BEHIND - Tome 1. The Wicked Game

29 - « Wicked Game »(partie 1)

« Wicked Game » - Chris Isaak

Charly

Entouré de Carter et Jared, j'arrive sur le front de mer. J'ai interprété le message que ce dernier m'a envoyé cet après-midi, une invitation à le rejoindre pour la soirée, comme un signe du destin qui m'aiguille vers le bon choix à prendre : Cassiopée.

Je la repère immédiatement... Sur la plage, assise face au feu, elle me tourne le dos. Ses longs cheveux blonds ondulant légèrement jusqu'au creux de ses reins me captivent. Je voudrais ne pas ressentir cette profonde et irrépressible envie qui me pousse vers elle. Je préférerais me moquer de son existence, même la détester, mais j'en suis incapable. Cette fille m'obsède à un point que chacune de mes pensées à son égard devient douloureuse, et après avoir essayé de rester loin d'elle j'ai eu la sensation de virer fou. Elle m'a ensorcelé.

Pourtant, lorsqu'avec mes compagnons nous rejoignons le groupe déjà présent, j'agis de façon contraire à mes envies les plus profondes. Je l'ignore. La voir dans cette petite robe en coton blanc à rayures bleues, qui lui confère un air innocent si tentant, serait susceptible de m'arracher un sourire, mais je serre les mâchoires, ravale ce sentiment de tendresse qui ne me ressemble pas et ne prends même pas la peine de la saluer. Si je m'y autorisais, je serais incapable de lutter contre l'envie de me jeter sur ses lèvres et ainsi marquerais une appartenance que je ne suis pas en mesure de revendiquer.

Je suis un homme libre, pas un putain d'amoureux transi qui perd ses couilles juste pour les beaux yeux d'une nana !

Le soleil a achevé de tirer sa révérence, seules les flammes du feu improvisé autour duquel nous prenons place éclairent nos visages. À la seconde où je lève mon regard vers elle, assise face à moi, de l'autre côté du brasier, je découvre que l'imbécile de Kyle vient de s'installer à côté d'elle. Je vois rouge. Tous mes muscles se tendent. Ma colère grimpe en flèche.

Bon sang, Charly, maîtrise-toi !

Et si elle s'était remise avec lui maintenant qu'elle a obtenu ce job qui comptait tant à ses yeux ?

Dès lors qu'elle m'aperçoit, tout son corps se met en alerte. Aurait-elle peur que je révèle à son petit chéri la façon dont elle me désirait il n'y a pas si longtemps encore ?

Eh ouais, Kyle, ta gentille, douce et innocente Cassie, suffoquait sur mes lèvres et mourait d'impatience que je la prenne.

Un long accord de guitare qui s'élève au-dessus des crépitements du feu impose le silence à tout le monde. James se lève.

— Hey vous deux ! interpelle-t-il Cassiopée et Kyle en pointant le manche de son instrument vers eux. Celle-là, elle est pour vous. En souvenir du bon vieux temps.

Les intéressés s'observent, étonnés, mais ne peuvent retenir un franc sourire lorsque le musicien entonne les premiers notes de « Stay » de Rihanna. J'étudie rapidement le petit groupe. Tous sont subjugués et paraissent comprendre le poids de cette chanson, ainsi que ce qui a uni les deux anciens tourtereaux, quand moi je reste dans l'ignorance la plus complète. Un lien, celui des souvenirs, semble se tisser entre les deux concernés. Leurs yeux communient, ils se parlent. Soudain, comme pour fuir la puissance de leur échange, Cassiopée se dérobe en plantant les siens dans le sable. Les miens demeurent rivés sur elle. Regarder ailleurs devient impossible, décrypter ses sentiments se transforme en une urgence absolue. Je crains de comprendre que j'ai été pris à mon propre jeu, que j'ai cru l'intéresser alors qu'en réalité ce Kyle reste l'unique homme dans son cœur.
Pourquoi y occuper la seule place me semble-t-il tout à coup si vital ?
L'air s'évade brusquement de mes poumons, chacune de mes inspirations se transforme en un déchirement dans ma poitrine. Ma gorge me brûle tant j'aurais envie de hurler, de leur ordonner de mettre fin à cette mascarade, de s'éloigner l'un de l'autre sur le champ.

Elle ne peut pas être à lui !

Je ferme les yeux pour me recentrer, mais même derrière cette barrière, son visage m'apparaît encore et encore avec une clarté incontestable. Je me sens privé de tout refuge, prisonnier de mon obsession. Lorsque je les ouvre, elle a redressé la tête et me fixe de ses sublimes prunelles. Son regard est indéchiffrable. Le lagon bleu s'est transformé en un océan en pleine tempête. Sa colère me foudroie.

Est-ce ma présence de ce soir qui la contrarie à ce point ? Ou bien mon silence des derniers jours ?

Alors que James entame le deuxième refrain, suppliant l'être aimé de ne pas partir, Kyle enroule son bras autour des épaules de Cassiopée. Elle ne s'en défait pas, reste collée à lui. Ne supportant plus ce spectacle qui bousille ma raison et mon self contrôle, je bondis sur mes jambes, tel un fauve et m'empresse de mettre de la distance entre nous.

Debout, face à la mer, je tente de calmer mes nerfs. Mes poings serrés se contractent si fort dans les poches de mon short que je risque d'en exploser les coutures, quand l'image de ce connard trop proche de Cassiopée se répète en boucle dans mon crâne. D'un geste machinal, je sors mon paquet de cigarettes, en extirpe une, la glisse entre mes lèvres et l'allume. J'aspire une bouffée tout en laissant ma tête basculer vers l'arrière, puis recrache un nuage de fumée en direction du ciel, aussi sombre et nuageux que mes pensées. Même cet acte, qui d'ordinaire me détend, ne m'apporte aujourd'hui aucune aide. Les sentiments contradictoires qui m'envahissent, se nouant autour de chacun de mes organes, ne parviennent pas à se dissiper ni à se délier. J'aurais besoin de bien plus...

Tant bien que mal, je me retiens de retourner vers le groupe pour aller modifier le portrait de l'autre d'abruti et le jeter sans ménagement dans le feu. Si je n'étais pas cet électron libre, j'irais lui balancer en pleine gueule que Cassiopée est mienne et que s'il s'avise un jour de poser à nouveau ses sales pattes sur elle je le défoncerai comme il se doit.

Pour la première fois, en les voyant tous les deux si proches, j'ai vraiment réalisé...

Réalisé qu'il avait déjà goûté sa bouche, glissé ses doigts dans ses cheveux, caressé sa peau, qu'il s'était délecté de sa chaleur, de son sourire... de ses putains de mains si fines sur son corps... Peut-être d'elle toute entière...

Je vais dégoupiller, bordel !

Maintenant, me voilà, les paumes rougies d'y avoir planté trop fort mes ongles, comme un imbécile devant ces maudites vagues, sans aucun effet apaisant et qui me rappellent que je suis ici et elle là-bas... J'ai l'impression de devenir complètement timbré, de me laisser mener par le bout de la queue, de la même manière que tous les connards dont il y a quelques semaines encore je me moquais. Elle me rend taré ! Elle ne devait être qu'un simple défi. Une distraction, putain ! Alors pourquoi me tourmente-t-elle autant ? Pourquoi ai-je envie de la garder pour moi seul et de la protéger contre tous ces prédateurs ?

Si tu veux réellement la préserver, n'est-ce pas de toi, en premier, que tu dois la tenir éloignée ?

Un léger parfum de cerise mélangé à celui du sel marin effleure mes narines. Toutes mes interrogations restent en suspens, car elle est là, juste derrière moi, j'en mettrais ma main à couper. Je prends une profonde inspiration, afin de gommer au mieux tout signe de colère pour ne refléter que l'impassibilité que je souhaite lui renvoyer et me retourne.

Immobile, les bras croisés sur son ventre, elle attend que j'entreprenne un quelconque geste ou une parole, mais rien ne sort. Devant mes lèvres closes, son regard se transforme en brasier. Et une déception que je n'aurais jamais cru voir teinte à présent ses magnifiques yeux.

Lorsqu'elle soupire, vaincue, et amorce un demi-tour, ma bouche s'entrouvre.

— Cassiopée...

Je devrais lui dire de partir, de s'éloigner de moi avant de lui causer vraiment du mal. Avant que la face cachée du parfait salopard que je peux être lui éclate en pleine tronche. Putain, mais casse-toi !

— ... reste !

Elle s'immobilise au son de ma voix.