Prologue

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De mes cours de philosophie j'ai retenu que d'après Platon : « Il est plus dangereux de tomber en amour que de tomber du haut d'une falaise. » Aujourd'hui, alors que je cours comme une dératée à travers les rues de Long Beach sans savoir où je vais, j'en ai l'amère confirmation.

Affublée d'une robe de princesse inconfortable, pied-nus, mes talons à la main, je fuis ma vie qui a volé en éclat. Durant les dernières minutes qui viennent de s'écouler, cette journée si magnifique s'est transformée en un véritable cauchemar dont je suis malheureusement devenue l'héroïne bafouée. Je suis incapable de me réveiller... La douloureuse réalité est là, ancrée dans ma chair, dans chacun de mes atomes, elle m'emporte dans une chute vertigineuse, inattendue, incontrôlable...

Mon cerveau, ce traître, ne cesse de répéter en boucle les images des instants où tout à basculer, comme pour m'obliger à accepter.

Impossible, c'est trop difficile !

Le vent fouette mon visage, mes cheveux virevoltent dans tous les sens et se collent sur mes pommettes baignées de larmes. Certaines rafales sont si fortes que l'air, s'infiltrant dans ma trachée, obstrue ma respiration. Je suffoque. Mon cœur se serre inlassablement dans ma poitrine avec une force telle que j'ai l'impression qu'il va exploser en un million de particules.

Une averse diluvienne s'abat sur mes épaules nues. Mon épiderme glacé et mon souffle aux abonnés absents m'obligent à stopper ma course effrénée. Les paumes en appui sur mes genoux, j'inspire et expire longuement mais rien n'y fait, mes poumons me brûlent et compriment ma cage thoracique. Je n'arrive pas à canaliser ma respiration anarchique. J'ai beau regarder autour de moi je ne sais pas où je suis. Je ne saurais dire depuis combien de temps je cours sans connaître la direction que j'emprunte. Je suis perdue. Dans tous les sens du terme.

Je fini par m'effondrer sur un banc face à la mer, jambes pliées contre mon buste que j'entoure de mes bras. Seuls les éclairs qui zèbrent le ciel noir et le faible éclairage public me permettent de distinguer la houle des vagues agitées. Cette intempérie hors-norme qui déchaîne les éléments n'est pas aussi violente que la tempête qui fait rage en moi. Celle qui piétine mes croyances, déchire mes espoirs, réduit à néant mes rêves.

De grosses larmes ruissellent sur mes joues, se mêlant aux gouttes de pluie. Des passants encapuchonnés dans leurs manteaux s'arrêtent à ma hauteur, me dévisagent, l'air inquiet, mais je ne leur prête pas attention. Je refuse de voir la pitié dans leurs yeux. Si je suis dans cet état c'est en partie de ma faute, mais pas seulement. Eux aussi sont responsables. Je paie le prix de ma bêtise, de mon insouciance, de mon manque de discernement. J'ai accordé ma confiance bien trop tôt et maintenant...

Comment ai-je pu être aussi stupide ?

J'ai laissé mes sentiments prendre le dessus sur ma raison. Jamais plus je ne commettrais une telle erreur !

Comment ai-je pu me laisser berner à ce point ?

Comment me relever après une si grande trahison ?

Comment surmonter ce déshonneur ?

Je ressens la morsure de ses crocs jusque dans les tréfonds de mon âme. Mais la question qui me dévaste tant elle réveille l'ignominie de nos actes c'est :

Comment avons-nous pu...

Impossible d'achever cette pensée, trop éprouvante, trop honteuse, trop douloureuse. Nos souvenirs impriment aussitôt mes rétines. Une trainée de bile acide remonte le long de ma trachée, trop puissante pour que je parvienne à arrêter le flot qui se répand en une fraction de seconde sur le bitume. Elle s'étale là où s'écrasent et meurent les derniers morceaux de mon cœur brisé.

Je me sens salie, trahie. Si seulement tout avait été établi et clair depuis le départ, jamais rien de tout cela ne serait arrivé. Mes poings se serrent rageusement face à cette évidence qui me percute de plein fouet. Je n'ai qu'une seule envie : fuir encore plus loin. Loin de tout, loin d'eux.

Je m'écœure tant que ça en devient insupportable. Rester statique me rend folle. Je me lève d'un bond, prête à fuir, encore, mais une paume chaude se déploie sur mon épaule glacée en même temps que la voix familière de son propriétaire me murmure que tout va s'arranger, que je ne suis pas seule. Mes larmes redoublent d'intensité à l'instant où je me laisse tomber dans ses bras.

J'ai entendu dire que l'amour donne des ailes...

Les miennes se sont brisées en plein vol.




*** Voilà pour le prologue de cette nouvelle version que je l'espère vous avez pris plaisir à lire.
À très vite pour la suite.
Emma ❤️***

BEHIND - Tome 1. The Wicked GameOù les histoires vivent. Découvrez maintenant