Chapitre 12 : Des ténèbres aux brasiers de nos destins.

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(Oh my. Grosse session d'écriture, donc je publie coup sur coup. Tant mieux pour vous, moi je vais me prendre une petite tisane.) 
(ah! et... j'ai la chanson parfaite pour accompagner tout ça. Dans une cathédrale, avec du drama, quoi de mieux que ceci: 
https://www.youtube.com/watch?v=AuSPCqlGT9o&ab_channel=ClamaviDeProfundis ) 

 Si la situation n'avait pas été aussi tragique, Enora aurait ri. À gorge déployée.
Devant les visages stupéfaits des PrésiDucs, l'outrage évident de Tally, la fureur blanche d'Hexel, l'incompréhension panique de la GardeMestre dont le regard va de ses soldats disparus à l'apparition soudain du Ménestrel recherché dans toute la ville...
Nightingale a toujours su faire ses entrées... Mais celle-ci, la PrésiDuchesse en mettrait son cou à couper, est digne d'entrer dans la légende.

Profitant de cet instant de flottement, il ne perd pas le temps d'un battement d'un cil avant de reprendre la parole. Grands gestes, claquements de manteau, et mimiques soulignées par le noir sous ses yeux, il sort tout l'attirail.
Sa dernière scène, peut-être, mais il semble déterminé à partir en beauté.

"Ma Lady," Night esquisse un geste respectueux envers la Lady, "Vous me cherchiez, je crois. Réjouissez-vous, je viens à votre rencontre. Mais je me dois vous demander d'ordonner à vos Gardes de déposer les armes. D'ailleurs!" Il claque des mains. "Rendez-vous, tous autant que vous êtes. La Révolution vous assure qu'aucun mal ne vous sera fait et que vous aurez droits à des procès équitables."

Enfin, l'assistance se réveille. Outré de ces paroles.
"Des procès!" s'insurge une PrésiDuchesse. "Et pourquoi donc!"
"Pour qui vous prenez-vous!" l'invective un CorpoBaron.
"Ce mariage est une farce! Gardes!" ordonne un PrésiDuc. "Laissez-nous sortir!"
"Tuez-moi cet imbécile," gronde Hexel, saisissant son épée. "Ou je m'en chargerai moi-même. J'en ai assez que l'on se moque de moi!"

La GardeMestre jette un regard paniqué vers Tally, qui lui ordonne de tirer son épée mais d'attendre. Elle n'a toujours pas lâché Lucia, qui essaie pourtant de se libérer autant qu'elle le peut.
"Oooh, ntntntnt," Nightingale a remarqué ces gestes hostiles à son égard et secoue son index, ne perdant pas contenance le moins du monde. "Je vous le déconseille, chers membres de l'Assemblée, chers gens de la Haute. Dehors, nos armées sont en train de mettre à mal les vôtres, et la victoire nous tend les bras. Si vous décidez de déposer les armes maintenant plutôt que de tenter une résistance futile, dans ce bâtiment dans lequel nous vous avons prudemment enfermé... Alors vous éviterez bien des pertes inutiles. Une sédition totale nous suffira, ne versons pas dans l'inélégance d'un massacre, voulez-vous..."

Il bluffe, se dit Enora. Il bluffe forcément... Cela ne peut être si simple.
La Révolution n'est pas équipée pour gagner face à la Haute. Mais la sérénité sur le visage du Ménestrel lui met le doute... Williams? Williams serait-il arrivé? Ou bien les Dellmers, peut-être?

Mais elle ne voit pas Helen, et pour l'instant son ami est seul face à l'hostilité de la Haute... Cherche-t-il à simplement gagner du temps?
"Tu n'as pas idée de ton erreur en te rendant à moi, Prince Oublié..." siffle la Lady, l'air satisfait. "Tu ne peux pas t'enfuir toi non plus... Et je te remercie pour le cadeau qui coule dans tes veines. Il sera mis à bonne contribution."
"Mon sang n'est pas encore tien, Lady meurtrière," rétorque Nightingale, un charmant sourire sur les lèvres.
"Mais enfin! Cela n'est-il pas fini!" S'impatientent les membres de l'assistance. "Débarrassez-vous de lui!"

"Combien êtes vous?" demande la GardeMestre aux abois, constatant que deux autres de ses Casaques, qui à présent se sont rendu compte de la disparition de leurs confrères, manquent à l'appel dans la galerie. "Comment vous êtes vous introduits ici?
"Gardes!" intervient Tally. "Trouvez-moi ces Révolutionnaires! Et ouvrez les portes, bon sang! Allez chercher la Maréchale!"
Aussitôt, les Casaques Jaunes se dispersent, certain montant dans les étages pour tenter de dénicher quiconque s'y tapirait, les autres essayant de débloquer les sorties.

"Ménestrel," décide finalement d'intervenir l'Oncle Langley. "Vous vous êtes illustrés par vos crimes contre l'État lors de l'Indépendance. Je vous déclare en état d'arrestation. Si vous descendez de cet autel séance tenante, nous prendrons soin de vous traiter décemment."
"Oh." Night fait mine de prendre une pause pour réfléchir, avant d'envoyer un regard froid au PrésiDuc. "Me traiterez vous comme vous avez traité mon père, dans ce cas? Avec les mêmes égards?"
"Pardon?" Philippe Langley ne comprend pas tout de suite. "Ton père? Ménestrel, tu fais erreur, je ne me commets pas avec des gens de ton rang."

"Philippe," intervient une des PrésiDuchesse les plus âgées de l'assistance. "Il ressemble à l'Oublié fou qui était venu mendier auprès de nous il y a... vingt ans?"
"Vingt-sept," rectifie Nightingale, avec un sourire figé. "GreyCoat de la Cour Enfouie, mon père, est venu vous trouver afin de négocier un traité de paix entre nos deux peuples... Vous auriez dû accepter, à l'époque. Maintenant, votre règne touche à son terme. Et par la mémoire des Dellmers, de mon père et de nos ancêtres, je veillerais à ce que jamais il ne reprenne. Les dieux m'en soient témoins, quand vous ressortirez de cette disgrâce que vous osez appeler cathédrale, l'Assemblée sera dissoute. Et votre royaume volé reviendra entre les mains de ceux qui le méritent vraiment. De ceux qui prendront soin de votre peuple. De tout votre peuple."

Ces insultes ne restent pas sans réactions. Qu'elles amusent profondément Tally, ou qu'elles révoltent l'assistance, Enora constate bien que la distraction de Night fonctionne. Tandis qu'il grapille de précieuses minutes, les Gardes dans les hauteurs sont éliminés un à un. Qui que soient ceux qu'Helen a choisis pour cette mission, on ne peut leur enlever leur redoutable efficacité.

La PrésiDuchesse reste cependant prête à... Elle ne sait quoi, mais Nightingale ne pourra pas faire durer cette comédie indéfiniment. Seul, sans armes... Il est en danger. Les autres ne le tolérerons guère plus longtemps. Qu'il s'en soit tiré sans dommage juste ici n'est dû qu'au simple fait qu'il ne présente aucun réel danger, et qu'Hexel et Tally le veuillent en vie.

Hexel s'avance devant l'autel, levant sa lame devant le Ménestrel qui ne prend même pas la peine d'avoir l'air apeuré.
"Descend de là, clown," ordonne le Lord. "Prince des Gueux ou non, je n'ai pas la patience des Sulverayns."
"Ni leur décorum," commente Night, sans toutefois bouger.
"Je vais te..."
"Hexel!"

Il retient son geste à contrecœur, sur l'ordre de la Lady. Elle a enfin lâché Lucia, la repoussant au sol où elle est ramassée par son oncle totalement dépassé par les évènements.
"Ne l'âbimez-pas!" Indique Tally en désignant le Ménestrel. "Il est trop précieux."
Elle se plante devant Night, un sourire beaucoup trop éclatant déchirant son visage.
"Ta petite politique a échoué, Nightingale de la Cour Enfouie," déclare-t-elle avec emphase. "Mais je te donne raison sur un point. Le pays va effectivement revenir entre les mains de ceux qui en prendront soin. Sauf que ce ne sera pas les tiennes, ni aucun de tes petits amis là dehors. Qui sont bien loin de toucher à une quelconque victoire d'ailleurs. Quand leurs carcasses pendrons tout le long du Pont des Anges, celle de ce charmant voleur en tête, cela fera passer aux séditieux l'envie de s'opposer à leurs maîtres."

"Que veux-tu dire?" demande Night, son assurance se craquelant un bref instant alors qu'Enora est prise d'un doute affreux.
"Le mariage, voyons..." répond la Lady, triomphale. "Le mariage qui nous sacre tous à la tête de l'Assemblée."
"Non," tente de corriger le Ménestrel, "Lord Hexel n'a pas épousé Enor..."
"Qu'importe la Langley..." chantonne presque Tally. "Qu'importe. Les vœux sont prononcés... Le mariage est valide."

"Non! Non! Cela ne se peut..." A hurlé Lucia, se remettant péniblement debout au bras de Philippe Langley.
"Désormais," Tally se tourne vers l'assistance, "Mes chers braves gens de l'Assemblée, et malgré ce contretemps, sachez que la Coalition Tally-Langley-Hexel est la plus importante depuis l'Ancien Royaume, et réunit enfin nos deux nations. N'est-ce pas une charmante nouvelle?"

L'assistance semble hésiter. Aucun d'entre eux ne partage cet enthousiasme, aucun d'entre eux n'a jamais souhaité ployer l'échine devant un tel pouvoir. Ils ne sont là qu'à cause du protocole, mais ne comptent pas vraiment s'en réjouir...
Ils se méfient de la Lady. Et d'Hexel sans doute encore plus. Mais entre ces puissants PrésiDucs par trop familiers et la Révolution... Nul doute qui ils choisiront.
Enora, elle, est dévastée. Tout ce qu'ils ont fait... Tout ça pour rien? Tally a gagné? Gagné, vraiment?
Sa sœur s'est mise en danger pour rien... Sa sœur qui a tant fait pour ne pas être une Seconde...

"Mon Oncle..." supplie Lucia, au bord des larmes, "Mon Oncle! Dites quelque chose!"
Philippe Langley, hésitant, se tourne vers le prêtre, plaqué contre la grande paroi de verre au fond de la nef, en compagnie des choristes apeurés.
"Le mariage..." déglutit difficilement le religieux, "Rien n'indique que la mariée devait être Enora Langley. Le... Le mariage est valide, oui."
Le cri de douleur et de rage de Lucia emplit l'église, perçant le cœur d'Enora, manquant de la faire tomber à genoux.
Qu'à-t-elle fait à sa pauvre cadette? C'est elle qui devrait se tenir là, à sa place... Non, se dit-elle. Elle ne peut laisser faire ça. Personne ne sait qu'elle est là, autant en profiter...

"Allons, allons, Ménestrel," Tally a un petit geste envers Night, "descend de là. Toute cette histoire est bien longuette."
Enora se glisse à croupetons parmi les premiers rangs du public qui ne la regardent même pas, se dissimulant derrière les bancs. Elle ne peut pas rester sans réagir.
Ils ont perdu... Pour le moment.
Rien n'est joué tant qu'il reste encore un membre de la Révolution debout. Quand à elle... Elle ne se rendra pas sans combattre. Le code de conduite de Nightingale l'empêche de même toucher une arme, elle... Elle a le couteau de Finn. Son dernier rempart, peut-être, contre une tyrannie annoncée.

Le Ménestrel a tôt fait de se retrouver encerclé par la dizaine de Gardes demeurant en bas de la cathédrale, à la pointe de l'épée d'Hexel.
Mais malgré sa défaite, malgré la terrible nouvelle qu'ils viennent d'apprendre, il ne bouge pas d'un pouce. Ne leur facilitera pas la tâche.
Au lieu de se rendre, il tourne simplement la tête vers Lucia, et lui adresse un sourire doux.
"Je suis navré de ce qui t'es arrivé, petite soeur..." lui offre-t-il gentiment. "Mais... Nous allons arranger cela..." Et il ponctue sa phrase d'un clin d'œil.

"Descends, barde!" intime Hexel, approchant la pointe de sa lame de la poitrine de Night, qui se contente de jeter un regard dégoûté à rapière bien vulgaire.
"Et sinon quoi?" provoque-t-il. "Je n'ai pas menti. Nos armées encerclent l'Oeil à l'heure qu'il est... Ne les entendez-vous pas?"
Il pose un doigt sur sa bouche, incitant l'assistance à tendre l'oreille.

Instinctivement, chaque âme dans le temple s'exécute, faisant silence. Retenant son souffle... Même Tally, même Hexel, remarque Enora. Si Nightingale s'était lancé en politique, il aurait enroulé le pays autour de son doigt en un rien de temps. Heureusement qu'il n'est pas devenu Roi.

Et... effectivement... au loin, très loin encore, mais assez proche pour qu'on puisse commencer à en percevoir les premiers murmures et quelques commotions plus violentes que les autres... Des bruits de combats. De distincts sons de mousquets qui claquent, et des cris...

Cela suffit à terrifier l'Assemblée.
Finalement, ces dindons poudrés réalisent ce qui cogne à leurs portes. La gravité de la situation dans laquelle ils se trouvent.
"Par la Toute-Mère!" "Qu'allons-nous faire!" "Il faut réagir promptement!" "Appeler la Garde!" "Oui mais nous sommes enfermés!"
Certains veulent se précipiter sur la sortie que les Gardes échouent encore à ouvrir, d'autres s'avancent vers l'autel pour y chercher refuge.

"Tu ne t'en tireras pas de cette façon!" préviens Hexel, un rictus défigurant ses traits. "Ce n'est pas le son de ta victoire que tu entends là, mais les tiens qui se font massacrer."
Tally, elle, ne répond pas, plissant les yeux, réfléchissant.
Enora, arrivée aussi subrepticement que possible non loin de l'autel, sens son estomac se tourner en plomb. Les soldats d'Ermir, les armées du nord...
Bon sang... Il ne faut pas laisser Hexel donner le signal à ses troupes d'attaquer. Si elle peut se rapprocher encore un peu...

"Erreur!" rétorque Night, tentant visiblement de grappiller tout le temps qu'il peut encore. "Nous avons pris Rive-Droite, nous avons pris Demi-Terre. Nos alliés arrivent de partout, des villes alentour! Vous êtes perdus. Je me tiens devant vous sans peur, car ce n'est pas à moi de craindre quoi que ce soit. Vous êtes plus à ma merci que je ne suis à la votre."
"Vous l'avez entendu," s'écrie un membre de l'assistance. "Vous l'avez entendu! Il faut agir!"
"Mais comment?" répond un autre. "Nos soldats sont déjà au combat, nos..."
"N'y a-t-il pas quelque chose que nous pouvons faire, très chère?" demande l'Oncle Langley à sa femme, retenant une Lucia tremblante.

"Tu as de l'aplomb," ricane Hexel. "Je le reconnais, mais tu..."
Tally l'arrête promptement, attrapant le bras du Lord dans ses serres.
"Ainsi, nous sommes à ta merci, Ménestrel, encerclé par la Révolution..." Minaude-t-elle.
"Complètement," reprend Night, plein de fausse fierté, "vous n'avez aucune chan..."
Le sourire qu'arbore la Lady fait comprendre au Ménestrel qu'il a commis une grave erreur. Qu'il est allé trop loin. Ses yeux s'écarquillent. Trop tard. Il ne peut Tally quand cette dernière une nouvelle fois face à l'assistance.

"Assemblée d'Hillmoore!" annonce-t-elle. "Nous voilà assiégés à faire face à des ennemis féroces venus à même notre refuge pour nous menacer. Mais il existe un moyen d'empêcher cela."
"S'il y a une solution, indiquez-la donc!" l'engagent les PrésiDucs et CorpoBarons aux abois.
"En état de siège," reprend la Lady avec assurance, "il nous faut nous en remettre à la loi martiale..."
Enora se crispe sur son couteau. Elle est trop loin encore pour empêcher cette tragédie d'arriver... Avant qu'elle n'atteigne Tally, elle sera arrêtée par les Casaques Jaunes.

"La loi martiale!" Quelques protestations de bon aloi. "Comme vous y allez!" "Oui, n'est-ce pas un peu extrême!"
"Chacune de nos décisions prend trop de temps!" rétorque Tally, se déplaçant encore un peu plus loin dans l'allée, au grand dam d'Enora qui pleure presque de rage, "Nous ne pouvons plus nous encombrer de palabres quand l'ennemi frappe à notre seuil! Je réclame le vote de la loi martiale! Et en tant que plus grosse coalition, je demande les pleins pouvoirs aux Tally-Langley-Hexel!"

"Réfléchissez!" leur crie Nightingale. "Elle vous propose rien de moins qu'une dictature militaire!"
C'est la première fois qu'il se retrouve face à un ennemi qui retourne si facilement ses discours contre lui, qui le frappe avec les armes qu'il a lui-même forgées...
"Et toi tu menaces directement nos sièges à l'Assemblée, barde!" lui renvoie un CorpoBaron. "À tout prendre, la proposition de Tally me paraît raisonnable... Surtout si vous vous engagez à nous apporter le soutien de vos armées, Lord Hexel."
"Inconditionnellement..." répond posément le Lord, détachant chaque syllabe avec précision. "Après tout... Mes soldats ne sont pas si loin..."
"Sous un seul commandement fort, nous pourrons vous protéger," promet Tally. "N'est-ce pas très cher?"

Lord Langley, atterré par la tournure des évènements, se contente de hocher la tête.
Ce n'était pas de cette façon qu'il avait prévu de passer sa journée... Le banquet du soir doit lui sembler bien compromis, remarque Enora avec dégoût, tentant toujours de s'approcher... Bientôt elle sera derrière les Gardes proches de l'autel, mais un pas de travers et c'en sera fini de ses efforts...
Elle croise le regard de Lucia. Qui l'a vu. Qui lui fait non de la tête, la supplie de reculer en articulant tout bas.
Enora ne peut arrêter. Helen n'est toujours pas là... Mais qu'est-ce que la contrebandière attend? Tout est en train de dégénérer à une vitesse incroyable!

"Procédons à la mise au vote!" déclare la vieille PrésiDuchesse de l'assistance. "Qui donne sa voix pour l'avènement de la loi martiale?"
Instantanément, les mains de toute l'assistance se lèvent. Même ceux qui n'ont pas de siège à l'Assemblée apportent leur approbation totale à cette idée.
"Vous n'avez aucune idée de la folie que vous êtes en train de commettre!" signale Nightingale. Mais plus personne ne l'écoute. Le voilà muet au milieu des sourds.
Dépouillé de tous ses pouvoirs.

"Un papier!" réclame quelqu'un. "Un papier pour ratifier cet acte!"
Précipitamment, des Gardes relâchent leur vigilance sur Night, amenant quelques feuillets laissés sur l'autel à un des CorpoBarons qui adopte le rôle de scribe pour cette farce tragique.
"Qui vote ensuite les pleins pouvoirs à la coalition Tally-Hexel-Langley?" demande encore la vieille PrésiDuchesse.

Un à un... Les sceaux de toutes l'Assemblée sont apposés sur ce morceau de papier, à une vitesse folle. Papier que l'on amène à Philippe Langley qui le cachète à son tour, sous les protestations de Nightingale.
"Oh, cela suffit!"

Excédé, le Lord a décidé d'agir.
D'un bond d'une souplesse que la raideur de son uniforme ne pouvait laisser présager, il est monté sur l'autel, face au Ménestrel encerclé, incapable de reculer.
Il ne faut qu'un ou deux mouvements au Lord, démontrant tout son savoir de soldat, pour faire tomber Nightingale au sol, le traînant brutalement en arrière vers l'allée. Puis, maintenant le barde à genoux, il plaque son épée sous sa gorge de chanteur.
Night se fige, comprenant qu'il est définitivement hors course. À la merci de ce sociopathe sanguinaire.

C'en est trop pour Enora. Si son ami est pris...
Dans la manœuvre, le Lord s'est imprudemment approché d'elle.
La PrésiDuchesse se jette hors des bancs qui la dissimulaient jusque-là aux regards, tel un pantin hors de sa boîte, arrivant droit sur le flanc du Lourd. N'hésite pas en appuyant la pointe de son couteau contre la jugulaire d'Hexel.
"Lâche-le, pourriture..." crache-t-elle, d'une voix qu'elle ne reconnaît pas.
" 'No!" s'écrie Lucia. "Non! Va-t-en!"

Mais le Lord se contente de rire, tournant légèrement la tête pour la regarder du coin de l'œil.
"Vous voilà enfin, ma femme... Enfin... Non, plus maintenant... Je me contenterais aisément de votre sœur... Elle a l'air tout aussi sotte, mais plus docile... Je ne regrette guère cet échange!"
"Lâche-le!" Insiste-t-elle, plantant plus loin son couteau dans la chair du Lord.
"Hun hun..." préviens ce dernier, resserrant lui aussi sa prise sur le Ménestrel.

" Bonjour Princesse..." articule péniblement Nightingale, profondément désolé. "J'aurais aimé te retrouver dans d'autres circonstances, mais..."
"Ta gueule..." lui intime Hexel, le rudoyant. "Estime toi heureux qu'on ait besoin de ton sang, sinon il coulerait déjà à mes pieds..."
"Ô que la fortune me sourit..." persifle Night.

"Il me suffirait d'un geste pour te saigner, Lord..." siffle Enora.
Si Tally a besoin de Night en vie, elle par contre... Elle ne veut pas tuer. Même Hexel. Mais... A-t-elle encore le choix? Peut-elle encore éviter cela? Pour sa sœur, pour Nightingale... Elle n'en est pas certaine.
"Trop tard!"

Tally a apposé son sceau sur le feuillet, et tend le papier au-dessus de sa tête.
"Trop tard, ma fille," répète-t-elle, en riant, se tournant vers la PrésiDuchesse. "Trop tard! C'est terminé... Révolution, pas Révolution... Trop tard... Ce n'est pas ainsi que j'envisageais les choses, mais je dois vous remercier, toi et ton petit chanteur à la manque, de m'avoir autant facilité la vie... Oui! Je ne pensais pas que cela serait si simple!"
"Je peux le tuer! Je peux tuer ton allié, Tally!" menace la PrésiDuchesse, sentant la situation lui échapper à nouveau. "La vie d'Hexel..."

"Oh, des menaces!" La Lady s'approche d'elle, sans peur, sans même prendre garde aux questions s'élevant de l'assistance, s'interrogeant sur son changement soudain d'attitude.
"Des menaces, ma fille... Tu te crois à l'abri derrière ta Révolution, tu..."
Un coup de feu s'abat à ses pieds, la faisant sursauter, l'empêchant d'avancer. Puis un autre, faisant voler le marbre. Encore un autre.
Et un dernier, provenant de l'entrée de la cathédrale.
Ils tournent la tête.

Devant les portes closes, Helen, un mousquet fumant au bout de son bras, se tient debout, bien droite. Toute en épée et en morgue sous son chapeau. La PrésiDuchesse pourrait en hurler de joie.
"Navré du retard, chérie," envoie-t-elle à Enora. "Il y avait plus de monde que prévu sur la route."

Dans les galeries, une dizaine de Révolutionnaires armés jusqu'aux dents braquent l'assistance à l'aide de longs fusils qu'Enora n'a jamais vu.
"Ne cherchez pas vos soldats, ils sont vaguement indisponibles..." jette la contrebandière. "Cela m'aura demandé du temps, mais... Comme l'a si bien dit mon cher compagnon... C'est une prise d'otage. Et je vous conseille de plier le genou rapidement." Elle fait cliquer le second chien de son arme. "Je n'ai pas les scrupules de mes confrères."

"Cela nous fait au moins ça en commun..." rétorque Tally. Avant de sortir de la poche de sa robe, trop vite pour que même Helen puisse réagir, un petit mousquet qu'elle braque sur Enora, qui sent un trait froid de terreur pure geler ses os.

"Ne crois pas que j'hésiterais, Samson," lance la Lady, d'une voix qui n'a plus rien de joueur. "Je hais cette petite salope presque autant que je te hais, toi. J'aurais plaisir à te voir perdre encore une fois tout ce que tu aimes, là, sous mes yeux."
"Sombre raclure..." siffle Helen.
"Peut-être..." admet Tally, haussant les épaules. "La vie est ainsi faite, Samson. Mais Alcestia avait raison, notre petite Enora a de la ressource. Dommage pour vous que cela tourne encore à mon avantage. Qu'est-ce que cela fait, de passer ta vie à être une perdante?"
"T'es complètement tordue..." lance la contrebandière, dégoutée, mais n'osant pas lever son arme.

"Mais enfin, ma chère! Vous ne pouvez menacer Enora! Un membre de votre famille! Rendez-vous compte! Et que signifie tout ceci!"
Enora aurait presque oublié son Oncle, qui se cache à présent pratiquement derrière l'épaisse robe de Lucia. Cette dernière ayant reculé jusqu'à l'autel, loin des soldats qui ne savent comment réagir.

"J'ai ton Ménestrel, Samson," reprend Tally, l'ignorant totalement. "Et j'ai... ta protégée? Ta nouvelle protégée? Tu les collectionnes, pas vrai..."
"Va te faire foutre," crache Helen, sa main nerveusement serrée sur son arme toujours baissée.
"Oh, tu les aimes, tes petites amis..." rit Tally. "Tu les aimes... Et tu ne les mettrais pas en danger, n'est-ce pas? Même pas pour ta chère Révolution. C'est le problème des faibles dans ton genre. Vous êtes incapables de faire ce qu'il faut. Hexel? Où en sommes-nous?" demande-t-elle, sans même regarder le Lord Général.

"Vu l'heure..." répond-t-il en envoyant un sourire en coin à Enora. "J'imagine que nos armées sont entrées dans la ville."
"Comment cela!" Se récrient les PrésiDucs. "Quelles armées?" "Pour quelles raisons? Vous n'avez pas donné d'ordres!"
"Non, en effet..." Le Lord a un air détaché. "Nul besoin. Tout cela était planifié depuis... Plusieurs semaines. Le mariage aurait dû être terminé à l'heure qu'il est, mais ce petit contretemps nous arrange finalement..."
"Les armées?" Enora échange un regard avec Helen, qui a pâlit. "Les armées du nord? Les armées d'Ermir? Déjà?"
"Merde..." souffle Night, à ses pieds.
"Oh, tu étais au courant..." La Lady a un air appréciateur. "On a de bons espions dans la révolution, à ce que je vois."

"Julia!" Philippe Langley semble scandalisé. "Mais enfin, qu'avez vous fait?"
"En ce moment même" déclare posément Tally, sans cesser de braquer Enora. "Les armées d'Ermir et nos propres soldats du nord, payés avec l'argent conjoint du corporat Langley et Tally, sont en train d'entrer dans la ville par la Rive-Droite. La Révolution est morte." termine-t-elle, avec le sourire souverain de celui qui sait qu'il a gagné sans équivoque. "Vive Sulver."


(bon. là, je vais pas vous le cacher... c'est grave la merde pour la Révolution.)

La Ballade du Pont des Anges - Tome 3 : EnoraOù les histoires vivent. Découvrez maintenant