Chapitre 2 : Quelque part à travers les ombres.

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(les chapitres du tome 3 sont plus nombreux mais aussi plus courts que les deux tomes précédents, donc techniquement en terme de volume c'est la même chose, mais les séquences sont plus synthétiques, puisque l'histoire s'accélère vraiment.) 

 Des talons ferrés qui claquent sur le marbre froid.
Ouverture de l'ascenseur. Bruit de porte métallique. Qui se referme brutalement.
La descente. Lente. Vers les entrailles de High City.
Enora compte ses respirations. Garde son souffle soigneusement sous contrôle.

Cette route lui est par trop familière. Elle l'a déjà parcouru, il y a bientôt cinq ans. Quand, accusée du meutre de son oncle, on l'a conduite aux geôles pour son interrogatoire de plusieurs jours.
Elle se souvient de sa terreur, de son incompréhension. Combien de fois avait-elle alors demandé ce dont on l'accusait? Avant de comprendre qu'elle avait été flouée...
Tout comme maintenant; on était venu la chercher chez elle tard dans la nuit. Tout comme maintenant on ne l'avait pas laissé s'habiller, et on lui avait sommé de venir sans tarder. En chemise de nuit, les cheveux défaits, dans cet ascenseur... Tout comme maintenant, on ne lui avait rien dit de la raison de cette convocation forcée, la laissant dans le noir, seule face à l'angoisse de l'inconnu.

Mais elle n'est plus cette jeune fille apeurée. Loin de là.
Laissant refluer la peur panique face à ces souvenirs, elle se force à la réflexion.
Jadis elle avait été accompagnée de plusieurs Gardes Jaunes, qui l'avaient presque traînée sur tout le chemin alors qu'elle se débattait.
Là, elle se trouve seule en compagnie de nulle autre qu'Alcestia. Qui n'arbore pas son habituel sourire narquois, ou la sauvagerie qu'elle peut démontrer en de certaines occasions. Au contraire, la Maréchale, derrière ses tâches de rousseur, semble préoccupée. Elle scrute Enora à la manière comme elle se pencherait sur une énigme.

La PrésiDuchesse se rend bien compte que si sa situation n'est sans doute pas idéale. Mais cette attitude de la part de la soldate signifie qu'Enora a probablement une chance de s'en tirer à bon compte. Pour peu qu'elle sache jouer intelligemment.
Il n'y a que quelques heures que Lucia lui a appris le remue ménage des soldats se dirigeant vers les quartiers bas, et ces rumeurs sur les Dellmers, qui ont fait se précipiter Lou à Blade Avenue... Il faudrait être idiot pour ne pas faire le lien entre ces nouvelles et sa convocation soudaine.
Elle fera de son mieux pour en apprendre autant que possible sans griller sa couverture.
Affichant donc soigneusement son attitude lassée de riche héritière, elle croise les bras, et toise Alcestia avec ennui.

La Maréchale lui renvoie un regard blasé. Mais sous lequel Enora voit briller un fond de curiosité mâtinée de calcul froid. Attend-t-elle que la PrésiDuchesse flanche? Guette-t-elle une faille quelconque dans son armure?
Enora repousse une nouvelle vague d'angoisse à l'idée que ses amis puissent avoir été capturés par la Garde. Cela ne se peut. Ils sont trop avisés, trop finauds, trop bon combattants. Chacun d'entre eux préfèreraient la mort à une arrestation...
Non... Elle se retient de croiser les doigts. Tentant de faire taire la voix dans sa tête qui lui susurre avec méchanceté que si, la Garde les détient sûrement à présent. Qu'ils sont en bas, torturés, malmenés, et que l'un d'entre eux a malencontreusement prononcé son nom...
Non. Elle refuse d'y croire. Elle refuse d'imaginer Helen, ou Night...Encore moins Finn, entre les mains des Casaques Pourpres. Jamais ils ne se laisseraient prendre. Et jamais ils ne la mettraient en danger.
Au fond de son âme, elle prononce tout de même une brève prière à la Toute-Mère. Pour que ceux qu'elle aime ne soient pas tombés.

L'ascenseur s'arrête. Alcestia sort en premier, lui indiquant sobrement de la suivre.
Il s'agit du premier poste de contrôle. Un seul ascenseur ne pourrait pas parcourir toute la distance entre le sommet des tours et le fond des geôles, au niveau du fleuve.
Les Casaques font un salut à leur Maréchale, et les guident quelques mètres plus loin, au second engin, dont la porte se referme aussi brutalement que le premier.
Enora a à peine le temps de sentir la secousse annonçant leur descente, qu'Alcestia, accoudée sur une des paroies de cuivre de l'engin, se décide finalement à parler.

"J'ai fouillé dans votre passé, Dame Langley." Son ton est sec, un peu moqueur. Sa voix légèrement rauque adoptant une pause presque dramatique avant de reprendre. "J'en ai appris beaucoup à votre sujet."
Enora se contente de lever un aristocratique et ennuyé sourcil.
La meilleure tactique est souvent de ne pas répondre. De laisser l'accusateur se dévoiler, afin de garder la main haute sur la conversation.
Le silence est sa meilleure arme.

La Ballade du Pont des Anges - Tome 3 : EnoraOù les histoires vivent. Découvrez maintenant