Chapitre 3

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La pluie cessa aussi rapidement qu'elle avait débuté, laissant place à un ciel dégagé et ensoleillé qui ne tarderait pas à essuyer le sol boueux.

Installés sous le chapiteau où trônaient des sièges sculptés et volés durant des raids, les deux frères faisaient face au jarl Joar et à son fils, tandis que Liv était debout derrière son père, la main fermée sur le manche de son scramasaxe, fixé à sa ceinture.

Adossé à son siège, Siger lissait pensivement sa barbe en écoutant le jarl évoqué un passé pas si lointain. 

— Les frères Ragnarsson ont dirigé ensemble notre grande armée, déclara le jarl. Après la mort d'Ivar, il y a cinq ans en Irlande, Ubba fut le seul guerrier à pouvoir la gouverner. Maintenant qu'il est au Valhalla, les jarls et les seigneurs de guerre comme vous deux, tenteront de prendre la relève, mais ils échoueront.

— Pourquoi ? gronda Storm, le regard plissé de fureur.

— Les frères Ragnarsson gouvernaient ensemble parce qu'ils étaient de grands guerriers, des hommes de parole et que tous les jarls les respectaient, concéda Siger. Le jarl Guthrum aurait pu prétendre au titre, mais on dit qu'il s'est converti, lança Siger en soutenant le regard franc de Joar.

— On dit vrai, affirma le jarl.

— Qu'en est-il de ses hommes ? demanda Storm en s'accoudant à ses cuisses, soudainement plus captivé par la conversation.

— Ils lui sont encore fidèles pour le moment, répondit Joar le Jeune. Seulement, Guthrum s'est mis à dos bon nombre de clans.

— Ses hommes refuseront d'appliquer les lois chrétiennes, affirma Storm. Nous devrions en tirer parti et leur proposer de nous rejoindre, ajouta-t-il à l'attention de Siger.

— Guthrum étant devenu chrétien, ajouta le jarl. Le roi Alfred du Wessex a reconnu officiellement la grande colonie danoise. Les autres souverains tout comme les roitelets n'ont eu d'autres choix que de suivre son exemple. De fait, dans le Danelaw les villages Saxons travaillent pour les Danois, en contrepartie du respect de nos deux religions.

— Ce roi Alfred est plus malin que ça, supposa Siger. Il s'attend à ce que le Danelaw nous convertisse tous.

— Peut-être bien, concéda le jarl. Mais le Danelaw est en paix avec les Saxons, du moins pour un temps.

— Donc, vous rentrez sur vos terres en Northumbrie, si je comprends bien, s'esclaffa Storm.

— Je ne rentre pas pour me reposer, sourit le jarl. La paix qui s'est installée est fragile, chaque clan en profitera pour se renforcer, le mien y compris. D'ici un an ou deux tout au plus, l'un d'entre nous cherchera à prendre la tête de notre grande armée pour agrandir le Danelaw et conquérir tous les royaumes, les uns après les autres.

— Mais pour ce faire, il faut obtenir l'approbation de tous ces meneurs d'hommes, approuva Siger.

— C'est exact, sourit le jarl.

— Nous avons pour projet de prendre la forteresse de Lichfied, clama Storm préférant se concentrer sur le présent et non sur un futur hypothétique.

— La Mercie Saxonne vous a déjà repoussés, sourit Joar le Jeune.

Siger étudia l'impudent, soucieux de le voir provoquer son frère. Le crâne rasé en dégradé sur les côtés, il avait les cheveux aussi foncés que son père, qu'il maintenait en arrière par quelques nattes et un lien de cuir ; ses joues rasées de près lui donnaient l'air de sortir tout juste de la puberté, mais son regard était celui d'un guerrier, que la mort n'effrayait pas ; et ce curieux mélange devait en méprendre plus d'un.

— Nous n'avons pas été vaincus, feula Storm affichant un air meurtrier.

— Ce n'est pas ce qu'il se dit, insista Joar le Jeune.

— Accompagnez-nous, intervint Siger pour couper court à l'insubordination. Nos deux armées prendront la forteresse, que nous occuperons jusqu'à ce que les roitelets nous versent le Wergeld pour nous voir libérer la place et leurs terres.

— Pour avoir la richesse, il faut aller la chercher, martela Storm.

— L'automne approche, ajouta Siger. D'ici jusqu'à Lichfield, les greniers à grains vont regorger de victuailles, assez pour que nos deux armées puissent passer l'hiver sans avoir faim, insista-t-il.

Le jarl dévisagea les hommes du nord qu'on disait versatiles et sans honneur, puis il se tourna vers son fils, conscient qu'il partirait au printemps suivant pour l'Irlande et qu'il fallait qu'il consolide la loyauté des hommes qui le suivaient.

— Qu'en dis-tu ? lui demanda-t-il.

Siger leva les yeux sur Liv qui soutint son regard : son air était aussi glacial que le bleu clair de ses iris. La beauté encore juvénile de son visage était accentuée par les tatouages qu'elle portait sur son profil gauche. Ses marques guerrières descendaient dans son cou et semblaient se poursuivre sur sa poitrine. Quant à ses cheveux blonds tressés, ils parachevaient son allure de Valkyrie, car Siger en était sûr : la fille du jarl, bien qu'en âge d'avoir des enfants, était encore vierge.

— Je pense qu'on devrait les accompagner, approuva Joar le Jeune.

— Pourquoi ? demanda le jarl.

— Prendre une forteresse Saxonne sera un exploit qui pourra vous octroyer l'estime des autres jarls, affirma Siger, souriant.

— Joar le Valeureux a déjà l'estime des jarls, feula Liv. Tout comme les seigneurs de guerre le respectent, précisa-t-elle en baissant la tête comme si elle se préparait à bondir sur lui.

— Il a déjà le nôtre, répliqua Siger pour calmer son ire.

— Tu sembles avoir la langue bien pendue, réalisa Storm en jetant un regard sévère à Liv.

— Ma fille a un code d'honneur bien plus exigeant que nous autres guerriers, sourit Joar, tout en rivant les yeux dans ceux de Storm. Et elle sait le faire respecter, le prévint-il.

— Nous voilà prévenus, déclara Siger pour apaiser la tension. De combien d'hommes disposez-vous ? ajouta-t-il pour revenir au sujet le plus important.




Vikings - Le feu sous la glace (1er jet - arrêté ) 🔞Où les histoires vivent. Découvrez maintenant