Chapitre 7 : Gwyn

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Dans ce tendre souvenir qui ressemble à un conte, nous sommes dix enfants allongés dans les hautes herbes, au sommet d'une pente qui surplombe la plage où les phoques mettent leurs petits au monde. Je mâche une longue tige séchée par l'été en regardant rouler les chiots des mers entre les gros corps lisses de leurs parents.

— Moi, lance la jeune fille à la robe brodée tout en tressant des fleurs bleues en couronne, je pense, plus tard, que je pourrais épouser Gwyn ou Cilydd.

— Il vaut mieux Cilydd, conseille une autre. D'après ma mère, pour les époux comme pour les taureaux, il vaut mieux savoir qui les a fait, ça garde des mauvaises surprise.

— Et pourquoi pas moi ? maugrée Kay.

Quand les filles parlent mariage, elles parlent de nous tous, rejetons du meunier et du forgeron et bâtard d'Ector ; jamais du fils du seigneur.

— Toi tu es trop cher, se justifie la fille à la couronne. Gwyn, il pourrait me prendre avec la moitié de la dote qu'il faudrait pour toi, et puis Gwyn, on ne peut pas dire qu'on ignore quelle génisse l'a fait.

Neuf têtes se lèvent et, fière de sa science, la brodeuse explique :

— D'après ma mère, les enfants, ça prend au père, à la mère ou aux deux, mais Gwyn, il ne ressemble pas au seigneur Ector. Donc il tient tout de sa mère.

J'ai neuf ans. Je n'ai jamais pensé au visage de la mère dont j'ai habité le ventre et je me retrouve à dévisager la fille comme si elle venait d'annoncer que la Sainte Vierge est en train de ramasser des coquillages au milieu des phoques.

Le lendemain, Kay et moi chapardons dans les affaires de mon père le vieux miroir d'argent poli de Mamoune Lynette. Nous le frottons jusqu'à ce qu'il brille comme une lune pleine, jusqu'à ce que mon visage s'y reflète, jusqu'à ce que je découvre cette mamoune que je n'ai jamais connue : une femme aux cheveux de blé et aux yeux de ciel.

~*~

Quand je me remémore le jour qui succéda à la mort de mon enfance, il apparait comme un rêve effiloché, collier de scénettes alignées sur comme des perles sur un fil.

La première d'entre elle se déroula alors que je me trouvais dans la cour que notre maison partageait avec trois autres demeures de chevaliers. Je ne sais plus si j'avais mangé ou pas, si je m'étais débarbouillé ; juste qu'il bruinait sur Carleon, que mes manches remontaient sur mes coudes et que j'étais agenouillé, sans mes chausses, devant un baquet d'eau froide où je savonnais mon chiot. J'avais commencé par un collier de mousse, à sec, pour que les puces ne remontent pas sur sa tête, avant de le plonger pour le frotter avec douceur pour ne pas trop irriter sa peau abimée.

Je crois que je lui cherchais un nom lorsque Kay apparu dans l'embrasure de la porte. Je ne sais pas combien de temps il passa à m'observer avant que je ne remarque sa présence, et je ne me rappelle pas si un pressentiment ou le hasard me fit lever la tête dans sa direction, mais je me souviens de ses yeux rouges, assombris par l'ombre de ses épais sourcils. Il avait le regard d'un garçon en peiné, perdu, furieux ; furieux contre quoi, je n'en étais pas certain, mais je senti qu'une partie de cette rage se dirigeait vers moi.

La veille, Ector m'avait révélé que je n'étais qu'une bouture insérée dans le tronc de sa famille et qu'après y avoir poussé, on allait m'en extraire pour me replanter ailleurs – et durant cette aube froide et grise, Kay et moi prenions la mesure de cette découverte : que nos veines ne nous liaient pas ; qu'elles ne nous lieraient jamais plus et que j'étais libre de devenir un étranger. Et lui, trop souvent mal aimé des autres, se préparait à me rejeter avant que je ne puisse me débarrasser de lui.

L'héritage de nos pèresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant