Eleanore

2.7K 99 44
                                    

Les bleus et violets qui couvrent ma peau sont devenus une carte des endroits où le toucher d'Aaron a laissé sa marque. Des teintes profondes d'indigo, de lavande, et de jaune maladif se fondent et s'étirent sur mon épiderme clair, créant un dégradé qui pourrait ressembler aux couleurs du ciel à la tombée de la nuit. Si l'on ignorait la réalité de ce tableau, si l'on regardait sans comprendre, peut-être pourrait-on trouver quelque beauté dans ce jeu de couleurs, dans ces éclats fanés de ce qui semble presque être une fresque sur ma peau.

Mais je n'ai jamais demandé à devenir une toile.

Mon corps n'a pas à porter ces empreintes, ces nuances lugubres qui tracent un chemin de douleur. Mon esprit les rejette, les déteste même, ces couleurs qui me marquent d'une manière si cruelle et invasive.

Un temps, j'aurais trouvé fascinante cette palette sur une toile ou un dessin. J'aurais aimé la douceur des tons sombres fondus dans la lumière, l'idée même que ces couleurs s'enlacent, créant une beauté si particulière. Mais maintenant, elles me répugnent. Elles me parlent de choses trop sombres, de secrets qui me rongent et me consument.

J'aimerais pouvoir croire que tout cela n'est qu'une terrible erreur, que tout ce que je vis pourrait n'être qu'un cauchemar dont je m'éveillerais soudain, le souffle court, dans le silence rassurant d'un matin où il ne resterait rien de tout cela. Mais les hématomes, la douleur lancinante dans mes bras et mes jambes, tout cela est bien réel. Chaque souvenir reste, imprimé dans mon corps et dans mon esprit.

Hier encore, la colère d'Aaron a surgi d'une simple phrase mal interprétée, d'un reproche jeté au hasard dans un moment de tension. Sa voix a pris un ton tranchant, ses mots se sont mêlés à des insultes qui ont fusé dans l'air, brûlant, décapant tout ce qu'ils touchaient.

Puis, comme trop souvent, les mots ont cédé leur place aux coups, aux gestes bruts et violents. Mon corps, trop fragile, n'a pas résisté, il s'est laissé dominer par sa force et son agressivité. C'était un instant où l'amour, s'il existait encore entre nous, s'effaçait devant une rage que je ne comprenais pas.

Maintenant, je suis seule dans cet appartement plongé dans le noir, ne supportant pas de voir mon reflet dans la lumière. J'ai tenté de frotter mes plaies sous l'eau, comme pour les effacer. Mais la douleur se propageait, les rouges se gonflaient, et la brûlure du frottement ne faisait qu'accentuer la souffrance qui palpite sous ma peau. Je me sens comme empoisonnée, un venin coulant dans mes veines, se diffusant sans retour en arrière possible.

Des larmes commencent à couler, traçant de fines lignes salées sur mes joues. Elles viennent sans fin, presque silencieuses, comme un torrent trop longtemps contenu. Dans cette solitude glaciale, je cache mes sanglots entre mes mains, les étouffant comme si quelqu'un pouvait m'entendre. Mais je suis seule ici, seule avec ma douleur et mes peurs.

Ces marques sur mon corps s'accompagnent de cicatrices invisibles, d'un poids accablant dans mon cœur. Chaque mot cruel, chaque coup, se grave en moi. Ils viennent dessiner une nouvelle carte de souffrance, plus intime, plus lourde à porter. Où est-il parti, Aaron ? Je ne sais pas, je ne veux même pas savoir. Dans les rares moments où il me laissait dans cet état, je me disais que son absence était préférable. Peut-être que, cette nuit, il ne reviendra pas. Peut-être pourrais-je m'endormir sans craindre un nouvel éclat de colère.

Mais le sommeil ne vient pas. La lumière de la lune traverse les rideaux et éclaire à peine la pièce, projetant des ombres fantomatiques sur le mur. Je suis assise contre le meuble de la cuisine, recroquevillée contre le sol froid. L'horloge tourne, mais je ne sais plus combien de temps s'est écoulé. Les fragments de verre brisé jonchent toujours le sol, rappel silencieux du verre qu'il a lancé, heureusement sans me toucher. Était-ce un acte intentionnel, ce lancer ? L'a-t-il fait pour m'atteindre, ou seulement pour effrayer ? Peu importe, la peur est là, gravée, brûlante.

Tears and memories Où les histoires vivent. Découvrez maintenant