Kylian avait remonté sans mal la piste de Grégory en suivant les petites gouttelettes de sang retraçant tout son chemin jusqu'à l'intérieur même du manoir. Il n'y avait probablement pas pire endroit pour se cacher, surtout en cette période de l'année où la météo et ses nombreux caprices s'étaient, encore une fois, attaqués à la bâtisse ne tenant que miraculeusement debout. Si le manoir tenait sur trois étages et comportait une vingtaine de pièces plus quelques petites caches ici et là, le jeune homme savait qu'il n'aurait aucune difficulté à trouver son chemin à l'intérieur tant cet endroit avait été, un temps durant, une seconde demeure pour lui.
Chacun de ses pas, plus lourd et pressé que le précédent, faisait craquer les lattes du parquet restant. Chacun de ses pas, plus lourd et pressé que le précédent, le rapprochait inévitablement de sa cible. De sa proie.
– Grégory ! Montre-toi, je sais que tu es là ! hurla-t-il à travers l'immense corridor qu'il traversait.
Il n'avait aucunement envie de perdre davantage de temps qu'il n'en avait déjà perdu. Dans sa tête, Kylian avait déjà trouvé toute une excuse à servir au maire ou bien même aux gens de la ville si des questions venaient à être posées. Il écarterait la thèse de l'accident en faisant jouer la carte de la folie : après tout, les habitants connaissaient l'amour de Grégory pour les vieilles légendes et il leur dirait que celui-ci aurait convaincu la jeune journaliste afin de partir à la découverte d'improbables secrets concernant le manoir de Castelroc. Hélas, ils ne trouvèrent aucun secret, mais ils firent tous deux une rencontre hasardeuse, malheureuse. La mort en personne serait venue à eux. Pour rendre tout cela crédible, il ne divulguerait aucun détail supplémentaire, cela lui laissant un espace suffisamment grand pour être comblé au cas-où, car si Grégory était devenu une sorte de détecteur de mensonges ambulant, Kylian était la personnification du mensonge lui-même. Une sorte de dieu de la malice, de la tromperie et de l'illusion.
Une illusion qui s'apprêtait à être brisée tant celle-ci était menacée. Ce qu'il, bien sûr, ne pouvait accepter. Pas après toutes ces années, pas après avoir fourni tous ces efforts pour n'être que le seul et unique gardien de ces lieux mystiques et ensorcelés.
– Sors de ta cachette, voyons ! Ne rends pas cela plus ridicule que ça ne l'est déjà, ordonna Kylian.
Il retira son manteau, troué à hauteur de son épaule, et le laissa tomber au sol. Sa plaie ne saignait presque plus, comme si ses globules s'étaient retrouvés comme figés dans le temps. Dans la glace. Comme si...
– Qu'est-ce que...
Sans surprise, il trouva Grégory perché sur les premières marches d'un escalier menant à l'aile où se trouvaient jadis les chambres des maîtres des lieux. Sur ces mêmes marches, un mur fissuré, dont le papier-peint s'en était retrouvé arraché, demeurait. Sur ce mur, de vieux cadres en bois étaient encore suspendus et certains étaient tellement pleins de poussières qu'il était presque impossible d'en découvrir l'image que celle-ci cachait aux yeux du public. D'autres, étaient au sol, éclatés en morceaux. Mais il y avait un cadre qui était resté malgré les affres du temps. Un seul et unique cadre.
Et celui-ci affichait un portrait des plus familiers.
– Comment est-ce possible ? murmura Grégory suffisamment fort pour que ces quelques mots soient intelligibles à l'oreille de Kylian.
Le portrait n'était autre qu'une photo du commissaire lui-même. Suite à cela, Grégory se retourna et remarqua que la plaie de Kylian semblait presque comme cicatrisée. Non, figée dans le temps.
– Certaines familles affichent fièrement leur plus grande gloire tandis que d'autres placardent leur démon afin de ne pas oublier le visage que celui-ci peut avoir, fit Kylian d'un ton très calme.
Il ne s'en était pas rendu compte avant d'arriver jusqu'à cet endroit, mais il n'était pas venu jusqu'ici depuis très longtemps. Kylian était certain qu'avec le temps, ses souvenirs étaient devenus si diffus qu'une partie de lui avait réussi à oublier ce qu'il s'était passé ici.
Ce qui résidait... ici.
– T-Ta Bl-blessure, bégaya son collègue en le pointant du doigt.
– Oh ça ? dit-il en regardant son épaule, C'était bien essayé de ta part. Hélas, la maison ne me laissera pas mourir. Pas comme ça, du moins.
– Qu'est-ce que cela veut dire à la fin ? Qu'est-ce que... Non, qui es-tu ?
– Tu sais qui je suis, voyons, ne soit pas ridicule.
– Mais...
– En revanche, tu as raison sur un point depuis longtemps maintenant, lui dit-il en s'approchant de lui.
Une fois Kylian à la hauteur de Grégory dont le corps avait commencé à trembler au fur et à mesure que son collègue grimpait les marches de l'escalier, ce dernier se pencha légèrement en avant et lui dit en un souffle :
– Il faut croire aux histoires de fantômes, celles-ci ont toujours une part de vérité.
À sa tête tout à fait paniquée, Kylian éprouva une légère satisfaction.
– Je t'ai pourtant averti, non ? Ne l'ai-je pas fait ? Ne vous ai-je pas dit de ne pas revenir ici ? Pourtant, malgré cela, vous êtes revenu. Vous avez farfouillé pour je-ne-sais quelles raisons à la recherche de je-ne-sais-quoi, mais vas-y, dis-moi donc ce que vous étiez si avare de trouver ici. Peut-être serais-je d'humeur à t'aider ?
Cependant, Grégory ne sortit pas un mot et resta prit dans une sorte de torpeur. Un semi-état de choc tandis qu'il dévisagea la personne se trouvant devant lui. Mais était-ce bel et bien une personne ? Qui était-il ? Non, qu'était-il ?
– Tu sais ce qui est formidable en hiver ? Outre le fait que je méprise cette saison, car j'ai une sainte horreur du froid. Il commence à faire nuit beaucoup plus tôt.
Et en effet, le peu de lumière qui s'offrait à eux commençait à décliner progressivement, annonçant la venue de la nuit et avec elle : l'obscurité et les ténèbres.
– C'est toi, n'est-ce pas ? L'enfant de l'incident.
– Ah ! Ding dong, il paraît que nous avons un gagnant. Tu as réalisé cela tout seul ? Combien de temps cela t'a pris pour comprendre ?
– Que s'est-il passé ? Il y a vingt-cinq ans. Que faisais-tu ici ? demanda Grégory.
– Ce que font tous les enfants naïfs : Je suis venu faire un vœu.
– Un vœu ?
– Un vœu au puits.
Une nouvelle fois, Kylian assista à une drôle de transformation naissante sur le visage de son lieutenant tandis que celui-ci avait l'air de secrètement réunir tous les morceaux du puzzle dans un coin de sa tête.
– Ce n'est qu'une légende, souffla-t-il, Cela ne se peut...
– En es-tu certain ?
– Qu'as-tu souhaité ? Kylian ! Qu'as-tu souhaité ? On dit que quiconque fait un vœu à ce puits doit y laisser quelque chose qui lui est cher en contrepartie. Qu'as-tu souhaité ? Réponds !
Telle est la grande question qui demeurait secrète depuis vingt-cinq années. Qu'avait bien pu souhaiter un petit garçon de cinq ans ? Qu'étaient-ils ? Les mots qu'il avait murmurés tout bas en pensant alors qu'une sorte de bonne étoile magique l'écouterait ?
Malheureusement, ce ne fut pas une bonne étoile qui se pencha sur son cas. Loin de là.
– Ce que souhaitent tous les petits garçons... répondit-il dans un sourire amusé.
Alors que la lumière s'éteignit, plongeant la demeure maudite dans le noir, le vent se leva et il amena avec lui, un bruit dès plus agaçants. Un chant.
" Quand viendra le vingt-quatrième jour de l'hiver, la maison dissimulée dans la poudrière ouvrira les portes de ses mystères.
De nouveau retentira alors la voix de Lucifer s'élevant à travers les feux de l'enfer.
Prends garde, toi l'enfant qui jadis le condamna par une prière au-dessus du puits bercé de lumière."
– J'ai souhaité être le héros de l'histoire.
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Tout ce qu'il reste
Misteri / ThrillerAs-tu déjà fait attention ? À cette maison située au bout du chemin ; celle qui se cache derrière les pins. Selon la rumeur, elle serait inhabitée. Pourtant, à plusieurs reprises, une silhouette, passant ici et là, derrière les fenêtres, nous a été...