Chapitre 11

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Après plus de deux mois passés à Daemonium, Augusteen n'avait jamais aussi mal dormi que cette semaine. Réveillée régulièrement par des cris, des rugissements et des bruits de casse provenant de l'extérieur, elle savait très bien ce qui se passait : comme l'avait prévenue Ultan, une guerre civile avait éclaté depuis plusieurs jours. Mais pas seulement : au sein de la Maison du Maître aussi la tension était palpable. Piégée entre un conflit interne avec Ultan et un conflit externe avec les Nablas qu'elle s'était engagée à gouverner, la jeune femme évitait tout contact avec qui que ce soit ; même avec Donn-Sleibhe à qui elle ne rendait plus visite.

Pourtant, une voix dans sa tête lui criait constamment qu'elle devait agir, qu'elle devait leur montrer qui était la Maîtresse, qu'elle devait prouver au monde de qui elle descendait.


Au Memorium, Ultan, habillé en noir, prenait le thé avec Annie qui portait une robe blanche, débriefant sur ce qui était en train de se passer dehors. La Gardienne ne semblait plus ressentir aucune émotion ; silencieuse, elle écoutait l'adjutor faire son rapport, énervé et déçu.

— Augusteen est en pleine bataille avec elle-même. Elle se bat contre ses principes, ses valeurs et son devoir. Elle a conscience du bien et du mal, ne t'en fais pas pour ça, le rassura-t-elle. Il faut simplement qu'elle retrouve son équilibre parmi tous ces bouleversements.

Le Clair barbu lâcha un long soupir d'irritation.

— Ce n'est pas pour rien si elle s'appelle Augusteen. La réponse se trouve dans son nom, rappela son aînée. C'est comme si elle était constamment coincée dans la période que les Terriens appellent adolescence, une période compliquée et pleine de doutes et de remises en question.

— Ça n'excuse pas tout. Son comportement est totalement illogique ! Il y a encore quelques jours elle passait son temps à chercher un moyen de réveiller Donn et, maintenant, c'est comme si elle avait abandonné et qu'elle le considérait déjà comme mort.

— Elle n'est pas dans son état normal, je te l'accorde, mais laisse-lui du temps pour se remettre de tout ça. Mettons-nous à sa place aussi, elle a appris seulement récemment qui elle était vraiment. Cela chamboulerait n'importe quelle âme.

Avant même qu'Ultan puisse ajouter quoi que ce soit, l'immense porte du Memorium s'ouvrit dans un grand fracas, les deux Nablas se retournèrent dans un même mouvement de tête vers Jude, le neveu de la Gardienne, habillé d'un pantacourt treillis et d'un débardeur noir, qui venait d'apparaître en annonçant précipitamment :

— Elle a déclaré la guerre.

Quoi ?

Les deux Clairs assis autour de la table auraient été incapables de dire lequel des deux avait parlé. Ils étaient toujours sous le choc de ce que venait de leur apprendre l'homme d'une vingtaine d'années aux plumes marron.

— Augusteen Erebus a officiellement déclaré la guerre à tous ceux qui s'opposeraient à son titre de Maîtresse, reprit Jude.

Ultan se leva d'un bond, se tourna vers Annie et lui demanda avec sarcasme :

— Et là, tu crois qu'elle l'a réglé, son conflit intérieur ?

Puis il sortit du bâtiment sacré avec Jude pour aller constater les dégâts de cette annonce.

Se retrouvant seule, la Gardienne finit sa tasse de thé puis se dirigea doucement vers le livre qu'elle était en train de consulter avant l'arrivée de l'adjutor deux heures plus tôt. Ce livre renfermait l'âme d'une Ombre qui avait bien connu la famille Erebus, notamment à l'époque où Solemnia était encore à Daemonium. Cette Ombre, Lisebeth Dupuis, était chargée de concevoir des vêtements pour la famille des Maîtres et elle avait fait une découverte : elle ne se souvenait pas exactement de l'âge qu'avait Solemnia lorsqu'elle les avait vues pour la première fois, mais un jour en prenant de nouvelles mesures de la jeune fille, l'Ombre avait remarqué des marques sur son corps. Évidemment, elle n'avait pas le droit de poser de questions alors elle s'était abstenue, mais cela l'avait inquiété. Elle n'en avait parlé à personne et était morte en emportant ce secret avec elle. Maintenant que cela s'était reproduit, Annie pouvait faire des comparaisons et en déduire l'origine et la signification, mais la Gardienne avait bien peur de ce qu'elle pouvait comprendre.

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