à cela. À de la malice et rien de plus.
– Je vois que mes avertissements n'ont pas été pris très au sérieux, fit Kylian en s'approchant d'elle.
– Oh Commissaire ! s'étonna-t-elle, Que faites-vous ici ?
– C'est la question que je devrais plutôt vous retourner. Votre dernière visite ne vous a donc pas servi de leçon ? s'inquiéta-t-il.
– C'est mal me connaître que de penser qu'une petite chute pourrait m'arrêter ! Et vous ? Vous êtes revenu pour...
« Pour vous ».
Kylian savait que s'il tirait, Grégory l'entendrait et alors, la thèse de l'accident passerait à la trappe, d'autant plus que celui-ci rappliquerait ici aussitôt. Il lui fallait donc réfléchir à une autre façon. Une façon de la chasser, et ce, littéralement parlant.
– Vous êtes seule ? relança le Commissaire en connaissant parfaitement la réponse à cette question.
– Absolument, répondit la jeune femme quasiment du tac au tac.
Donc, elle choisit de lui mentir. Tentative désespérée ou réflexion poussée ? Connaissant un petit peu le personnage, il ne pouvait s'agir que d'un juste milieu des deux.
– Vous savez ce que c'est, non ? La curiosité est un vilain défaut et je peine à maîtriser le mien.
– Et votre déjeuner ?
– Étrangement, quand nous sommes arrivés au restaurant, le lieutenant fut pris d'une violente crise de spasmes à l'estomac et nos chemins ont dû se séparer. Ayant mon après-midi libre, j'ai décidé de prendre les devants et d'explorer les environs.
Elle lui mentait avec un aplomb qui pouvait presque être admirable si Kylian ne savait pas déjà que Grégory se trouvait ici aussi grâce aux deux jeux d'empreintes trouvés plutôt dans la neige. Néanmoins, il se demandait bien pourquoi Édith tentait désespérément de le faire d'une façon aussi vulgaire ? Pour gagner du temps ? Pour le distraire afin d'espérer, à un moment donné, s'enfuir vers les bois se trouvant juste derrière elle ? Non, il devait y avoir une autre raison.
– Allons-nous juger à ce petit jeu encore longtemps ? s'impatienta Kylian en la dévisageant.
– Cela dépend. Puis-je savoir à quel "petit jeu" faites-vous référence exactement ? Je ne suis pas certaine de vous suivre, Commissaire.
– Vous et moi savons que vous êtes loin d'être idiote, Édith. Honnêtement, je sais que même si je vous demandais de me répondre, vous ne le feriez pas ou vous feriez en sorte de répondre à côté.
– Encore une fois et je me répète, mais cela dépend. Avez-vous l'intention de m'interroger ? Dans ce cas, je trouve le cadre assez... Informel. Mais vous n'allez pas le faire, n'est-ce pas ? Vous n'êtes pas venu jusqu'ici pour me poser des questions, Kylian, vous êtes venu parce que je dirais que vous avez un secret. Un secret sur lequel vous ne voulez pas que nous tombions.
– Ah ! Nous y voilà, souffla Kylian.
– Quoi donc ?
– Vous venez de dire "nous". Donc il y a bel et bien un "nous" dans cette histoire.
La jeune journaliste finit par sourire, comprenant à qui elle avait affaire. Kylian avait eu bien des étiquettes et il portait bien des défauts en lui, cependant l'homme était loin d'être stupide. Après tout, n'était-il pas devenu le plus jeune Commissaire de police jamais nommé dans la région ?
– Nous y voilà alors ! fit Édith en reculant discrètement, bien que ce geste ne fut pas ignoré par Kylian, Au point de non-retour.
– Vous dites cela comme si vous annonciez la fin du monde, c'est dramatique tout de même.
– Ce n'est peut-être pas la fin du monde, mais c'est effectivement la fin de quelque chose, non ?
– Si seulement vous n'étiez pas venu Édith...
– Je sais.
Et à cet instant, la jeune femme détalla comme un lapin, s'enfonçant dans les buissons se trouvant derrière elle.
– Ce que je peux détester courir, soupira Kylian.
Il attendit quelques secondes, une dizaine tout au plus. Il attendit jusqu'à n'entendre plus que le silence et quelques craquements de bois. Il attendit jusqu'à ce que son souffle se fonde dans la légère brise hivernale.
– Merry, appela-t-il dans le vent.
La silhouette lui apparut soudainement, comme si, depuis le début, elle avait toujours été là. Comme si elle ne s'était effacée que brièvement. Comme si, elle aussi, elle avait attendu patiemment que son tour vienne. Que l'on dise son nom.
– Tu sais ce qu'il te reste à faire, n'est-ce pas ? Alors vas-y.
Aussi loin qu'il voulait bien se le rappeler, Kylian détestait ce genre de moment, celui où il se retrouvait, une fois encore, confronté à un mur.
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Tout ce qu'il reste
Misteri / ThrillerAs-tu déjà fait attention ? À cette maison située au bout du chemin ; celle qui se cache derrière les pins. Selon la rumeur, elle serait inhabitée. Pourtant, à plusieurs reprises, une silhouette, passant ici et là, derrière les fenêtres, nous a été...