Chapitre 18: Des secrets au creux des murs.

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(allez une petite couche de Enora la complotiste! yeay!) 

 L'esprit d'Enora papillonne trop pour qu'elle arrive à se concentrer sur la moindre tâche. Constamment dans son esprit reviennent encore et encore toutes les possibilités de ce qu'il pourrait se passer durant ce mariage honnis auquel elle a accepté de se rendre.
Elle n'a aucun doute que ni Finnegan, ni aucun de ses amis ne l'abandonnerait et ne la laisserait aller au bout de cette cérémonie mais... Rien que l'idée de se tenir au bras d'Hexel la dégoûte.
Bon sang, dire que cet homme était l'amant de Tally...
Quel sombre plan ces deux-là ont-il bien pu orchestrer...
La PrésiDuchesse cligne des yeux, se rendant compte qu'elle fixe la même page de son livre depuis sans doute de nombreuses minutes. De guerre lasse, elle repose l'ouvrage sur un guéridon à côté du fauteuil devant sa fenêtre, renonçant à lire, se renfrognant. Résignée à passer le reste de cette longue journée d'ennui et d'impuissance en proie avec ses idées noires.

L'arrivée de Lucia est un profond soulagement.
Même si sa sœur a l'air agitée. Plus qu'agitée en vérité si Enora en croit la façon dont sa cadette se précipite vers elle, parlant à voix basse d'un ton urgent.
" 'No, il faut que tu viennes avec moi. Vite."
"Qu'est-ce qu'il se passe?"
Lucia pose un doigt sur sa bouche, lui faisant signe de rester discrète.
"Je ne sais pas vraiment, mais je sais que c'est important. Et nous ne pouvons pas nous permettre de nous faire remarquer."
"Difficile quand je ne peux même pas sortir faire une balade aux jardins sans un Garde sur le train."
"Avec moi tu peux vaquer partout, je suis ton chaperon, tu te souviens?" Lance Lucia. "Allez viens. Et fait semblant de faire la gueule, qu'on ne croit pas que tu aies envie de me suivre."
"Ça," soupire Enora, "ça ne sera pas difficile."

Elles sortent de la chambre, la tête haute.
Lucia fait signe aux deux Casaques éternellement en faction devant la porte que tout va bien, et elles partent à pas compté dans un couloir non loin, directement vers les ailes d'habitation, là où normalement, personne ne devrait les déranger.
Mais quand sa cadette les conduit vers une partie très éloignée du manoir, la PrésiDuchesse commence à se poser des questions. D'autant plus quand Lucia lui prend la main et l'entraîne, regardant derrière elle que personne ne les suit, derrière un rideau où niche l'entrée d'un des passages dérobés habituellement usités par les domestiques afin de se déplacer plus rapidement entre les pièces habitées par leurs maîtres.

"Où est-ce que tu m'emmènes?" demande Enora, perplexe.
Elle aussi a durant son enfance parcouru ces couloirs secrets, niches à passe-plats et lieux de drames des petites gens. Elle les connaît comme sa poche, et sait qu'elles se dirigent vers un petit cabinet, qui ne sert guère plus depuis belle lurette que de débarras pour les papiers de son Oncle.
Mais Lucia lui intime le silence, marchant à pas comptés afin de ne pas faire craquer le vieux plancher de bois. Pour qu'elle fasse autant de mystères, c'est que l'heure est grave.
Enora la suit délicatement.

Enfin, Lucia s'arrête, dans ce passage étroit dans lequel quelqu'un de la stature de Luke aurait bien du mal à se faufiler, entre les planches poussiéreuses chargées de toiles d'araignées, et les massives poutres de soutènement qui maintiennent en place les trop lourds murs de la bâtisse.
L'héritière écarte en de gestes très délicats un pan de bois dans le mur, à peine assez pour que les deux sœurs puissent glisser un œil vers l'intérieur du cabinet. Et elle fait signe à Enora d'observer ce qu'il se passe.
La PrésiDuchesse retient un hoquet de stupeur.

Là, devant une petite table de bois, sous la chiche lumière d'une lampe à gaz que l'on a sans doute pas allumé depuis longtemps, sous les lambris vieillots de cette pièce oubliée, s'agglutinent Tally, Alcestia, et le Lord Hexel en personne.
Que font-ils là tous les trois? Ils ne planifient sans doute pas le mariage, pas ici. Une telle réunion ne peut pas annoncer une bonne nouvelle.
Lucia lui prend la main. L'exhortant à écouter tout en lui offrant son soutien. Enora s'y accroche.
Toute son attention braquée vers la conversation se déroulant sous ses yeux.

"Pourquoi cet idiot de FitzBarkley aurait-il trahi!" s'emporte le Lord, le visage rouge de colère, penché sur les papiers épars sur la table. "N'y a-t-il personne sur qui l'on puisse compter dans cette ville?"
"Mes enquêteurs nous affirment que son époux était en relation avec le Ménestrel agitateur il y a des années de cela. C'est sans doute cet arriviste de courtisan qui a convaincu le Maréchal de se détourner de Sulver pour s'allier avec ces saletés de Révolutionnaires..." déclare Alcestia, d'un ton plat. "Dire que mes Mestre le tenaient, et qu'il l'ont laissé partir... Il faudra faire le ménage dans la hiérarchie, nous sommes vraiment entourés d'incapables."

"Les cartes et notes trouvées dans le manoir Fitzbarkley sont suffisamment compromettants," balaie Tally, le visage pincé. "Il ne faut pas s'attendre à ce qu'il revienne pour mater les révoltés qui s'opposent au renouveau de Sulver, mais au contraire pour leur porter main forte. Et le courtisan est évidemment introuvable..."
"Si seulement je pouvais le passer à la question..." grince la Maréchale. "Il ne serait pas si teigneux que ce voleur, malgré ses grands airs. Il craquerait en même temps que ses premières phalanges...."

"Des amateurs..." gronde Hexel. "Je travaille avec des amateurs! Si nous étions en Ermir, les choses..."
"Mais nous ne sommes pas en Ermir!" lui rétorque vertement la Lady, toute parée de sa superbe dans sa resplendissante robe verte. "Ici, les choses se font d'une autre façon!"
"Vous m'aviez promis une part de ce pays..." rappelle le Lord, se rapprochant d'elle, menaçant. "Et vous voilà à vous faire damner le pion par une bande de... de rats des rues qui poussent la chansonnettes, de déserteurs sans honneurs, et de mendiants croupissant dans des tunnels! Comment votre pays a-t-il même pu prétendre à sa grandeur!"

"Ne mésestimez pas ces soi-disant mendiants," rappelle Alcestia, le visage fermé. "Surtout pas vous. Rappelez-vous qu'ils sont les enfants des loups sanguinaires qui ont jadis régné sur le continent d'une main de fer. Sous leur règne, Ermir n'était qu'un misérable vassal recroquevillé sur le bout de rocher qui lui sert de territoire. Il n'y a qu'en les éradiquant que nous nous mettrons tous définitivement à l'abri de leur puissance. Pas en les méprisant. Ce sont des ennemis endormis qui peuvent sans nul doute redevenir dangereux. Le sort nous garde de leur fureur."
Hexel, furieux, va rétorquer mais Tally s'interpose entre eux, soudain cajolante.

"Très cher," articule-t-elle d'une voix chantante, surprenant Enora par la rapidité de son changement d'attitude, "je suis venue vous trouver il y a des années de cela car je savais que votre ambition quasi affichée d'éliminer la concurrence des régnants de votre patrie ferait de vous le partenaire commercial idéal. Mais à l'unique condition que vous me fassiez confiance dans ma manière de mener la barque. Sulver n'est pas Ermir, vous le savez bien. Ici la force brute n'a qu'une portée limitée, la politique est plus complexe que vous n'en avez l'habitude en votre pays. Et jusque-là, malgré ces menus inconvénients, avez-vous eu tort de me confier les rênes? Vous ai-je jamais déçu?"
Hexel a un murmure d'agacement, mais sa posture se fait moins menaçante, et il grommelle.
"Certes... Vous nous avez amené plus près de la victoire que je n'aurais pu l'espérer. Mais je me demande tout de même comment vous envisagez de maintenir ce pays à flot alors que le front d'Atelagne est maintenant quasiment déserté. Que Fitzbarkley ait trahi ou non, ce problème se pose encore. De tous vos calculs et manigances, celui-ci me laisse dubitatif. Bien que mes soldats se soient mêlés à votre armée en empruntant les uniformes de vos soldats pour descendre vers Hillmoore, vos frontières sud ne peuvent devenir un problème immédiat dans ce genre de climat, j'espère que vous en avez bien conscience."

Enora serre la main de Lucia dans la sienne, se mordant les lèvres pour s'empêcher de jurer.
Les armées d'Ermir? Elles ne sont pas en faction à la frontière, mais bien... En route vers la capitale, sous couverture... Non...
Jamais la Révolution ne sera de taille, même si Williams arrive à temps... Ils vont droit à la catastrophe...
Mais la conversation se poursuit, sans égard pour ses émois intérieurs.

"Les émissaires d'Atelagne et leurs plus grands ambassadeurs sont ici pour assister à votre mariage, l'auriez-vous oublié?" plaque Alcestia, d'un ton acide. "Nous n'agissons pas sans raison. Eux ici, c'est notre chance de leur mettre le couteau sous la gorge au moment propice afin de les faire plier eux aussi. De leur imposer une alliance, qu'ils le veuillent ou non."
"Une alliance..." Hexel a un sourire prédateur qui révulse la PrésiDuchesse. "Une alliance, ou leur faire courber l'échine à eux aussi?"
"Chaque chose en son temps, très cher," minaude Tally. "Chaque chose en son temps. Ils sont là pour se rendre compte de ce que pourrait donner un partenariat entre Sulver et votre pays, et ne bougeront pas avant de constater l'étendue de notre puissance. De tous nos opposants, les Atelanais font partie des plus prudents. Inutile de les brusquer avant que cela ne soit vraiment nécessaire. Nous aurons tout le temps de reconstruire la splendeur de Sulver du temps de l'ancien royaume une fois que nous aurons installé notre suprématie sur les territoires dont nous nous serons assurés le contrôle. Il ne faut pas pêcher par excès de zèle."
"Mais quoi qu'il arrive, ils sont pris au piège," renifle la Maréchale. "Ils ne bougeront pas d'une oreille."

La Ballade du Pont des Anges - Tome 3 : EnoraOù les histoires vivent. Découvrez maintenant