Chapitre 11 : Gwyn (partie 3)

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Mon frère ferma la porte derrière moi. Le battant claqua. Il faisait sombre, encore plus que dehors : le petit feu de l'âtre se mourrait en un amas de braises orangées. Les murs se refermaient sur moi. J'étais piégé, piégé ce soir, piégé demain, piégé pour toujours, piégé, piégé, piégé...

Les sanglots sortirent comme les flots débordent d'une digue qui cède, alors que je me tenais debout, planté au milieu de la pièce, les bras ballants.

Je restai ainsi quelques longs battements de cœur à me noyer dans mes larmes ; et puis les bras d'Ector se refermèrent sur moi. Il me guida jusqu'au banc, m'y assis, m'enveloppa de nouveau de sa chaleur. Une main me massait le dos ; la forme sombre d'un Kay désemparé se tenait, immobile, au coin de mon champ de vision.

Tout coula de moi malgré les hoquets. Je manquais d'air et mon récit m'étouffait, me terrifiait, comme si je prenais conscience de toute l'énormité de ce qui se tramait autour de moi : et tout ça, qui étais-je pour l'affronter ? Rien de plus qu'un garçon d'une terre dans un coin de Bretagne, né dans un fortin dont personne ne savait rien, qui avait cru pouvoir épouser la fille d'un riche fermier !

Mon père me serra fort. Ma vie ne semblait plus faite que de cela : de crises qui m'éclataient en mille fragments et des bras d'Ector qui les rassemblaient ; il ne me réparait jamais tout à fait.

— Ça va te faire du bien, de partir un peu.

Je voulus y croire : oui, ce serait un merveilleux voyage, loin du regard sévère de la reine Anna, des complots de Lot, loin d'Uther. Je m'accrochais à cette idée en rejoignant mon lit, je la répétai en attendant que le sommeil m'emporte : plus qu'une journée et je ne serai plus là ; plus qu'une, et je pourrais prétendre que rien de tout cela n'était arrivé.

Je ne sortis pas de mon lit le lendemain matin.

Je m'éveillai écrasé par un sentiment de menace qui me paralysait et restai là, crispé sous mes couvertures, jusqu'à ce que ma vessie me contraigne à rejoindre la cabane dans le coin de la cour. Le soleil avait grimpé assez haut dans le ciel pour me signifier mon retard aux entraînements des écuyers ; quand je rentrai pour prendre le petit déjeuner dans la maison, l'absence de Kay me confirma qu'on m'avait laissé dormir trop longtemps. Je mâchai laborieusement quelques fruits secs accompagnés de trop grandes rasades d'eau avant de retourner dans la cour : j'étouffais à l'intérieur mais ne pouvais me résoudre à approcher la porte vers la rue. Un peu avant midi, Ector réapparut avec Efrawg et m'appela pour débâcher la charrette et commencer à la charger.

— Comment s'est passée ta matinée ?

J'avouai que je n'avais rien fait.

— Ce n'est pas bon, garçon. Crois-moi, on ne doit pas laisser ces choses là s'installer trop profond.

Aussi, après le repas, il m'ordonna de le suivre au château pour récupérer mon chien et prendre congé de mes amis princiers. En gravissant le chemin le long de la falaise, je me remémorai avec dégoût l'émerveillement du premier soir... comme il s'était vite dissipé ! Les beaux chevaux de la forteresse et les parures des nobles me laissaient de marbre, et je n'espérais qu'une chose : redescendre en vitesse.

— Tu sais où se trouve le prince Gawain, à cette heure ?

— Oui : il travaille son latin.

— Bien. Va lui faire tes adieux, on ne quitte pas son seigneur sans prévenir.

J'acquiesçai, même si tout cela n'avait été qu'une comédie.

— Il faudra aussi que tu préviennes tes amis. Le prince Bédivère a été trop bon avec toi.

L'héritage de nos pèresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant