Chapitre 9 : Gwyn (Partie 2)

26 5 8
                                    

— Tête-de-foin ! s'exclama le prince Lucam en se dressant sur ses étrier. Qu'est-ce que tu fais là, tu coures la lavandière ?

Derrière lui, son cousin Girflet émit un long sifflement pour attirer l'attention des femmes. Quelques-unes levèrent leurs battoirs en réponse, d'autres ignorèrent simplement ce godelureau, dont le rang surpassait trop le leur pour qu'elles puissent l'abreuver d'insultes.

Elles devaient y être habituées, car en ce temps-là les blanchisseuses traînaient une réputation de femmes indépendantes aux jupes trop facilement retroussées ; mais moi, je rougis jusqu'aux racines de mes cheveux blonds, et Kay aussi vira au pivoine. Ector nous avait élevé dans un strict respect de toutes les damoiselles et nous aurait bien remonté les chausses s'il nous avait surpris à les traiter ainsi.

Gawain sauta au pied de notre rocher. Sa petite voix encore aigüe protesta par-dessus les moutons que nous étions venus nous éduquer.

— Auprès des laveuses ?

— Mon père m'a emmené visiter le chantier de l'église de Casnewydd, la lune dernière, rétorqua Gawain avec aplomb, et il m'a fait exposer toute l'activité du port de mer. Mon chevalier m'a donc escorté pour que je puisse m'informer, puisque des centaines de lavandières travaillent à Carleon et qu'on ne peut les ignorer.

— Gwyn n'est pas chevalier, objecta Girflet.

Ce à quoi Gawain répondit le plus naturellement du monde :

— Cela ne tardera pas, écuyer, s'il ne cesse de vous vaincre, puisqu'il parait que vous avez réclamé l'adoubement au roi pour les prochaines campagnes.

Lucam éclata d'un grand rire. Le mouvement du troupeau avait rapproché leurs chevaux et il guida son palefroi près de notre gros caillou. Gawain, tout petit comparé à ce grand adolescent perché sur sa monture, ne se démontait pas et levait haut le nez pour le jauger.

— Bien envoyé, gamin, mais rappelle-toi que les bambins c'est comme les damoiselles : ça peut piailler autant que ça veut parce qu'on ne peut pas les défier pour leur fermer le clapet.

— Tu peux jeter le gant à mon chevalier, offrit Gawain en glissant un bras au creux de mon coude. Il est aussi fort qu'Achille, je suis sûr qu'il vous battra encore !

Mais Lucam, après être descendu de son cheval, se contenta de tendre la main pour ébouriffer les cheveux du petit prince, qui s'empressa de replacer ses mèches rousses avec l'air outré d'un chat qu'on aurait aspergé d'eau.

— Va donc voir tes lavandières un moment, garçonnet, qu'on parle entre grands !

J'échangeai un coup d'œil avec Kay. Il nous observait du haut de son roncin, planté juste au bord de la route, et j'espérai un instant qu'il voudrait bien nous rejoindre et m'adresser la parole. Je proposai donc à Gawain d'aller poser ses dernières questions à Ardunn avant de remonter au château et, sitôt seul, je me retrouvai pris dans l'étau du bras de Lucam autour de mon cou.

— Dis-donc, Gwyn, t'es vraiment pas venu zieuter des mollets trempés ?

— Vraiment pas !

Mais je supposai que, venant d'un garçon de mon âge, s'aurait été moins surprenant que la véritable raison de ma venue – j'espérai que Lucam avalerai le mensonge de Gawain et que je n'aurai pas à me justifier ; soit ce fut le cas, soit il s'en fichait, car il changea immédiatement de sujet.

— Tu sais que Kay a eu seize ans juste avant Pâques ?

— Ben, oui, j'y étais.

— Tu sais ce qu'on fait à Carleon quand on devient un homme ?

L'héritage de nos pèresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant