Chapitre 21 - Léonard

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Je vois Hélios lire les premières pages que j'ai écrites. Peut-être les seuls que j'écrirais, qu'en sais-je ? Des larmes roulent le long de ses joues et j'aimerais les lui effacer. Enlever sa douleur, la prendre, ne jamais la lui avoir donnée.

— C'est atrice, déclare-t-il en relevant les yeux. Tu étais trop jeune.

J'acquiesce. Je le sais, mais je l'ai compris trop tard.

— Tu n'es pas responsable des actes de ce porc. Tu es la victime Léonard, tu n'étais pas consentant. Il n'avait pas le droit, affirme-t-il en plantant son regard dans le mien. Et je suis désolé de t'avoir attrapé de cette façon, j'ai eu peur. La couleur carmin étalée sur tes bras m'a foutu la trouille de ma vie.

Je hausse les épaules. Pas pour lui dire que je m'en fiche, mais lui faire comprendre que ça ne fait rien, que ça va.

— Ça n'en a pas l'air, mais je tiens à toi. On ne parle pas souvent mais chaque échange me fait m'attacher davantage à toi. Je sens que tu fais ton maximum pour communiquer avec moi alors merci de ne pas m'avoir dégagé de ta chambre à chacune de mes visites.

C'est vrai que j'aurai pu l'envoyer bouler mais je m'habitue à sa présence, elle m'apaise. Ça m'aide qu'il ne me rappelle pas sans cesse mon état, qu'il me parle comme à une personne en pleine santé mais qu'il prenne tout de même la peine de faire attention à mon état. Ça ne doit pas être facile pour lui et je lui en suis reconnaissant. Il y a longtemps que je n'avais pas eu d'interaction avec un jeune de mon âge.

— Je suis sincèrement désolé pour ce que tu as vécu et subi par la suite. C'est un peu étrange mais j'en veux aux adultes qui t'entouraient et t'entourent encore. Ils auraient dû te croire et t'écouter. Tu mérites comme n'importe qui d'autre de t'exprimer, me dit-il avec une pointe d'énervement au fond de la voix. Et non, tu n'as rien fait qui a justifié cet acte. Tu étais un enfant encore juvénile, tu ne pouvais pas réellement comprendre la citation, tu n'avais aucune carte en main pour attirer sciemment ce mec. Tu as été victime d'un pédophile, c'est tout. Rien de moins que ça Léonard. Ne minimise jamais l'impact que ça a eu sur ta vie mais ne l'extrapole pas non plus. Tu dois apprendre à vivre avec, même si je me doute que c'est douloureux, suppose-t-il en détournant son regard vers mes ongles qui s'enfoncent dans les paumes de mes mains. C'est un mot parfois dur à accepter, victime, mais il le faut. Tu dois te placer en tant que tel pour pouvoir avancer. Et tu dois te relever, une vie beaucoup plus belle t'attend au bout du chemin.

Je crois que les autres ne comprennent pas à quel point le mot victime est compliqué à accepter. C'est avouer son impuissance, se regarder droit dans les yeux et se dire "on a abusé de toi, tu n'as pas eu ton mot à dire". C'est beaucoup trop difficile de se placer cette étiquette même si on peut en avoir besoin pour aller de l'avant comme il dit.

Parfois je me dis que c'est plus simple de se laisser sombrer. Plus facile que de devoir se reconstruire.

— Je suis là si tu as besoin désormais. Tu m'appelles et je viendrai, me rappelle-t-il. Ça doit être compliqué pour toi mais tu peux compter sur moi.

Je hoche la tête de manière automatique, pourtant, à l'intérieur de moi, un sourire tente de percer le mur autour de mon cœur.

— Tu veux aller dormir ? Tu sembles fatigué, remarque Hélios en me rendant le carnet.

Je le dépose sur mon bureau, y ajoute également tous mes dessins où les ténèbres s'étalent et s'entortillent avant de rejoindre mon voisin assis contre mon lit. Je m'assois à ses côtés, très proche mais sans le toucher.

— N'ai pas honte Léonard. N'ai jamais honte de ce que tu as traversé, c'est ça qui t'a forgé. Peut-être que dans dix ans tu seras un artiste célèbre, imagine-t-il, et que des personnes te poseront des questions trop intimes auxquelles tu ne voudras pas répondre mais qui en nécessiteront. On te demandera pourquoi tu dessines des tourbillons que des gens s'arrachent pour des milliers d'euros, pourquoi tu ne parles jamais de ton enfance, pourquoi tu n'aimes pas le contact physique, pourquoi tu ne t'étales pas sur ta vie sentimentale et tant d'autres « pourquoi » auxquels tu ne voudras donner aucune réponse. Mais n'ai jamais honte de dire que tu ne caches pas tes cicatrices car elles te rappellent ta lutte pour pouvoir rester parmi les vivants. N'hésite pas à parler d'espace privé et de notion de consentement, même pour une bise qui peut paraître anodine. Explique que tu te fou de l'amour, que ton objectif est de t'aimer avant d'aimer les autres. Et n'oublie jamais de leur rappeler qu'ils achètent ton argent et pas des droits d'auteurs pour écrire ta biographie. Un jour tu t'affirmeras et tu sauras quoi dire, mais d'ici là apprend à reconstruire des phrases dans ta tête et accepte que ta voix doit être entendue. Moi j'ai envie de l'entendre.

L'ombre à la fenêtreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant