Chapitre 14

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L'automne s'installait peu à peu, déployant ses plus belles couleurs sur les houppes feuillues des arbres. Le campement du jarl était monté depuis quinze jours et Joar le Jeune avait réglé la dette qu'il avait envers ses compagnons trois jours plus tôt et les hommes du nord allaient les rejoindre dans un jour ou deux.

Le firmament scintillait en cette nuit claire et dégagée mais peut-être trop fraîche pour la saison. Et cette première morsure du froid, bien que modérée, accélérerait la mise à nue des arbres caducs pour accentuer l'imposante allure des persistants.

Liv était installée près du feu avec son grand-père et ils discutaient des problèmes logistiques que le convoi rencontrait. Joar le Jeune s'accroupit et saisit l'une des saucisses qui cuisaient et la déposa dans un morceau de pain.

— On mange bientôt ! l'interpella Liv.

— Je sais, ce n'est pas pour moi, répliqua Joar en se relevant. Quoi ? feula-t-il agacé par le regard insistant de sa sœur.

— Rien, je me demande simplement qui est l'esclave de qui ? répliqua-t-elle l'air sérieux, sachant qu'il allait apporter la nourriture à la nouvelle esclave de leur grand-père.

— Esther veille à ce qu'elle mange suffisamment, ajouta l'Ancien.

— C'est vrai, mon seigneur, concéda la nonne qui déposa l'épais manteau de fourrure sur les épaules du vieil homme.

— Elle me semble pourtant affamée, soupira Joar le Jeune avant de tourner les talons.

Iseult avait été chargée de remplir les outres et les seaux, elle avait déjà fait la moitié de ce qu'on attendait d'elle, quand Joar le Jeune la retrouva près du cours d'eau, car comme presque tous les soirs depuis qu'elle était captive, le Danois trouvait un moment pour parler avec elle, l'interrogeant beaucoup sur sa vie.

Iseult savait très bien qu'elle lui plaisait et elle avait craint qu'il l'agresse pour assouvir ses pulsions, mais il avait tenu la promesse qu'il lui avait faite, en lui disant qu'avec lui, elle était en sécurité.

— Arrête un moment et mange, ordonna-t-il en lui tendant son repas.

— Je mangerai avec Esther après mes corvées, refusa-t-elle pour ne pas le laisser espérer plus que leurs banales discussions.

— Tu as faim, je le vois, alors prends ! insista-t-il, regrettant de la toiser parce qu'elle était agenouillée. Viens t'asseoir un moment, lui proposa-t-il en s'installant un peu en retrait.

Iseult qui avait vraiment faim accepta et alla s'asseoir à côté du Danois, puis elle prit le morceau de pain qui fleurait bon la saucisse cuite, tout en le remerciant timidement pour cette attention.

— Il va faire froid cette nuit, réalisa-t-il. Je te trouverai une fourrure supplémentaire, affirma-t-il alors qu'elle mangeait en silence.

— Votre grand-père s'en est déjà chargé, objecta-t-elle en mettant une main devant la bouche, car elle n'avait pas fini de mastiquer.

— C'est bien, l'Ancien prend soin de toi, approuva-t-il en repensant aux paroles de Liv « qui est l'esclave de qui ? »

— Vous aussi, seigneur, répliqua-t-elle reconnaissante pour ce repas chaud.

La chiche lueur de la lune, flamboyante dans une voûte céleste scintillante, les éclairait, permettant à Joar de savourer la beauté du visage qu'il ne cesserait de voir dans son sommeil. Il connaissait déjà beaucoup de choses sur Iseult, parce qu'elle s'était confiée à lui, ou du moins : elle avait répondu successivement à son flot de questions.

« Elle me parle sans crainte, c'est déjà ça » s'était-il dit chaque nuit avant de s'endormir.

C'était grâce à ça, qu'il savait que les marques sur sa main constituaient les vestiges de sa vie de Grwach et qu'elle avait renoncé à son don de vision pour un homme. Ils s'étaient mariés et avaient eu un enfant, et ils étaient morts tous les deux dans un accident de chariot quelques semaines plus tôt. Après ça, elle avait préféré le couvent à une vie dans le domaine de son beau-frère.

Elle n'avait rien précisé sur ce fameux Osbert, mais Joar avait deviné, à la façon dont elle s'était fermée en l'évoquant, qu'il avait espéré faire d'elle son amante. Cette pensée avait déclenché une bouffée de jalousie chez le Danois qui eut envie de pourfendre Osbert par crainte que le Gallois propose un Wergeld au jarl pour la récupérer.

Depuis qu'il avait craint de la perdre, le Danois était certain qu'Iseult avait conquis son cœur, car il ne battait plus que pour elle, mais le regret de savoir qu'elle ne partageait pas ce sentiment n'en était que plus douloureux.

— Finis tes corvées et va te reposer, lui déclara-t-il, sur le ton du conseil et non d'un ordre.

Iseult regarda le fils du jarl s'éloigner. Quand elle l'avait vu à l'église, elle avait eu le sentiment de l'avoir déjà vu, mais sans se rappeler où. Puis, quelques jours plus tard, alors qu'il la poursuivait elle s'en souvint : durant sa nuit de noces. Après avoir renoncé à sa virginité, le feu de la passion avait élimé son pouvoir. C'est ainsi que son don s'estompant, elle reçut une dernière image, un visage : Joar le Jeune.

La vie, le bonheur et l'amour lui avaient fait oublier cet homme, d'autant plus qu'elle n'avait rien reçu d'autre que son visage, elle ne pouvait donc pas savoir quel rôle il avait à jouer dans sa vie.

Vikings - Le feu sous la glace (1er jet - arrêté ) 🔞Où les histoires vivent. Découvrez maintenant