28 - « Riders on the Storm »

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« Riders on the Storm » - The Doors


Charly





Assis dans mon fauteuil en cuir, jambes écartées, les coudes posés sur mes genoux, un verre entre les mains, je fixe à travers l'immense baie transparente de mon salon le panorama qu'offre la nuit. L'unique bruit qui vient troubler le silence qui m'entoure se résume au crépitement de la pluie qui s'abat frénétiquement contre les vitres. Dans ce crépuscule tempétueux, la mer en horizon et les palmiers se réduisent à des ombres indéfinissables, à la limite de l'invisible.

Ce triste spectacle n'est qu'un pitoyable reflet de ce qu'il se trame dans mon crâne : l'obscurité complète qui y règne empêche toute cohérence dans mes idées, toutes mes élucubrations s'y bousculent et plus rien n'a de sens. C'est le bordel total là dedans. Cassiopée occupe tout l'espace, le contamine, elle refuse de foutre le camp. Elle m'obsède tellement que j'en perds les pédales, mon corps tout entier est corrompu par ce chaos. 

Je porte à nouveau le verre à mes lèvres, espérant qu'une lampée de Whisky supplémentaire gommera son visage. Raté. Ses traits délicats se dessinent encore et encore avec obstination. Leur luminosité perce inévitablement les brumes opaques qui ont élu domicile dans mon cerveau pour me plonger  plus profondément dans les ténèbres. Un vrai non-sens ! C'est pourtant bien cette fille solaire qui me précipite chaque jour un peu plus dans les tréfonds de mon propre enfer.

Pour tenter d'occuper mon esprit fracassé, je lance en fond musical « Riders on the Storm » de The Doors, groupe dont je porte ce soir un tee-shirt délavé paresseusement enfilé sur un jean brut. Dès les premières notes, je me vautre un peu plus dans mon fauteuil. Mon cou épousant le haut du dossier, je balance négligemment ma cheville sur ma cuisse, mon pied nu battant la mesure dans le néant. Une main tenant la bouteille de Whisky qui pend par-dessus l'accoudoir, l'autre qui enserre le verre presque vide, je fixe le plafond et observe les ombres qui y dansent au rythme de la musique. Mais tout me ramène inévitablement à elle.

Comment cette gamine qui n'a pas encore vingt ans a-t-elle pu à ce point perturber mon équilibre ?

Dès que je ferme les yeux, je la revois étendue sur l'asphalte, inconsciente. Cette peur soudaine et puissante que j'aie éprouvée à ce moment-là se rappelle à moi, paralysant tous mes muscles alors que mon cœur se met à sprinter avec virulence dans ma poitrine. Une panique qui bousille tous mes putains de repères...

Et cette intensité que j'ai ressentie lorsque nous avons parlé dans sa chambre d'hôpital, sans filtres, sans barrières. Cette proximité naturelle et nouvelle m'a effrayé. Ce soir-là, j'ai pris conscience de beaucoup de choses. Cassiopée n'est pas si différente de moi, son but dans la vie est sa réussite professionnelle. Elle est déterminée, forte, acharnée à aller au bout de ses objectifs de carrière. Toutefois, contrairement à moi, elle croit en l'amour, le vrai, l'unique, mais ne le place pas en numéro un de ses priorités. Puis, lorsqu'elle a répondu à ma question sur son tatouage, elle n'a pas délivré tous les secrets qui l'entourent, juste le strict nécessaire pour attiser ma curiosité, cependant le peu qu'elle a révélé était empreint de sincérité. À ce moment précis, j'ai vu ressurgir au fond de ses yeux une blessure profonde, cette fêlure m'a touché en plein cœur.

Alors que les lueurs du jour s'élevant sur la ville de San Francisco commençaient à poindre, cette ultime prise de conscience qui remettait en cause mes croyances les plus fondamentalement ancrées m'a littéralement foutu en l'air !

Depuis cette nuit-là, ces questions ne cessent de tourner inlassablement dans mon subconscient et se répètent, encore et encore comme si les réponses qui allaient en découler pouvaient être différentes...

BEHIND - Tome 1. The Wicked GameOù les histoires vivent. Découvrez maintenant