Eleanore

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Devant l'immeuble, je tourne en rond, dévorée par l'angoisse. Cela fait bien plus de cinq minutes que je suis ici, à regarder la façade sans avoir le courage de monter. Depuis que j'ai quitté l'université, un nœud s'est formé dans mon estomac à l'idée de revenir dans cet appartement, là où Aaron m'attend, sans doute déjà prêt à me questionner sur ma journée. Je l'évite depuis plus de vingt-quatre heures, depuis ce qu'il s'est passé, je ne veux pas avoir affaire à lui. Cette appréhension me ronge.

Je passe une main nerveuse dans mes cheveux et inspire profondément, tentant d'ignorer l'étouffante chaleur. Mon esprit s'agite, cherchant en vain des excuses plausibles pour justifier mon retard. Il serait impensable de lui dire que j'ai été retenue par ce professeur, encore moins de lui avouer que cet incident m'a troublée au point de ne pas revenir. Son jugement serait sans appel, et je suis incapable de supporter la vague de colère qui suivrait.

Inspirant une dernière fois pour rassembler mon courage, j'appuie enfin sur le bouton de l'interphone. Le déclic de la porte me fait sursauter. Demain, j'essaierai de ne plus oublier mes clés. Je monte les escaliers, chaque pas alourdissant la tension dans ma poitrine. Mon cœur tambourine alors que j'arrive devant la porte de l'appartement. Je sais que je vais mentir, et je sais aussi que cela risque de tout aggraver.

En poussant la porte, je plonge dans la pénombre. Tous les rideaux sont fermés, et seule la lumière de la télévision diffuse une faible lueur depuis le salon. Je retire mes chaussures et avance doucement vers la source de lumière et de bruit, essayant de composer une expression détendue. Aaron est là, affalé sur le canapé, absorbé par l'écran. Dès qu'il m'aperçoit, il tourne la tête et me sourit.

-Salut, Ely, dit-il avec un sourire tranquille.

-Salut.

-Ça fait une heure que je t'attends. Tout va bien ? Où étais-tu ?

Sa question me frappe de plein fouet, et je lutte pour dissimuler mon désarroi.

-J'ai dû rester un peu plus longtemps à l'université pour travailler avec un camarade, Tyler, dis-je en essayant de garder un ton calme, mais craignant qu'il perçoive la panique derrière mes mots.

À ma grande surprise, il sourit de manière indulgente.

-Oh, Tyler ! J'aurais aimé que tu m'en parles plus tôt. Il est passé tout à l'heure et m'a déjà dit que vous deviez travailler ensemble, c'est un ami à moi.

Je me force à sourire.

-Désolée, j'avais l'intention de te le dire... j'ai juste oublié.

-Ce n'est pas grave, Ely.

Il se lève et s'approche de moi. D'un geste tendre, il dépose un baiser sur mon front avant de m'enlacer. Je me raidis, figée par la pensée que si Tyler mentionne quoi que ce soit de plus à Aaron, il découvrira mon mensonge. Je réprime cette idée, m'obligeant à me concentrer sur la chaleur de ses bras. Ses mains glissent doucement dans mes cheveux, caressant chaque mèche. Mes bras, eux, restent inertes le long de mon corps, paralysés. Habituellement, j'aurais rendu son étreinte, mais aujourd'hui, un instinct plus fort me retient.

Aaron semble s'apercevoir de mon malaise. Il recule légèrement, puis sa main descend sur ma nuque, m'attirant un peu plus contre lui. Soudain, il s'arrête et recule brusquement, son regard fixé sur mon cou. Mon cœur s'emballe.

-Ton foulard ? Où est-il ? murmure-t-il d'une voix rauque. On voit tout, Eleanore...

Je porte une main à mon cou. Mon foulard ! Mon esprit remonte aussitôt à la veille, à cette heure de colle. La dernière image de ce moment défile devant mes yeux : Monsieur O'Brien penché face à moi, sa main frôlant mon cou tandis que mon foulard glissait de mon épaule. J'avais totalement oublié cet instant dans ma hâte de quitter les lieux et d'éviter Aaron.

Je bredouille une réponse :

-Il a dû tomber en rentrant...

-Personne ne doit voir ça, tu comprends ?

-Oui. Je ferai plus attention.

Ses yeux me scrutent avec intensité, et je sens la tension monter dans ses épaules. Il resserre son étreinte, me murmurant doucement :

-Ely... si tu savais combien je suis désolé de t'avoir fait mal.

Ces mots glissent sur moi sans effet. Ce n'est pas la première fois qu'il s'excuse. Et pourtant, malgré toutes ses promesses, il continue. Mon cœur hésite entre l'espoir et la peur. Ai-je encore la force d'accepter ses excuses ?

Il me garde dans ses bras, mais mon corps reste rigide, mes mains n'osant répondre à son geste. Avant, j'aurais savouré cette étreinte, me laissant aller contre lui, mais aujourd'hui, c'est différent. L'idée même de me blottir contre lui me semble lointaine, presque étrangère.

-J'ai préparé quelque chose ce soir, dit-il d'un ton enjoué. Une soirée juste pour nous deux, comme avant.

-Ah bon ?

-Oui, viens.

Il me prend la main et m'entraîne vers la salle à manger. Dès que nous franchissons la porte, je remarque les pétales de rose éparpillés autour de la pièce. Une bougie solitaire éclaire la table, sur laquelle reposent deux assiettes et une petite boîte dorée.

-Assieds-toi ici, dit-il en désignant la chaise avec la boîte. Je reviens.

Il disparaît dans la cuisine, me laissant seule face à ce décor qui aurait dû me faire rêver. Mes doigts glissent sur le velours de la boîte. Je l'ouvre avec appréhension et découvre une bague en or sertie d'un petit diamant. C'est une jolie pièce, un bijou qui aurait comblé la Ely d'autrefois. Mais aujourd'hui, cette bague me laisse de marbre.

-Alors, elle te plaît ? Ilona m'a aidé à la choisir.

Je hoche la tête.

-Oui, elle est... très jolie. Merci.

Aaron s'empare de la boîte et prend ma main pour y glisser l'anneau. Son baiser effleure ma peau, et il m'observe, un sourire satisfait aux lèvres. La Ely d'il y a quelques semaines aurait été comblée par ce geste, aurait vu dans cette soirée un symbole d'amour et de promesse. Pourtant, je n'éprouve rien de ce genre. Ses efforts me réchauffent le cœur, mais ce souvenir de la veille, de sa colère, persiste, obscurcissant le tableau.

Il récupère un bouquet de roses qui attendait patiemment sur le meuble derrière moi et me le tends, un sourire charmeur sur ses lèvres.

-Je t'ai aussi pris ça, je sais à quel point tu adores les roses, et elles sont la preuve de l'amour que je te porte.

Je souris délicatement et récupère les roses. Aaron à tout faux, je déteste les roses, je préfère les fleurs de lys.

-Tout va bien ? demande-t-il, fronçant les sourcils.

La froideur dans sa voix me surprend, me ramenant brutalement à la réalité. Je me force à sourire, ravalant les larmes qui menacent de trahir mon malaise.

-Oui, tout va bien.

-Tant mieux, car après tout ce que j'ai fait, j'espère que tu apprécies.

Je ne réponds rien, me contentant d'acquiescer d'un hochement de tête. C'est comme si le mensonge était devenu mon unique refuge, mon bouclier contre la tempête.

Aaron se penche et dépose ses lèvres sur les miennes, mais je ne ferme pas les yeux. Mon esprit reste en alerte, prêt à tout instant. J'espère qu'avec le temps, cette peur s'atténuera, que l'idée de redevenir celle que j'étais à ses côtés redevienne possible.

Il rompt le baiser, plongeant ses yeux dans les miens. Son regard étincelle, exactement comme hier, juste avant que tout ne dégénère. Mon estomac se noue ; cette fois, s'il a les mêmes intentions, je ne suis pas sûre de pouvoir l'affronter.

-Tu es parfaite, murmure-t-il en souriant. Je vais chercher le dîner. Il faut se dépêcher, ton film préféré va commencer.

Il se lève et quitte la pièce. Dès que je suis seule, un long soupir m'échappe, et je cache mon visage dans mes mains. Je ferme les yeux, espérant que cette soirée restera calme. Mais quelque part en moi, je sais que la paix sera aussi éphémère que ces pétales sur la table.

Tears and memories Où les histoires vivent. Découvrez maintenant