Chapitre 10

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Il faisait nuit noire dehors. Face à la fenêtre depuis laquelle on pouvait observer les ruelles étroites de la ville où jouaient des enfants ailés, l'Ombre au plumage noir avait le regard perdu au loin. Grâce à ses pupilles plus développées que celles des Terriens, il pouvait facilement repérer une maison qui se démarquait des autres, à plusieurs centaines de mètres de là : la Maison du Maître.

— Qu'est-ce que tu comptes faire d'elle ? lui demanda le Clair qui venait de le rejoindre.

— Je n'ai pas le choix, je dois m'en occuper, répondit l'Ombre, plongé dans ses pensées.

— Ne fais pas comme si son sort t'était indifférent. Tu l'aimes, ça se voit.

Concentré sur la demeure où vivaient paisiblement un couple de Nablas et leur petite-fille, l'homme aux plumes aussi sombres que le ciel ne répondait pas alors son interlocuteur posa une nouvelle question, espérant obtenir l'honneur d'une réponse :

— Que feras-tu lorsqu'elle deviendra Maîtresse ?

Maîtresse ? s'étonna l'homme aux yeux rouges en se retournant pour faire face à Ultan qui avait formulé cette hypothèse.

— Oui, c'est bien la fille de Solemnia Erebus, non ? Son sang a beau avoir été mélangé à celui d'un Terrien, elle descend d'Érèbe.

— Elle n'a que quatre ans ! Elle ne peut pas...

Il ne termina pas sa phrase, réalisant lui-même dans quel état d'énervement cela le plongeait et donc ce que cela pouvait bien signifier pour lui. Quatre ans, quatre années que le Maître lui avait confié ce bébé aux cheveux roux et aux yeux d'un vert pétillant. Cet enfant qui aurait dû être le sien. Si seulement Donn-Sleibhe n'avait pas commis l'erreur, il y a six ans, de s'enfuir avec Solemnia... On lui avait volé ses souvenirs de l'époque, mais la femme dont il était amoureux lui avait tout raconté alors qu'elle portait leur enfant. Comment était-il tombé si bas ?

— Alors, se réjouit le Clair, tu vois que tu t'inquiètes pour elle plus que tu ne le prétends.

— Bien sûr que oui, Ultan, je me soucie d'elle. Elle est tout ce qui me reste de Scota, la dernière branche à laquelle je peux me raccrocher pour espérer rester auprès de celle que j'ai tant aimée...

— Je vois, dit d'une petite voix désolée l'homme au plumage flamboyant en s'approchant de son ami et en posant une main sur son épaule pour lui prouver son soutien émotionnel.

— Je veux être une meilleure personne pour cette enfant, affirma Donn-Sleibhe en fixant la Maison du Maître à travers les vitres de la fenêtre, sans savoir que, six ans plus tard, il serait à la tête du peuple de Daemonium.


* * *


Ouvrant doucement les yeux, Augusteen fut éblouie par la lumière du jour provenant de la fenêtre face à elle. Elle mit un certain temps à comprendre qu'elle n'était pas dans son lit, et à se rappeler qu'elle était venue dans cette chambre – celle qu'elle occupait étant enfant – avant de se coucher pour visionner certains Souvenirs contenus dans la montre à gousset que lui avait confiée Annie. Cependant, elle s'était endormie et ne se souvenait que de quelques instants de ces visions du passé qui ressemblaient parfois à des rêves, parfois à des cauchemars.

Elle avait vu Donn-Sleibhe se lever de nombreuses fois en pleine nuit car le bébé qui occupait cette pièce pleurait ou avait besoin d'être nourri. Ils avaient aménagé la chambre de l'adjutor de l'époque pour qu'ils y cohabitent à deux ; c'était d'ailleurs Arnel, le frère jumeau d'Annie, qui fut finalement le dernier adjutor d'Eryx-Eros, et c'était ainsi que Donn-Sleibhe et la Gardienne étaient devenus si proches. En effet, ils s'étaient rencontrés dès l'arrivée du nouvel Ombre à Daemonium et Annie avait ressenti énormément d'empathie envers lui ; elle a tout de suite souhaité l'aider et, quand Arnel lui racontait tout ce que Donn-Sleibhe faisait pour Augusteen, la Gardienne savait qu'elle avait fait le bon choix en lui apportant son soutien.

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