Chapitre 8 : Anna

43 6 8
                                    

Il était une fois : un souvenir doux comme le miel qui devint un conte pour la Bretagne.

Il prend place sur le roc royal de Din Eidyn, au sein d'une forteresse juchée au-dessus d'un lac rond comme un miroir. Je suis seule, dans mon grand lit aux tentures lourdes, mon fils collé contre mon flanc. Il dévore de ses yeux bruns les pages de mon livre rouge ; ils suivent le mouvement de mon doigt sur la page, l'ongle ovale qui souligne les lettres à mesure que je les prononce. Gawain a l'âge de découvrir les histoires. Il pleure, rit, s'effraie ; il me demande, à chaque fois que je referme la couverture de cuir cramoisi : encore.

J'embrasse les doux cheveux cuivrés sur sa tête.

— Les rêves, renardeau, prolongent les aventures du preux Achille quand tu dors.

Il se blottit contre moi. Une tempête d'hiver hurle contre les murs de la forteresse. Le cierge fixé au pilier du lit à baldaquin nous entoure d'ambre dansante ; à l'abri de nos rideaux d'épaisse laine ocre, à deux, nous ne craignons rien du monde.

— Dans mes rêves, murmure mon fils, avec Patrocle, ils s'aiment pour toujours...

~*~

— Que prévoyez-vous de faire de Gwyn ?

Uther, avec la prudence d'un cavalier approchant une jument nerveuse dont les oreilles sont déjà couchées sur la nuque, ne se pressa pas pour m'éclairer. Il me savait mal apprivoisée ; à raison, car nous n'avions jamais eu ni l'occasion ni l'envie de nous rapprocher... et les dix ans qui me séparaient de mon arrivée à Din Eidyn m'avaient grandie en taille comme en pouvoir, avaient fait de moi le cœur du Lothian et de l'Orcanie. Cela forçait le Haut Roi à me manier avec un peu plus de doigté que la frêle héritière de Gorlois.

Il s'appuya sur la rambarde de la lice. Ses yeux pâles suivaient les enfants qui s'entraînaient en contrebas, toute la bande de petits princes qui règnerait un jour sur son fragile empire. Ils revenaient inlassablement sur Gawain et Gwyn. La présence du fils ne rendait que plus flagrante la déchéance physique du père : ses cheveux d'un gris jaunâtre, sa barbe qui se clairsemait, les pommettes affaissées.

— C'est mon fils, déclara-t-il enfin. Je dois assurer son avenir.

— Lui lèguerez-vous des terres ?

Je n'ajoutai pas l'évidence : que ce qui appartenait à Uther avait été, tacitement, promis à Lot le jour où on m'avait mariée. Trop jeune, à un homme trop âgé, dans le dos duquel on avait ricané parce qu'il convolait avec une dame qui aurait dû être sa fille.

Et ce qui devait passer à Lot appartiendrait à mes fils, mes amours, mes récompenses pour la paix que j'avais acceptée en me laissant mener à l'autel.

— Je vais le marier, esquiva Uther. À Gwenivère de Cameliard.

Je ne parvins pas à cacher ma stupéfaction et lui décochait un regard étonné, les sourcils levés hauts sur mon front blanc. Cette fille hériterait, seule, de tout le royaume de son père Léodegrance – de ses vertes vallées, de ses lacs poissonneux, de ses troupeaux qui engendraient les meilleurs destriers de toutes les Bretagnes. Un parti aussi magnifique que recherché. Cela jetait un nouveau jour sur des tractations que j'avais cru comprendre. Lot s'efforçait depuis quatre ou cinq ans d'éloigner les prétendants à la main de la princesse de Cameliard. J'avais supposé qu'il destinait la princesse à l'un de nos fils – Agravain ou Gaheris, l'un et l'autre un peu plus et un peu moins âgé que Gwenivere... Uther entendait-il doubler son second, où était-ce moi qu'ils avaient abusée ?

— Le roi Léodegrance accepterait ? Gwyn n'a que votre sang à lui apporter.

Sauf si Uther venait à le légitimer ; mais dans ce cas, si l'Église et les autres rois y consentaient... Gwyn deviendrait l'héritier du royaume de Logres, époux d'une reine puissante...

L'héritage de nos pèresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant