Chapitre 10: Nous irons te chercher.

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(bon. du fond de la dépression, le chapitre du seum, et de l'espoir.) 

 Il arrive parfois que l'univers, dans son immensité, se contracte. Spirale sur lui-même, emportant en son sein un tourbillon de galaxies, et d'étoiles. Supernovas en gestation, explosions stellaires, mondes inconnus... Tous attirés par la densité d'un appel qui perfore la fabrique du temps et de l'espace des soubresauts de sa violence.
L'univers alors se tourne et se retourne, se concentre en ce seul et unique point, ce trou noir plus dense encore que la matière, recrachant dans son sillage les vestiges d'une humanité ne cessant de s'éteindre.
Un chagrin.
La focale de toutes choses. Où plus rien n'existe et tout agonise.
Le battement d'un cœur. Au creux d'une paume.
Là, les vestiges d'un chardon. Réassemblés de quelques coups d'aiguille adroits. Restauré comme on le ferait d'un tableau de maître. Avec le même soin, la même minutie.
Enchâssé dans un mouchoir. Préservé, à présent.
Un chardon.
C'est tout ce qu'il lui reste.
Un chardon.
Pesant le poids de milliers de mondes.
De milliers de possibles.
Évaporés.

Nightingale passe un doigt sur cette fleur séchée avant de soigneusement plier le petit pan de tissu dans lequel elle est enroulée, et de le nouer à son poignet.
Autour de lui, sur le toît de sa cathédrale, les arêtes de calcaires et les statues de grès sont couvertes d'une neige qui ne tiendra plus très longtemps, luisant sous le pâle soleil matinal. Cette vision l'aurait sans doute enchantée s'il pouvait la voir.
Mais ses yeux parcourent la ville sous ses pieds sans rien en retenir. La beauté simple du monde ne peut pas plus l'atteindre qu'il ne sent le vent du nord traverser sa chemise.
Peut-être fait-il froid.
Peut-être a-t-il faim.
Son corps a depuis longtemps cédé la place à son âme, qui n'a que faire de ces considérations vaines. La chair est condamnée. Les pans encore fonctionnels de son cerveau étant à présent entièrement dédiés à des réflexions froides, des calculs méthodiques.
Il n'y a bien encore que la mélodie sortant de l'hexadisque autour de son cou qu'il le rattache complètement à la réalité. Il n'ose pas encore l'éteindre. Se contentant de jouer encore et encore la même mélodie. Souvenir de ce chardon, de cette place, de BloomFall. De la vie.

Délaissant la ville, il regagne lourdement l'intérieur de sa chambre.
Refusant de poser son regard sur ce lit.
Il y a passé des heures, et des heures avant de réussir à s'en extraire. Cherchant les reliefs de son odeur dans les draps, le fantôme de sa présence, le parfum de sa peau... Laissant la lumière s'évaporer hors de sa poitrine tandis qu'il pleurait tout ce qu'il n'a jamais dit, tout ce qu'il n'a pas su faire...
Traçant du bout des doigts ce trou dans sa poitrine qui porte son empreinte.

Mais bien qu'il désire ardemment la mort, il ne l'a pas appelé de ses prières. Non.
Sa vie peut encore être utile. Une ressource à utiliser à bon escient.
Alors, il s'est mis à réfléchir.
Qu'importe ce que la Révolution a décidé. Leur existence ne l'a même pas effleuré. Il s'est détaché d'eux, de leur haine. Il agira seul.

En des gestes soignés, il tresse ses cheveux, les plaque sur son crâne. Se rendant ainsi moins reconnaissable.
Bien des plans se sont proposés à lui. Qu'il a rejeté un à un.
Trop de risques de se faire prendre. Trop de risques de ne pas arriver jusqu'à son but.
Trop de risques de donner à Tally ce qu'elle cherche...

Night noue un cordon de cuir à sa tresse, et va ouvrir le coffre au coin de sa chambre. Sortant quelques vêtements de voyage qu'il enfile mécaniquement. C'est ce qu'il possède de plus commun, de moins remarquable. Il se fondra n'importe où.

Quand la solution lui est apparue clairement, une grande sérénité s'est installée au sein des hurlements qui forment maintenant son monde intérieur.
Tally le veut.
Plus que tout autre chose, elle le veut.
Alors il va négocier.
Mais selon ses propres termes.
Et il ne jouera pas franc-jeu.

Au fond de la malle, il trouve une petite boîte. Frappée du sceau de la couronne, le même inscrit dans les chairs de son poignet.
Jamais il n'aurait pensé l'utiliser.
Mais chaque membre de la noblesse Dellmer en possède une semblable. Chacun d'entre eux sait le pouvoir que contient leur sang. Et quelle est l'ultime façon d'éviter que l'on s'en empare.
S'asseyant sur son lit, il ouvre le coffret.
Dedans, quelques uniques capsules de verres friables dans lesquels sont enchâssés une poudre blanche dont le parfum lui frappe les narines. Amande.
Quand il se rendra à Tally, elle ne pourra pas profiter longtemps de sa prise de guerre.

La Ballade du Pont des Anges - Tome 3 : EnoraOù les histoires vivent. Découvrez maintenant