Chapitre 5

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La porte s'entrouvrit légèrement, assez pour qu'un corps puisse s'y glisser.

Dans la pénombre, une présence se pencha au chevet d'Astós et l'appela dans un murmure. 

- Astós, Astós ! chuchota la voix.

Il entrouvrit légèrement les yeux, et reconnut aussitôt son interlocuteur. Il se redressa, éberlué.

- Endiáthetos ! Mais que fais-tu là ? Je t'avais dit de fuir, de... De gouverner à ma place. Comment as-tu retrouvé ma trace ? demanda-t-il, les yeux ronds.

Endiáthetos pressa son index sur ses lèvres charnues, et poursuivit dans un sourire :

- Chut, pas trop fort, ne te pose pas de questions, tout va bien. Et regarde ! Je t'ai amené de la compagnie ! 

Il se tourna vers la porte, et dit à "la compagnie" d'entrer. Une dame gracieuse passa sa tête dans l'embrasure de la porte, un petit garçon et un homme sur les talons.

- Coucou mon petit...

- Grand frère ! hurla un garçonnet d'une demi-douzaine d'année.

L'homme souriait du fond de la salle. Astós, les larmes aux yeux, reprit la parole d'une voix éraillée.

- Mais, Papa, Hekura, Adelphos, vous... Vous êtes morts ! Je vous ai vu, vidés de votre sang, dans la salle de réception, vous étiez... Tous au sol, sans... vie.

Ils se regardèrent tous dans les yeux, puis scrutèrent ceux de leur ainé. 

- Qu'est-ce que tu racontes ? demanda sa belle-mère. Nous sommes là, tout va bien ! Où es-tu allé chercher toutes ces inepties ?

- Tu racontes n'importe quoi ! Ha ha ! rigola le petit frère, câlinant les jambes du prince.

- J'ai vraiment cru que c'était fini ! plaisanta le prince, une larme dévalant sa joue.

Astós caressait tendrement les cheveux de son petit frère quand son père, qu'il avait presque oublié prit la parole, depuis un recoin sombre de la chambre.

- Mais c'est ta faute, murmura-t-il.

Astós releva les yeux vers lui.

- Pardon ?

- Tu as failli à ta promesse. Tu nous avais juré de nous protéger, mais tu t'es enfui.

- Quoi ? Non, je... se justifia le jeune homme, de l'incompréhension dans les yeux.

- Si. Tu es parti, tu as emporté Endiá et tu nous as laissé sous la protection de nos empotés de gardes. Tu es passé entre les mailles du filet. Tu devais mourir, pas nous. 

- Mais, non, tu te trompes j-

- ET LA KYRIA ALORS ? entonna-t-il. Tu penses peut-être qu'elle aurait été d'accord avec la décision que tu as prise ? Tu crois qu'elle aurait voulu louper dix ans de ta vie, de SA vie, pour échapper au malheur ? C'est injuste fils, injuste, tu entends ?

Astós baissa la tête et prit un air grave.

- Oui. J'ai fait ce qu'il fallait. J'avais une décision à prendre, je l'ai prise, point. Je n'ai pas choisi que vous décédiez tous, mais c'est arrivé. La vie est injuste et comparé à toi, je vais devoir vivre sans les gens que j'aime. Ça, c'est injuste.

Puis, il réalisa quelque chose.

- Tu ne me parlerais jamais, comme ça. Tu n'es pas là.

Un rictus se dessina sur le visage du paternel, ils étaient seuls dans la pièce, les autres Basileus avaient déserté.

- Non, c'est vrai, tu te parles à toi-même, Astós, tu te bats contre tes propres doutes, et ton assurance vacille. Tu es coupable. 

Il se réveilla en sursaut, couvert de sueur, haletant, le visage baigné de larmes.

Il se passa la main sur le visage en crachant intérieurement sur la dure vérité. Il se sentait responsable du décès de tous ces pauvres gens. Il regarda par la fenêtre qui diffusait une lumière bleutée dans la pièce. L'heure était incertaine, il faisait encore trop sombre pour en avoir un ordre d'idée. 

Le prince sortit de sa chambre à pas de loup, les pieds nus contre le parquet glacé. Les escaliers avaient disparu, la veille, Sklerótes les avaient fait disparaitre. Il n'avait été là que pour embêter le garçon. 

Au fond du couloir, un rayon de lumière filtrait sous une porte, et des murmures s'en échappaient. Il put reconnaitre la voix de la Dnophos, mais son interlocuteur, lui était parfaitement inconnu. La voix inconnue était grave, rauque, éraillée et chevrotante. Mais elle était aussi très ferme, sérieuse et sûre d'elle. Astós pouvait la décrire de plus en plus précisément, à chaque foulée, à chaque pas qui le rapprochaient un peu plus de la porte entrouverte.

Lorsqu'il n'en fut qu'à quelques centimètres, il se colla derrière celle-ci, l'oreille contre le bois de chêne. L'homme avait pris la parole.

-  ...très extrême madame, ce que vous avez demandé, disait-il.

- Aurais-tu un souci avec mes manières, sorcier insignifiant que tu es ? Aurais-tu déjà oublié qui domine qui ici ?

- Non, madame. (Le ton de sa voix avait baissé). 

- Bien, dit Sklerótes d'une voix ferme.

- Il n'empêche que vous avez fait beaucoup de mal, juste pour récupérer le garçon.

- Tu sais très bien que je n'avais pas le choix, Palaïós. Il devait absolument me suivre, peu importe le prix. Il ne m'aurait pas cru si je lui avais dit la vérité dès le début, les idées reçues sur mon espèce sont bien trop nombreuses. Comment crois-tu qu'il aurait réagi si j'avais débarqué, un drapeau blanc dans les mains en demandant "Eh, toi, le prince, j'ai besoin de toi pour survivre, tu veux bien m'aider ? Et au fait, je suis une créature des ténèbres suceuse de sang qui vient de massacrer tous les invités de ton petit bal dont ta famille ! Qu'en dis-tu ? Meilleurs amis pour la vie ?" ?

Palaïós émit un grognement désapprobateur. 

Le nez d'Astós, qui toujours planqué derrière la porte, le démangeait sévèrement. Après une longue lutte contre lui-même il laissa échapper un éternuement colossal, on n'avait jamais vu ça, et évidemment, il fallait que ce soit au moment où il espionnait la personne qui avait un contrôle total sur sa vie...

- Écoute, Pal, même s'il ne le sait pas, il a besoin de moi, peut-être même plus que j'ai besoin de lui, que j'ai besoin de son pouv-

- ATCHOUM !

Le silence emplit la pièce, Astós, ses deux mains plaquées sur sa bouche, le laissaient à peine respirer. Il fut parcouru d'un frisson, et une ombre lui voila les yeux un court instant. Une main griffue d'un noir de jais se posa vivement sur son épaule. Le jeune homme sursauta si fort que son cœur loupa plusieurs battements. Une voix très proche de son oreille lui susurra :

- Salut p'tit prince !

Les Héritiers de Feu - 1. Liés par le sang  [EN RÉÉCRITURE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant