Chapitre 17

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En début de soirée, avant d'aller chercher Augusteen, le Maître s'était rendu chez Judith. Elle habitait dans une petite maison qui était séparée en quatre appartements. Elle résidait dans celui du dessus, à droite. La Claire savait très bien que quelque chose de grave devait clocher pour que son supérieur vienne en personne chez elle. Silencieusement, Donn-Sleibhe avait tendu deux feuilles de papier à Judith, chacune pliée en deux. La femme ailée ne les prit pas, elle se contenta d'aller s'asseoir sur le canapé du séjour, prenant sa tête entre ses mains, fixant le sol. L'Ombre l'avait suivie après avoir refermé la porte, ne comprenant pas la réaction de la jeune femme. Ce qu'il ne savait pas c'était que les deux filles s'étaient mises d'accord : Augusteen devait écrire quelque chose pour Judith. Découvrant qu'elle l'avait fait et que c'était son père qui le lui apportait, la Nabla aux yeux bleus avait deviné qu'un événement grave allait se produire.

— Alors ça y est, vous allez la laisser partir comme ça ? Vous avez beau être le Maître, vous êtes avant tout son père et, là, franchement, vous n'êtes qu'un con, osa-t-elle dire à voix haute.

L'homme aux ailes noires savait que la Claire n'avait pas vécu beaucoup de temps à Daemonium et n'avait, par conséquent, pas encore totalement intégré le respect que vouaient les Nablas envers les Maîtres ; c'était pour cette raison qu'elle avait osé l'insulter ainsi.

— Judith, si tu aimes réellement ma fille, alors tu la laisseras s'en aller.

Sur ces mots, il repensa à quand Salmoneus, le père de Solemnia, lui avait dit de se battre pour elle, pour leur amour et pour leur enfant. Il comprenait à présent que, parfois, se battre pour quelque chose signifiait aussi se battre contre son égoïsme et donc pour le bien de ce que l'on pouvait convoiter. Donn-Sleibhe s'accroupit devant Judith et posa une main sur son épaule pour l'interpeller.

— Je suis désolé, mais c'était dans le deal, dit-il en plongeant son regard rouge dans les yeux bleus de la femme de vingt-quatre ans. Judith Lloyd, quoi qu'il arrive, tu ne quitteras pas ton logement avant demain matin.

— Vous ne voulez pas que j'assiste au bannissement de Steen ? réalisa-t-elle quand il termina sa tension mentale.

— Je suis désolé, répondit-il simplement avant de quitter cet endroit.


Quand elle fut seule, Judith prit les deux morceaux de papier – certainement arrachés d'un carnet – que le Maître avait laissés à côté d'elle, sur le canapé. Elle les déplia et se mit à lire, découvrant que ce n'était ni écrit en latin ni en grecque et que, par conséquent, elle était l'une des rares Nablas à pouvoir lire ces mots grâce à ses nombreuses années sur Terre :

« Judith,

puisque nous ne pouvons être ensemble à Daemonium, j'allais te proposer de m'accompagner, de venir vivre avec moi sur Terre. En réalité, je l'ai déjà fait, mais j'ai bien vu ta réaction, alors j'ai préféré t'écrire cette lettre, comme tu me l'avais demandé. Tu t'en souviens ? Tu voulais que j'écrive pour toi, que je te laisse un souvenir différent de ceux qu'on peut retrouver au Memorium, alors je t'ai laissé un petit quelque chose en plus de cette lettre que tu es en train de lire. Je ne sais pas si cela te conviendra ; j'aurais aimé garder chaque souvenir de ce monde pour les retranscrire dans mon roman, mais je sais bien que c'est impossible. D'un sens, tant mieux, sinon j'aurais été tentée de revenir, de trouver un moyen pour que Donn vienne me chercher de nouveau sur Terre.

J'écrirai un roman, mais je ne suis pas douée pour raconter les histoires d'amour alors excuse-moi si je la passe au second plan. Il pourrait y avoir une Judith et une Augusteen dedans aussi. Je me rassure en me disant qu'elles, au moins, pourront vivre une belle histoire d'amour sans craindre quoi que ce soit.

DaemoniumOù les histoires vivent. Découvrez maintenant