Chapitre 7

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Astós écarquilla les yeux.

- Mais, comment c'est possible ? demanda le jeune prince.

- Écoute-moi bien. Tu as remarqué la couleur très atypique de mes yeux non ? Ne te fait-elle pas penser aux tiens ?

Sklerótes tendit une cuillère au jeune homme qui se contempla dans son dos.

- C'est vrai qu'ils se ressemblent... assuma-t-il.

-Le bleu est très similaire, électrique, je dirais. Mais les miens luisent contrairement aux tiens. Mais n'as-tu jamais vu des yeux semblables autre part que dans ta famille ?

- Non. Mais ça ne veut rien dire ! Ce que tu racontes n'a ni queue, ni tête ! Maman est décédée d'un accident lors d'un déplacement, s'énerva-t-il.

La Dnophos darda sa langue avec désapprobation.

- Mais si voyons, deux fois par génération, les descendants de la famille Basileus reçoivent un don, manifesté par la couleur inhabituelle de leurs yeux. Ta mère l'a reçu, moi aussi. Tu l'as aussi reçu. Tous ceux arrivés avant nous le sont aussi. Les gens comme nous sont appelés les Héritiers. Durant notre vie, nous recevons ou avons reçu un "cadeau". Un pouvoir nommé "Kaiô". Nous avons tous pu utiliser les flammes blanches pendant ce laps de temps. Mais comme tu le sais peut-être, il n'y a pas de cadeau sans sacrifice, et ce sacrifice, s'appelle Ara. C'est un mal dont nous sommes victimes à partir du moment où le don est activé, doublé de la transformation en Dnophos à notre mort. 

- Quel est ton mal ? s'intéressa Astós.

- Mon Ara ? Tu devrais l'avoir deviné pourtant ! Je pense que c'était de ne pas pouvoir contrôler les flammes que je produisais, qu'elles me dominent et non le contraire. Mon mal était fatal, à ce que tu as remarqué. Ta mère n'en avait pas eu un à proprement parler, son Ara n'était pas matériel. Lors du déclenchement de ses pouvoirs, elle a entendu une voix dans sa tête, elle a reçu comme une prophétie. Cette voix lui a murmuré les propos suivants :

"Ta descendance semblable provoquera ta perte"

Astós ne pipa mot, dans une grande perplexité.

- Je ne comprends pas, déclara-t-il simplement. Aucun de mes frères et sœurs n'a jamais eu les yeux bleus comme toi et moi.

- Quel âge avais-tu lors de la naissance de ta jeune sœur, Kyria ? demanda Sklerótes.

- J'avais un peu plus de trois ans, je crois.

- Je vois, dit la Dnophos en se prenant le menton entre ses doigts. On t'a menti. Vous n'êtes pas cinq dans la fratrie.

- Pardon ?

- Tu étais convaincu de n'avoir jamais eu que quatre frères et sœurs, mais en réalité, tu en as bien eu cinq. Ta mère a accouché de deux bébés ce soir-là : Kyria et sa jumelle nommée Kyneos. 

Le cœur du jeune prince sauta quelques battements, faisant le rapprochement. Sklerótes reprit.

- Elle m'a dit avoir envoyé le bébé vivre loin de vous tous, pour vous protéger dès que celui-ci ouvrit ses grands yeux bleus. Elle disait ne pas en vouloir, elle était terrifiée. Quelques années plus tard, alors qu'elle avait cessé de penser à Kyneos, elle fut victime d'un accident. Elle en est décédée. Cette partie est véridique.

Astós toisa la jeune femme, impassible.

- Et moi alors ? Pourquoi m'a-t-elle gardé ? demanda-t-il.

- Tu étais son premier, elle t'aimait profondément, expliqua la Dnophos.

Il souffla et demanda à la femme de poursuivre.

- Elle est revenue sous forme Dnophos, dans laquelle elle a rencontré des gens comme elle, comme nous. Tous des gens de la famille, connus ou non, c'est avec eux qu'elle apprit à manier ses pouvoirs. Un peu plus tard, les Héritiers m'ont trouvée, après mon décès. Et j'ai moi aussi appris à gérer la situation peu commune dans laquelle je me trouvais. Mais les Dnophos ont besoin de se nourrir, et certains d'entre nous faisaient des ravages dans les villages environnant la région. Ton père, le roi, en a eu marre. Il a cherché, des années durant, un moyen de nous anéantir, sans savoir qui nous étions. Une jeune apprentie guerrière très prometteuse attira son attention.

- Kyneos, déduisit le prince.

- Oui, confirma Sklerótes. Elle n'était âgée que de treize ans à cette époque, mais on la reconnaissait déjà comme chevalière accomplie. On racontait qu'elle savait manier le feu, un feu blanc dévastateur et qu'elle gagnait des guerres rien qu'en faisant une démonstration de ses capacités. Ton père intrigué alla la voir, un jour, et s'offrit ses services, sans savoir qu'elle était sa fille. Trois mois durant, elle s'entraina sur différents terrains dans un seul but, exterminer les Dnophos, comme ton père le désirait. 

- Mais tu es là, lâcha Astós.

- Mais je suis là. En effet, une nuit de juin, notre campement s'est fait attaquer par cette jeune femme. Elle carbonisa sur place un des anciens qui avait tenté de résister. Nous qui étions réputés pour être invincibles et immortels, eh bien, c'était raté. Nous avons dû les suivre jusque dans les cachots du palais. Là-bas, le roi, qui prenait plaisir à assister à notre destruction, nous fit nous aligner. Il nous prit, un par un, et nous fit cramer par Kyneos, qui avait perdu toute lueur d'humanité dans son regard. Ta mère ne cessait pas de pleurer, elle répétait que c'était sa faute, que la prophétie se réalisait et que l'Ara punissait tout le monde. Elle perdait l'esprit. Lorsqu'il ne resta plus que nous deux, elle fut emportée par Kyneos et le roi. Dans son dernier souffle, elle créa une explosion qui me permit de m'échapper. Emportant le savoir acquis lors de ma "formation", un traumatisme profond encré en moi à jamais, et un collier qu'elle avait pour habitude de porter, qu'elle m'avait tendu avant de partir.

Un silence s'installa dans la pièce. Palaïós, qui s'était fait oublier se racla la gorge. Sklerótes et Astós sursautèrent.

- Oh ! Préviens avant de te racler la gorge, le vieux ! tonna Astós.

- Vous m'aviez oublié de toute façon, que je prévienne ou pas, ç'aurait fait le même effet.

Sklerótes acquiesça, un rictus au coin de la bouche.

- À partir de là, je me suis enterrée dans le sol, sous le château, et j'ai plongé dans un profond sommeil, j'espérais y rester le plus longtemps possible. Quand je me suis réveillée, je suis allée faire un tour dans les bois, affamée. J'y suis tombée sur plein d'animaux et un bûcheron. Je les ai dévorés, sans réfléchir à mon acte. Puis j'ai entendu le bruit venant de ta fête. Un vrai buffet pour moi qui n'avais pas mangé depuis plusieurs années. J'ai reconnu ton père là-bas. Je l'ai torturé en tuant tout le monde sous ses yeux, il m'a reconnu, je le sais. Tu sais ce qu'il m'a dit avant de mourir ?

Astós secoua faiblement la tête de gauche à droite et inversement, les images horrifiques de la fête en mémoire.

- Il m'a demandé : "C'est toi ?". Puis, tu es arrivé, je t'ai reconnu, toi, l'Héritier. Quand je t'ai aperçu, avec tes yeux bleus, j'ai tout de suite su ce que je devais faire.

- Tu veux dire menacer ma sœur et moi-même ? Excellent chemin ! ironisa Astós.

- Mais non, petit lutin écervelé. 

Il tourna la tête vers le vieil homme.

- Elle veut sauver ta mère.

Les Héritiers de Feu - 1. Liés par le sang  [EN RÉÉCRITURE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant