Raphaël

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Je la regarde, étendue sur mon canapé, enfin apaisée. Sa respiration est régulière, un rythme qui tranche avec l'agitation qui l'entoure depuis des semaines. Elle s'est endormie, emmitouflée dans un vieux plaid que j'ai jeté sur ses épaules après qu'elle s'est finalement laissée aller.

Ce visage, marqué par la fatigue et la douleur, semble enfin trouver un peu de répit, une trêve dans cette guerre invisible qui la hante. Je ne devrais pas être là à l'observer, mais je n'arrive pas à détourner le regard.

Je ne sais pas ce que je ressens pour elle, mais je sais que quelque chose m'échappe. Elle n'est pas comme les autres étudiantes, ni comme les autres femmes que j'ai rencontrées. Elle a ce mélange de force et de fragilité, cette intensité dans le regard, comme si elle contenait un univers de douleurs et de secrets.

Voir Eleanore dans cet état d'abandon – et de confiance, peut-être – me donne une étrange responsabilité. Elle est là, chez moi, elle m'a laissé être témoin de sa peur, de sa fatigue, et je sens que je ne peux plus m'échapper de ce rôle.

Cette soirée a dérapé à un moment, mais je ne sais pas exactement quand. Était-ce quand elle est venue frapper à ma porte, cherchant un refuge avec cette expression hantée ? Ou quand j'ai senti ce mélange de colère et d'impuissance m'envahir en découvrant que cet Aaron l'avait frappée à nouveau ? Je veux être ce refuge, même si je sais que je m'aventure en terrain dangereux. Mon rôle d'enseignant, ma distance professionnelle... tout ça s'effrite sous le poids de ses cernes et de ses tremblements.

Je retourne dans la cuisine et fais chauffer de l'eau pour du thé, espérant que le rituel simple de préparer quelque chose puisse m'apaiser. Le sifflement de la bouilloire remplit l'espace, me ramenant brièvement à la réalité. Je prépare deux tasses, même si elle dort, dans l'espoir qu'elle se réveille plus tard et qu'on puisse parler, cette fois de manière posée. J'aimerais qu'elle puisse se confier sans être prise par la peur ou l'urgence. Je veux qu'elle comprenne qu'elle peut rester ici, qu'elle n'a rien à craindre.

La porte de la chambre d'amis est entre-ouverte, et je me demande si je devrais l'y installer. Le canapé est confortable, mais elle pourrait sans doute mieux dormir là-bas, loin du salon et de la lumière tamisée de la cuisine. Finalement, je décide de la laisser tranquille. Elle s'est installée là, s'est endormie là, et je ne veux rien déranger.

J'en viens à douter de moi-même. Comment suis-je censé lui venir en aide ? Elle ne m'a rien demandé, à part l'abri pour cette nuit. Peut-être qu'en m'investissant autant, en voulant l'aider plus que je ne le devrais, je la rends plus fragile, plus dépendante de moi.

La rationalité revient me dire que je devrais garder mes distances, mais une part plus sombre, plus instinctive, veut qu'elle reste ici, qu'elle me laisse l'aider à réparer ce que ce type a brisé en elle. Je veux qu'elle voie qu'il existe autre chose, loin de ce mal qui s'est incrusté dans sa vie. Peut-être même que je voudrais qu'elle se tourne vers moi.

L'horloge indique minuit passé. Dans quelques heures, le campus se remplira à nouveau, mais pour l'instant, la ville dort, silencieuse. Je m'installe dans le fauteuil, les deux tasses de thé devant moi, et l'observe encore, prêt à veiller. Le sommeil me gagne peu à peu, et mes pensées finissent par s'étioler, se confondre avec mes rêves.

Je ne sais pas combien de temps j'ai somnolé, mais un murmure me tire de ma torpeur. Je m'agite et ouvre les yeux, posant mon regard sur elle, qui semble s'être réveillée sans vraiment l'être. Ses lèvres bougent à peine, et elle murmure des mots indistincts, des fragments de phrases brisées. Une grimace de douleur traverse son visage endormi, et sa main se crispe autour du plaid, comme si elle cherchait à se protéger d'un danger invisible.

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⏰ Dernière mise à jour : Nov 03 ⏰

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