Chapitre 5 : À ton flambeau, nous embrasons ces rues.

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(je vous avais promis de la bagarre. voilà donc de la bagarre. enjoy.) 


 À travers la brume, devant l'entrepôt, des silhouettes qui se poursuivent, l'éclat brillant des mousquets crachant balles et étincelles.
L'air porte vers eux cris et coups de feu.
Luke lève le bras.
Vérifiant que tout le monde soit prêt à partir.

Son regard se pose sur Muse, dont le corps est tendu comme une corde prête à lâcher.
"Il faut y aller," réclame-t-elle, ses doigts trépidant sur la hampe de son drapeau. "Maintenant."
"Quand nous serons dehors, ne fais rien de stupide," lui intime son Maître, plissant les yeux. "Promets moi."
La Ménestrelle carre ses frêles épaules sous le bleu de son manteau.
"Il n'y a rien à perdre et tout à gagner à se battre pour ce en quoi nous croyons, Luke," lui répond-t-elle sans ciller.
"Muse..." menace-t-il. "Promets-le moi."
"Je te remercie d'avoir donné un sens à ma vie, ô Roi des Loups," souffle-t-elle, "mais tu ne peux retarder l'inéluctable."
"Elle a raison," intervient Ghost. "Il est temps."

Luke retrousse imperceptiblement ses lèvres. La première fois que le voleur le voit faire montre d'une expression un tant soit peu affectée... Mais le Ménestrel n'a guère le temps de se lancer dans ce genre de discussion, se détournant de son apprentie à regrets.
"Prenez vos places!" ordonne-t-il à ses troupes. "À mon signal."
Il ne faut pas longtemps à Ghost pour gagner son poste.
Puis Luke donne un coup de sifflet.

Devant le parvis de l'entrepôt, les combats font rage.
Courtisans, Métallurgistes, civils ordinaires, tiennent bravement le front face aux Casaques qui chargent.
Mais si ces derniers ont l'avantage de la stratégie et de solides années d'entraînements pour guider leurs attaques, ceux qui se défendent ont pour eux l'avantage du nombre et la rage des opprimés.
Coups de mousquets qui s'enfoncent dans des étals, qui griffent les murs. Ripostes à travers le brouillard.
Pour l'instant les pertes restent minimales. Quelques blessés sans doute. Le peuple fuit encore, n'attaque pas, se protège...

Aucun de ces combattants, trop pris et par leur chasse effrénée et leurs tentatives de survies n'a vu s'ouvrir la grande porte de l'entrepôt.
Aucun n'a pris garde au coup de sifflet sec qui en est sorti.
Mais quand un roulement sourd se fait entendre, les mains levées s'arrêtent, les souffles se coupent dans les poitrines haletantes. Les têtes se tournent.

Le craquement d'un tambour qui bat sombrement la mesure. Rythmique lourde, lente. Entêtante.
Des ombres, gigantesques, à travers la brume. Grandes silhouettes aussi hautes que les maisons alentour.
Les Casaques, d'instinct, reculent. Le peuple se tend en avant.

En un grondement, le grand ours surgit du brouillard. Gueule écumante, crocs en avant. Sur son dos, le Maître des Manteaux Bleus crie des ordres. Ses loups apparaissent à ses côtés, hérissés de pics acérés, grondant sombrement. Les soldats ont un instant d'hésitation. Autour de la place, les fenêtres s'ouvrent, des têtes sont passées par les volets.
Les Casaques n'ont pas le temps de lever leurs armes qu'apparaissent un à un, derrière le Ménestrel sur sa formidable monture, toute une troupe de ThreeSix, de Crimsons, et d'autres bardes à l'air déterminés.

Ils marchent au son du tambour, scandant son rythme avec férocité.
Dans leurs mains, les drapeaux de la Révolution tendus vers le ciel. Ligne de bleu et d'or se mélangeant aux hommes en arme avançant sans peur vers les Casaques. Avec en chef de file, l'Éternelle Fiancée, deux des loups de son Maître sur ses talons.
Et derrière eux... Derrière eux...
Fendant le brouillard...

Les grands animaux apparaissent.
Gigantesques machines de bois et d'acier, crissantes et mugissantes. Lion, loup, renard, cerf... Sur chacun est juché plusieurs Ménestrels, plusieurs guerriers de la Révolution.
Puis, l'éléphant.
Le grand éléphant aussi haut qu'une maison de bonne taille.
Dans la nacelle sur son dos, accompagné d'une dizaine de protecteurs armés jusqu'aux dents, Embers.
Triomphal.

Il y a un instant de flottement. Le peuple de la rue peine à en croire ses yeux mais c'est bien lui. Réchappé d'entre les morts, arraché à son exécution promise. Mèche blanche, écharpe rouge, vêtements noirs de voleur...
Il lève le poing.
Et la foule hurle. La foule exulte. La foule crie son nom.
Un rugissement puissant qui résonne loin dans les rues.

Ghost, sur le perchoir qui a autrefois servi de scène à Nightingale, reçoit ces preuves de reconnaissance avec une profonde gratitude.
C'est pour cela qu'il a tenu à apparaître. Malgré ses blessures qui le font encore souffrir bien qu'il essaie de les ignorer, malgré les risques encourus, et le peu d'espoir qu'il a d'en revenir. Qu'importe. Il est là pour eux.
Cette certitude lui accorde une sérénité profonde.
S'il doit mourir, il mourra pour une cause, il mourra en se battant, et pas comme un chien au fond d'une cellule.
C'est ce qui lui fait lever le poing à nouveau. Appeler la foule qui répond. De la place, depuis leurs couverts, à l'angle des fenêtres...

Les premiers coups de mousquets sifflent.
Les Gardes se sont repris.
"Abbattez le!" hurle le Mestre qui commande sa petite unité. "Abattez-le et mettez fin à cette mascarade! En joue... F..."

Il n'a pas le temps de finir sa phrase qu'une première salve de balles se plante aux pieds des soldats. Puis une autre.
Depuis les animaux et la ligne des Ménestrels, les Révolutionnaires tirent. Coups de semonce. Assez pour montrer leur supériorité aux soldats à présent largement en sous-nombre.
Luke, sur son Ours, sifflant ses loups, charge sans hésiter, ses bêtes hurlant à ses côtés, sa faux à la main. Il renverse un soldat, deux, trois. Ses animaux faisant virevolter les lignes ennemies comme d'inoffensives quilles pourpres.

"Retraite!" Ordonne le Mestre à ses Gardes déjà en fuite. "Retraite! Retraite!!"
C'est la débandade chez les Casaques qui commencent à fuir vers le sud en toute hâte, face à cette force contre laquelle ils ne peuvent lutter.

Les civils sur la place applaudissent, sifflent des vivats depuis les fenêtres.
Ghost, du haut de l'éléphant, sait que cela ne sera que de courte durée.
"Il va en venir d'autres!" crie-t-il d'une voix forte, faisant taire les exclamations enthousiastes. "Le combat ne fait que commencer, ne nous réjouissons pas trop vite!"
"Embers a raison!" déclare Luke, rejoignant les rangs sur le dos de Nestor alors que les Révolutionnaires rechargent leurs mousquets. "Vous connaissez tous la suite des évènements. Ceux qui veulent nous suivre, joignez vous au convois!"
"Les autres, protégez vous!" Précise Ghost. "Défendez vos maisons et laissez nous faire!"

La suite du plan est simple. Il doivent arriver jusqu'à la place d'Estel. Avec le plus possible de Casaques à leurs trousses. Tous, s'ils le peuvent.
Puis... Survivre. Le temps qu'il faudra.

Le Maître des Manteaux Bleus a repris sa place devant ses troupes.
"En avant!" Indique-t-il, alors que les tambours reprennent. "Faites leur savoir que nous sommes en vie! Qu'ils viennent nous chercher!"

Quelle étrange procession, se dit Ghost, surveillant les alentours. Quelle allure ils doivent avoir.
Devant Nestor, Muse, drapeau au poing, entonne le chant de la Révolution au rythme lancinant des percussions qui résonnent à travers les rues.
Mémoires entrelacées, cousues d'immensité,
Pères de nos pères, mères de nos misères,
Nous sommes la vague et le vent de ces landes perdues...
Nous sommes le sang, nous sommes la pierre,
Nous sommes le temps, nous sommes ton chant!

Elle chante, l'Éternelle Fiancée, elle guide cette parade dorée, sa voix claire s'envolant par delà des façades.
Les autres Manteaux Bleus reprennent ses paroles, frappant la hampe de leurs drapeaux sur le sol. Chant de guerre victorieux, alors que les défenseurs de la placent se joignent à leur procession, et à leurs voix.
Embers, sous ton drapeau, nous marchons dans la brume,
Embers, à ton flambeau, nous embrasons ces rues
Nous clamons haut et fort, nous crions dans les flammes
Nous chantons nos espoirs, liberté qu'on empoigne!

Les gens sortent un à un des maisons, rejoignent leur parade. À leurs bras, des mousquets d'Helen, des armes de fortune, parfois de simples couteaux de cuisine, d'humbles tisonniers.
Femmes, hommes, enfants, vieillards. Sur leur visage, la même détermination.
Ils savaient ce qui allait se passer, ils s'y étaient préparés. Ils marchent eux aussi, ils veulent se battre, participer.
Dans leur cortège, c'est Hillmoore qui vibre, c'est Hillmoore qui sonne alors que leur procession grossit, grossit.
Les braises d'un avenir au bout de nos bras
Car nous sommes une seul voix,
Celle du peuple qui marche dans tes pas
Celle du peuple qui ne se rend pas

Quand d'autres coups de mousquet retentissent non loin, la foule sursaute à peine. Au contraire, constate le voleur avec fierté, elle n'en semble que plus galvanisée.
Mais il sait que cela ne peut durer.
Ils se sont engagés dans la grande avenue qui descend le long du Cœur, droit vers la Grand'Place d'Estel. D'autres combats ont éclaté, d'autres groupes d'assaillants sont partis chercher des noises à d'autres Casaques. Ils ont pour mission de les ramener vers eux.
À en juger par les bruits, et les éclats de fumée que le voleur peut observer depuis son perchoir, la brume se dissipant presque tout à fait, les renforts de la Garde ne vont pas tarder à arriver.
Ceux qu'ils ont chassés reviendront eux aussi en force.

Il se tourne vers le nord.
Là, la fumée de la cathédrale continue d'obscurcir le ciel. Mais d'autres traînées de feu trahissent des affrontements qui se rapprochent.
Copper leur ramène du beau monde depuis les Vieux Faubourg, il en est certain.
"Tenez vous prêts!" crie-t-il à son équipe, qui, dans un bel ensemble, fait claquer les chiens de ses mousquets, alors que certains prennent des bombes à alcool dont le parfum âcre se mêle aux relents de bois brûlé flottant dans l'air.
Le voleur serre les dents.
Bien. Voilà l'heure de jouer à son rôle d'appât.

"Hillmoore!" crie-t-il du haut de l'éléphant. "Nous triompherons!"
"Nous triompherons!" rugit sa toujours plus importante escorte.
"Nous triompherons!" crie-t-il encore, alors que les coups de feux se font plus proche.
"Nous triompherons!" Répond la foule, encore plus fort.

Une première escouade de Casaques arrive au pas de course par une rue transversale.
"Ne vous laissez pas effrayer!" leur indique Muse. "Tenez -vous prêts! Au signal, tout le monde s'écarte!"
Les Gardes s'agenouillent, se mettent en rang pour tirent sur la foule. Une première ligne met le genou au sol.
"Luke!" signale Ghost.
Le Maître des Loups ne l'a pas entendu pour moduler son coup de sifflet.

En un bel semble, la foule se met de côté, et les animaux mécaniques vomissent de puissants jets de flammes depuis leurs gueules, leurs yeux, leurs ailes. Actionnés par les Ménestrels droit en direction des Casaques, forcés de reculer rapidement, certains d'entre eux hurlant, leur uniforme commençant à brûler.
Un des petits cadeaux du Maître des Manteaux Bleus pour la révolution. Ce dernier a d'ailleurs saisi son étrange canon, et le brandit devant lui, crachant des torrents de feu vers leurs assaillants affolés qui se dispersent sans ordre, ne s'attendant pas à ce genre d'intervention.

"Désarmez-les!" Ordonne Ghost à la foule. "Désarmez-les et prenez leurs mousquets!"
Les ThreeSix et Crimsons s'en chargent avec efficacité. avant que la seconde salve de flammes ne soit lancée. Ils récupèrent les Casaques tombés au sol, leurs confisquent épées, fusils et mousquets, et les confient aux gens du peuple.
"Pas de tuerie!" Reprend Ghost du haut de l'éléphant. "Le moins de victime possible, nous ne sommes pas des assassins. Nous ne voulons que notre liberté, pas une guerre fratricide!"
Inutile de rougir les rues du sang de ceux qui, comme eux, ont grandi ici, bien qu'ils aient choisi un chemin différent. Le voleur a embrassé la Révolution pour ses idéaux de justice, et il s'y tiendra.

La parole d'Embers a du poids. Le peuple, malgré ses envies de vengeance, l'écoute, et s'exécute. Mais si la Révolution n'est pas venue pour tuer, ce n'est pas le cas de leurs adversaires.
Les Casaques se sont repris, et d'autres arrivent.
Ils ne prennent plus le temps de viser maintenant, tirent en tout sens, dans le tas des Révolutionnaires.
Les premiers d'entre eux s'effondrent. Leurs corps transpercés de balles d'un calibre monstrueux. Chacun de ces projectile qui atteint sa cible emporte un membre, perce un tronc, un crâne. Tue avec plus d'efficacité que ne pourrait le faire un mousquet ordinaire.
Helen avait raison de se méfier de cette nouvelle artillerie, et d'armer les siens en conséquence.

Luke relance une salve de flammes, puis encore une autre.
Ils avancent, malgré tout. Ils avancent, désarment, se défendent. Tirent pour faire reculer l'ennemi.
Le vrai combat a à présent commencé.
Ghost sait qu'il est visé, qu'il est la proie principale. Plusieurs fois il sent ces épaisses balles siffler à ses oreilles, mais il tient bon. Et ses gardes du corps sur l'éléphant font un formidable travail de sape pour qui voudrait s'en prendre à lui.
Ils doivent attendre, attendre que plus de Casaques ne s'en viennent, continuer à marcher vers la Grand'Place.

De nouveaux Gardes rejoignent les premiers, oui. Mais plus de citadins viennent également grossir le convoi. Les équipes des gens de Guilde les rejoignent. Kristal et ses courtisans d'abord, traînant dans leur sillage une lourde cohorte de Casaques que Luke reçoit de torrent de feu bien placés. Puis les meuniers se soignent à eux. Les Métallurgistes arrivent à leur tour.

À chaque fois ils sont annoncés par les coups de sifflets des voleurs qui guettent sur les toits, qui coordonnent tout ce beau monde avec efficacité.
Les voilà à devoir défendre leur flanc arrière maintenant. Les ThreeSix s'y sont postés, avec leurs bombes à alcool, aidé des Crimsons qui font jouer leurs fusils avec efficacité. Protégeant le peuple autant qu'ils empêchent leurs assaillants de leur infliger trop de pertes. Leur procession est encerclée. C'était parfaitement ce qu'ils recherchaient. Ils ne doivent pas cesser d'avancer pour autant.

Ils progressent le long de l'avenue, sous les balles.
Sans perdre espoir, sans courber l'échine.
Muse y est pour beaucoup.
Au milieu de ses loups, drapeau et mousquet au poing, elle brandit leur drapeau, exhorte les tambours à continuer la litanie, et chante, chante sans relâche. Galvanisant les assauts, rythmant leur marche.
Éternelle Fiancée en robe blanche au milieu des flammes, Dame des Loups et de l'Espoir.
Ghost se demande si c'est lui qu'ils suivent ou la détermination de cette formidable Ménestrelle, son cœur en bandoulière, sa rage au bord des lèvres.

"Ils vont être assez nombreux!" Indique Ghost à Luke, qui continue de repousser les Casaques vers le Sud avec habileté. "C'est le moment!"
Le Ménestrel lui fait un geste d'assentiment, et module un nouveau coup de sifflet, qui est repris de toit en toit par les annonceurs.
Plissant les yeux, Ghost voit avec eux la très reconnaissable silhouette tout en manteau de Jay, et à côté de lui, son frère. L'adolescent est sauf pour le moment. Il en est profondément soulagé.

Suite à l'appel de Luke, les gens en embuscade dans les rues menant à l'avenue se précipitent pour bloquer ces issues avec de hautes barricades. Palissades de bois, tonneaux empilés, tout ce qui leur tombe sous la main et qui a été soigneusement préparé depuis deux jours.
Les voies de secours se ferment une à une. Sur ces barricades improvisées, montent citoyens et gens de Guilde qui tiennent les Casaques éloignés de quelques coups de mousquets bien placés.

Les soldats ne tardent pas à se rendre compte qu'ils sont piégés le long de l'avenue, et qu'il ne leur reste plus qu'à reculer.
Un vent de panique se fait sentir parmi eux, mais les Mestres et GardeMestres qui dirigent l'assaut vers les Révolutionnaires refusent céder du terrain alors que leurs troupes cherchent à reculer.
Il le faut bien pourtant, et l'armée perd du terrain.
Depuis les toits, les voleurs commencent à lancer des bombes à alcool, qui explosent en gerbe d'étincelles devant leurs rangs, les forçant à rebrousser chemin, toujours plus loin vers Estel.
Cela, allié à la pression que Luke et ses lanceurs de feu maintiennent sur eux, facilite grandement la progression du peuple.

Ghost, qui surveille tout cela de son perchoir, en profite pour haranguer la foule. Les exhorter à continuer, à ne pas se laisser abattre. Malgré les balles qui pleuvent, malgré ceux qui tombent sous les balles, malgré la fumée et les cris, l'atmosphère suffocante...
Quoi qu'ils aient pu connaître jusque-là, même lors des expéditions punitives de la Garde en Demi-Terre, rien ne peut se comparer à l'ampleur d'un tel combat.
Pour l'instant toutefois, ils ont la main haute. Il faut que cela dure.

Depuis son poste de vigie, Ghost peut surveiller leur avancement.
Ils sont encore loin de la Grand'Place, mais leurs assaillants, qui continuent à arriver, se retrouvent pris dans leurs filets, inexorablement.
Certains soldats tentent des actions désespérées pour leur échapper. Une partie d'entre eux essaie d'imiter les voleurs, en montant sur les toits. Ghost le signal à ceux en dessous, qui ne les laissent pas faire. Et les gens dans les maisons ouvrent leurs fenêtres, essaient de faire tomber les gardes du mur.
Mais l'un d'entre eux réussit néanmoins à se faufiler sur une corniche toute proche. Où un jeune voleur observant les alentours ne l'a pas vu venir.

Le sang de Ghost ne fait qu'un tour, quand le Casaque Pourpre lève son épée.
Ghost dégaine et tire. L'atteignant au bras, le forçant à lâcher son arme, alors que le jeune voleur pousse un cri de terreur.
Le membre du soldat éclate en une immonde gerbe de sang.
Ghost fait signe à son jeune subordonné choqué de fuir plus loin.
Il sait qu'il y a peu de chance que le militaire survive. Mais il n'a pu se résoudre à l'atteindre en plein cœur. Ne pas tuer s'il peut l'empêcher...

Pour le moment, la foule avance, encore et toujours.
Et les annonceurs continuent leur travail. Les casernes se vident les unes après les autres, les différentes équipes viennent se joindre à leur escorte, traînant avec eux de nouveaux Gardes, de nouveaux Mestres, GardeMestres, Caporaux, mais la Révolution tient bon, et le piège se referme petit à petit.

La meute de leurs attaquants et de leurs défenseurs compte à présent des milliers d'âmes. Tout est si désordonné...
L'avenue est noire de monde. D'or et de pourpre, de sang et de feu, de neige souillée et de corps sans vie...
Les barricades tiennent, au prix de la vie et du courage de leurs défenseurs.
Les combats au loin se rapprochent. Bientôt, tous les soldats de Demi-Terre seront réunis ici, dans ce démentiel carnage...
Ils n'en ont pas encore fini.

"Luke!" appelle Ghost. "Luke, c'est le moment d'appeler l'Œil!"
Le Maître des Loups, qui harcèle les lignes ennemis depuis de dos de Nestor, lance un grondement d'assentiment qui passe par-dessus le vacarme, puis siffle un nouveau signal, vite relayé de toits en toits.
Rapidement de nouveaux traits de fumée se font voir un peu partout dans Demi-Terre.
D'épaisse langues noires qui grimpent à toute vitesse vers le ciel trop blanc.
Le voleur les regarde percer l'éclaircie matinale avec satisfaction.
Partout dans la ville, des ballots de paille recouverts de goudron ont été embrasés.

En plus de l'immense brasier de la cathédrale, ceci se verra de loin, par delà le rideau de brume sur le fleuve. Nul à High City et dans l'Iris ne pourra ignorer ce qu'il se passe en Demi-Terre. La Haute sera bien obligée d'envoyer ses Casaques Jaune pour calmer le jeu.
S'ils vident les casernes d'en Haut, alors cela soulagera peut-être quelque peu ceux qui vont vers la cathédrale... Ghost refuse de penser à Night, à l'endroit où il doit se trouver en ce moment... Sans doute encore dans les tunnels, en train de passer sous le fleuve...
Non. Il doit rester concentré.

Devant eux, près de Luke, Muse offre un spectacle saisissant.
Entourée par ses loups qui la protègent en claquant de leurs mâchoires d'acier, elle se sert de son drapeau comme d'une arme pour repousser les soldats qui auraient commis l'erreur d'essayer de s'en prendre à elle.
Elle ne cesse de chanter, d'une voix haute et claire, poussant le peuple derrière elle à attaquer, à progresser toujours. Or du drapeau, bleu du manteau, blancheur de ses robes, sang dans la neige sale, écarlate comme sa bouche. Éternelle Fiancée guidant le peuple.
Ceux qui la suivent oublient toute peur, poussée par cette vision fantastique de fée des flammes. Avec elle, ils se croient invincibles, et la suivraient sans hésiter, jusqu'aux enfer, jusqu'à la mort, par delà les champs éternels où elle les mèneraient tête haute en scandant l'hymne de la Révolution.

Mais Ghost ne peut oublier que malgré tout, c'est lui que ces soldats veulent.
Plus encore qu'arrêter cette marche et ces gens furieux qui veulent leur reprendre la ville, plus encore qu'ils ne veulent fuir.
La présence d'Embers excite le peuple, enrage les Casaques. Leurs commandants n'ont de cesse de réclamer sa tête.
La foule forme un écran protecteur autour de lui, les combats font rage autour de l'éléphant sans que leurs assaillants n'arrivent à l'atteindre.
Pourtant, le premier de ses gardiens tombe.
Transpercé en pleine poitrine.

Ghost se précipite sur lui pour l'empêcher de tomber à la renverse, alors que ses autres protecteurs font rempart de leur corps pour le protéger.
Le Crimsons meure dans ses bras en un râle abominable.
Le voleur a un haut le cœur. Les bras tâchés de sang tiède. Fixant ce corps sans vie alors que les ThreeSix autour de lui tirent en direction des soldats qui l'ont visé.

Un autre signal leur parvient, l'empêchant de se focaliser sur ce cadavre.
Le sifflement recommence, encore et encore, persistant.
"Luke!" appelle Ghost.
Le Maître des Manteaux Bleus a bien entendu.
"La Caserne de Demi-Terre!" informe-t-il ses troupes qui poussent un cri de joie. "C'est le moment. Embers, lance le coup d'envoi!"

Le voleur se redresse. Enfin!
La plus grosse caserne de l'île s'est vidée! Il n'y a plus un soldat dans les garnisons de la ville Basse!
Ghost porte son sifflet à ses lèvres, et pousse une profonde trille, que les annonceurs répercutent vers le nord.

Durant quelques instants, il attend, ses narines emplies de l'odeur du sang et de la poudre, au milieu du tumulte, ses doigts serrés sur la nacelle de l'éléphant.
Puis, une explosion dantesque, qui secoue les murs de la ville, le sol sous leurs pieds. Un grand fracas qui fait pousser des hurlements de terreur aux gardes.
La Révolution éructe de joie.
La caserne de Demi-Terre, dernier symbole de l'oppression des Casaques sur cette rive, vient de s'envoler en un déluge de moellons.
Les Gardes n'ont plus nulle part où se réfugier.

La Ballade du Pont des Anges - Tome 3 : EnoraOù les histoires vivent. Découvrez maintenant