Chapitre 11 : Gwyn (Partie 1)

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Dans ce chaud souvenir qui ressemble à un conte, Ector revient de Carleon avec un grand cheval gris à la crinière d'écume, aussi imposant que les montures des dieux de jadis.

La bête souffle, gratte le sol du sabot ; les chiens de Caer Goch ont quitté leur place au soleil pour faire la fête à leur maître et leurs cabrioles agacent le destrier.

— Vous ne devez jamais vous en approcher seuls, vous m'avez bien compris ? martèle notre père.

Il a surpris les lueurs dans nos yeux : celle qui anime les gamins quand on pose un plein plateau de pâtisseries sous leur nez. Mais ce gâteau-là a été entraîné pour la guerre ; il mord et tape, et nous n'avons le droit de le chevaucher qu'avec nos prunelles, sagement rangés derrière la clôture de branches tressées du corral où Ector entraîne ses chevaux.

Dans un autre souvenir, Kay et moi avons assez grandi pour porter les vieilles chausses de notre père et ses pourpoints à peine retaillés ; et un soir, tout en aiguisant un couteau à la lumière du grand âtre, Ector décide :

— Enbarr s'assagit en vieillissant, et vous êtes assez grands pour le monter sans grimper sur la vieille souche.

Kay a un peu plus de treize ans, moi juste un peu moins ; et alors que nous nous hissons dans la selle de guerre à haut dossier, le lendemain, nous nous sentons un peu moins enfants que la veille.

~*~

Uther, devant moi, marchait trop lentement.

Les minutes se traînaient aussi lentement que les pas de mon géniteur, dont les semelles grattaient le sol avec un bruit aussi répétitif qu'agaçant.

Il voulait que je choisisse un cheval dans ses écuries ; j'avais l'impression qu'il cherchait à m'acheter.

Gawain apparu à mes côtés et me prit la main. Son sourire immense releva les coins de mes lèvres. Je le laissai me tirer à travers l'ancien bâtiment romain que les hommes d'Uther gardaient bien propre, aéré et blanchi, et où les hirondelles tout juste revenues de leur migration tournoyaient pour réparer leurs nids de boue et de paille.

Nous nous arrêtâmes devant le carré où logeait un poulain noir qui devait avoir une grosse année, et qui ressemblait donc à trois chevaux de tailles différentes assemblés par une fée farceuse.

— J'ai décidé de l'appeler Bucephalas ! Comme le cheval d'Alexandre le Grand ! Ce sera mon destrier quand je serai chevalier !

— Pas trop tôt, grommela Uther dans mon dos. Six mois pour choisir un nom à un canasson qui y passera peut-être à la première bataille !

Je feignis de ne pas l'entendre. Plus je découvrais Gawain, plus j'étais sûr que l'enfant vivait de contes et d'épopées. Je retrouvais presque ce qu'on m'avait arraché lorsqu'il m'invitait dans son monde ; on avait crevé le mien, et j'en souffrais tant que j'espérais que mon petit prince vivrait encore longtemps dans sa bulle enchantée.

— Nous ne sommes pas venus pour gratter des carnes avec la croupe plus haute que le garrot, nous appela Uther.

Il claudiquait vers les carrés des grands chevaux, des bêtes de guerre à l'arrière-train massif dont il n'aurait plus l'usage.

— Voyons voir. On va commencer par te présenter Llamrei et son gros cul. Pauvre fille... elle n'aura même pas eu sa chance sur un champ de bataille. Elle devait commencer cette année.

Kay m'avait accompagné, et je le laissai partir en avant tout en retenant Gawain près du nez soyeux de son grand poulain. Je n'avais que quelques secondes pour embarquer le prince dans mon plan avant que les autres ne se rendent compte de notre retard – piètre intriguant que j'étais, j'avais besoin d'un complice.

L'héritage de nos pèresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant