Il était une fois : un souvenir terrible qui devint un conte pour la Bretagne.
Il se déroule dans la lointaine forteresse de Tintagel. Le vent couche sur la lande la bruyère brunie par l'été ; il porte jusqu'à mes lèvres tout le sel des vagues. Ma peau en avait déjà le goût, à force de larmes.
Un messager nous a appris, au matin, qu'Uther et sa reine venaient me visiter.
Uther, le meurtrier de mon père ; Uther, l'époux de ma mère. Mon maître. Mon tyran.
Personne ne crie dans la cour. Le silence des gardes et des gonds bien huilés de la grande porte clament notre reddition : l'assassin de mon père est ici chez lui.
Igraine descend de son palefroi. Elle prétend m'étreindre contre son cœur, comme si elle m'aimait à moitié autant qu'elle adore Uther.
— Je ne concevrai plus, se justifie la reine.
— Il faut des héritiers à la Bretagne, ajoute Uther.
Car Arthur, le seul enfant né vivant de ma génitrice et de l'assassin de mon père, a péri dans un incendie dans la première année de sa vie.
J'ai seize ans. Je suis ce que ce Haut Roi à la parentèle décimée a de plus proche. Le ventre que ma mère ne sera plus.
— Pour le bien de la Bretagne, duchesse de Tintagel, vous épouserez le roi Lot d'Orcanie et de Lothian.
Il ne quémande pas ; en capturant la main de ma mère, il a conquis le droit de me commander.
Et moi, sans doute ai-je attiré sur moi ce nouveau malheur lorsque, sous l'éclat pâle de la lune, ma sœur et moi avons gravé nos malédictions sur des feuilles de plomb. Mais lorsque nos doigts fins les jetèrent dans les profondeurs noires d'un puit ancien, lorsque nous priâmes les reines divines de jadis de maudire la matrice de notre mère et d'assécher la semence d'Uther, comment aurions-nous pu nous douter que nous attirions le malheur sur nos têtes ?
~*~
Prévenue par Cynfarch, je me rendis à la lice dès le petit déjeuner des garçons terminé ; je prétextai de les accompagner jusqu'aux appartements de l'aumônier d'Uther qui, en plus de sa charge ecclésiastique, assurait l'apprentissage du latin de la foule d'enfants nobles en confiage à la cour. Ils se trouvaient à l'autre bout de la forteresse, qu'on traversait par un labyrinthe de cours, d'escaliers, de coursives accrochées à flanc de façade et de couloirs et qui, dès l'aube, grouillaient du va-et-vient des domestiques, de la maisonnée et des invités du Haut Roi.
Nous trouvâmes la coursive plus achalandée que ne le justifiait le spectacle des écuyers à l'entraînement. L'air de ce matin d'Avril gardait un piquant nocturne qui, d'ordinaire, aurait rabattu les badauds à l'intérieur ; comme moi, ceux qui s'attardaient le long des rambardes guettaient sans doute le mystérieux garçon dont le visage évoquait celui d'Uther.
Je m'arrêtai à l'écart des autres spectateurs. Mes quatre fils s'alignèrent autour de moi. Pour eux qui ignoraient encore tout de cette nouvelle carte qui rabattait nos jeux, ma curiosité ne faisait que repousser un cours qui ne passionnait que Gawain, mon plus grand, et que les deux cadets, Agravain et Gaheris, subissaient avec aussi peu de talent que d'enthousiasme. Et ce répit les enchantait d'autant plus qu'on s'agitait dans la lice : deux adolescents échangeaient avec animation avec les trois princes de Dumnonia continentale et leurs éclats commençaient à attirer l'attention.
— Ils vont se battre ! s'exclama Agravain avec un air réjouit. Je parie sur Bédivère !
— Je ne crois pas qu'il se battra, corrigea Gawain. Il ne se mêle pas des brouilles.
VOUS LISEZ
L'héritage de nos pères
FantasíaLe roi Uther Pendragon se meurt, et le roi se meurt sans héritier. Jeune fils illégitime d'un petit seigneur gallois, Gwyn quitte pour la première fois la terre reculée où il a passé son enfance. Il découvre alors que les héros de son enfance ne s...