Epilogue - Partie 3 (et fin.)

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 L'annonce de l'apprentissage de Robin se fête à coup de nombre de bravos, d'encouragements, et de verres de bières.
Ghost lui donne une bourrade affectueuse, et lui offre un clin d'œil qui lui laisse penser que ce filou était déjà au courant des idées de son époux.
Muse la prend dans ses bras, la félicitant. Quand à Lune, il est fou de joie.
Et quand Night la présente à la cantonade à tous ceux qui sont présents sur la place, ce sont des dizaines de personnes qui lui lèvent leurs chopes pleines.
Elle ne doute pas, vu les chuchotements des Ménestrels présents, que la nouvelle n'atteigne l'intégralité de la Guilde avant même une heure.

"Ce Maître Beffroi," demande-t-elle à son nouveau mentor alors que la soirée tire à sa fin, que les gens rentrent chez eux, "ne risque-t-il pas de te demander des compte suite à mes agissements? D'autant que mon apprentissage n'a pas été approuvé par la Guilde locale?"
Nightingale a l'air profondément amusé de sa question.
"J'irais m'entretenir avec lui demain à l'aube," répond-t-il. "Je n'ai cure de ses décisions de bouffon, et s'il le faut, je lui rappellerai que je ne dépends pas de Bellcendre mais bien d'Hillmoore. Et je suppose que BlackBird a déjà approuvé ton transfert ici, n'est-ce pas? Que Maître Beffroi essaie de m'empêcher d'agir à ma guise, et l'on verra bien qui mérite ici le titre de Ménestrel."
Il a prononcé le nom de son rival avec une ironie si acide que son suc pourrait percer des trous dans les pavés du sol.
Ghost lève les yeux au ciel, visiblement habitué à la querelle bardique de son compagnon, tout comme à ses quelques excès d'orgueil.

Sur le chemin du retour, Lune tient la main de Robin, souriant jusqu'aux oreilles.
Au moment où ses parents lui ont appris que l'apprentie resterait désormais vivre avec eux jusqu'à la fin de son apprentissage, il a semblé monté sur un petit nuage, dont il ne décolle plus et entreprend de lui expliquer pièce par pièce chacun des secrets de la maison qu'il connaît comme sa poche, et de lui détailler précisément les activités dans lesquelles il compte l'entraîner ces prochains jours.
Elle se sent fondre. Son nouveau petit compagnon étant bien plus agréable que tout ce qu'elle a pu côtoyer ces derniers temps à Hillmoore.

Quand enfin, elle se couche dans les draps frais de son lit, son cœur tambourine dans sa poitrine.
Elle l'a fait. Elle a un avenir.
Et une drôle de famille qui a décidé de l'adopter sans qu'elle s'en rende vraiment compte.
Sont-ils juste aimables, habitués à recueillir les petits chats perdus comme elle, ou y a-t-il quelque chose de plus?

 C'est cette idée, comme l'excitation de ce que l'attend, qui la tient éveillée malgré l'alcool qui tourne dans ses veines, faisant vaguement rouler la pièce autour d'elle.
Des années qu'elle n'a pas ressenti de tels sentiments.
Bien que Maître BlackBird lui ait donné un sentiment de sécurité, ainsi qu'une affection sincère, ce n'était pas la même chose que la douceur d'un foyer... Alors qu'ici...

Elle se lève, voulant remettre ses idées en ordre.
C'est beaucoup pour une seule journée. Beaucoup de changements, beaucoup d'émotions, trop de frénésie...
Décidant qu'il lui faut de l'air frais, elle sort de son lit et va ouvrir sa fenêtre, profitant de la brise nocturne sur son visage, passant à travers son pyjama de lin.

L'apprentie n'a pas le temps de se détendre qu'un mouvement dans le jardin attire son regard.
Sa fenêtre donne sur la partie la plus dégagée du petit domaine, non loin du bassin.
Sur l'étendue d'herbe, à une dizaine de mètres à peine, une petite silhouette danse en compagnie des deux loups, virevoltant dans son sillage.

Lune est en pyjama, et semble valser pour lui-même et ses compagnons à quatre pattes.
Une sarabande folle, les bras ouverts...
Quand il lève les yeux, sentant sans doute qu'on l'observe, Robin peut voir de là où elle est le feu brillant dans ses pupilles. Comme ceux d'un animal réfléchissant la lumière.
Mais en la voyant, il sourit. Et lui fait signe de la rejoindre.
Elle lève un sourcil.
Il insiste, mettant un doigt sur sa bouche. Promesse de secret.

Sans réfléchir, elle sort de sa chambre, pieds nus dans le couloir, soucieuse de ne pas réveiller les autres occupants de la maison, avant de se glisser dans le jardin par la porte de derrière.
"Qu'est-ce que tu fais là? Tu ne devrais pas être au lit?" demande-t-elle à voix basse, en rejoignant le garçon, ses pieds foulant l'herbe chargée de rosée nocturne, ce qui a pour effet de la faire dessaouler quelque peu.
"On s'en fiche," répond Lune, riant et tournant sur lui-même. "Avec Luther et Lucien, on danse."
Les deux loups caracolent autour d'eux, jappant joyeusement.

"Vous dansez..." Répète Robin, charmée par ce spectacle. "Pourquoi? Ce soir ne t'a pas suffit?"
"C'est pas pareil. Là, c'est pour elle."
Il montre du doigt le ciel, et le disque incandescent de l'astre qui lui a donné son nom, souveraine et pleine dans son cortège stellaire.
Les yeux du petit luisent d'un or transperçant l'obscurité. Plus brillant encore que ceux de son père, comme éclairés d'une vie intérieure.
Robin sent quelque chose au fond d'elle. Une forme de fascination mêlée d'un respect instinctif... Et d'une profonde affection.

"Quand elle est pleine, là dans le ciel," explique Lune, fixant le dôme bleuté au-dessus de leurs têtes, "Alors, des fois... J'ai l'impression qu'elle me parle. Qu'elle m'appelle..." Il parle en un murmure, à peine conscient de ce qui l'entoure. "Alors... Je ne sais pas. Je me sens... En vie. Vraiment en vie. Mais pas vraiment non plus, tu vois. Comme si je flottais là haut, avec elle... Alors je danse, pour avoir l'impression de la rejoindre. Tu comprends?"
Il regarde l'apprentie à présent. Tellement confiant, alors qu'il vient de lui livrer un secret que, elle en est certaine, il n'a pas dévoilé à ses parents.

"Pas vraiment," confesse-t-elle, lui prenant la main. "Sans doute pas autant que toi. Mais si je la regarde..." Elle lève elle aussi sa tête vers l'immensité infinie de l'espace, qui semble les engloutir à la manière d'un océan sans fond. "Des fois... J'ai l'impression qu'elle me parle aussi. J'imagine ce que c'était ce que ressentaient mes grands-parents quand ils chassaient dans les steppes, lors des nuits infinies, avec seulement son croissant pour les guider. J'imagine ce qu'elle a vu, de là haut, et qu'elle me raconte leurs histoires... Mes ancêtres, et les secrets de la nuit..."

"Danse..." Lune tire sa main. La ramène vers lui. "Viens. Danse avec nous. Pour elle. Elle me dira ses secrets, et je te les raconterai..."
Il y a tellement d'assurance dans sa voix, tellement d'amour pour tout ce qui l'entoure qu'elle ne résiste pas. Entrant dans la sarabande. Sans autre musique que celle de la brise dans les arbres, le clapotis du bassin, les glapissements des loups, les insectes appelant dans l'air...
Le chant de la nuit, qui rythme leurs pas sans but.

Elle se sent enrôlée dans un jeu dont elle ne connaît ni les règles ni les lois, entraînée par cet enfant fae dans un monde étranger, dans lequel elle plonge avec délice.
Un enfant qui lui rappelle les frères et sœurs qu'elle n'a jamais eus. Et qu'à son tour, elle décide d'adopter.

Aux premières lueurs de l'aube, qui les surprennent au détour d'une dernière valse, elle le prend dans ses bras, et le ramène à la maison. Il lui semble entrevoir une silhouette à la fenêtre de la chambre près de la sienne. Qui disparaît quand elle lève les yeux.

Le lendemain matin, quand elle se réveille, elle n'est pas certaine de ne pas avoir rêvé.

Matin est en réalité un bien grand mot.
Il est presque midi quand elle arrive, baillant tout ce qu'elle peut, dans une maison en effervescence.
Chacun porte des draps, des matelas, dispose des lits d'appoint dans des pièces à l'écart, et même dans le salon de piano.

Ne sachant si elle peut être utile, Robin se traîne vers la cuisine.
Ghost l'y rejoint, lui mettant de force un verre de jus de fruit et une tartine dans les mains.
"Cela te dérange de partager ta chambre pour quelques nuits?" demande-t-il, la regardant avec un petit sourire. "Nos invités sont nombreux."
L'apprentie fait signe que non, étouffant de nouveau un bâillement.
"Je peux faire quelque chose pour... aider?"
Elle se souvient vaguement qu'on lui a expliqué effectivement que des gens étaient attendus dans la maison sous peu, mais n'avait pas réalisé que cela était aujourd'hui. Et que puisqu'elle habite ici désormais, elle va être confrontée selon toute vraisemblance à quantité d'inconnus.

"Va te débarbouiller d'abord, et après tu nous aideras à faire les lits," lui répond le voleur.
Puis il passe près d'elle et souffle dans son oreille.
"Tu as encore un peu de terre sous les pieds. La prochaine fois, veille à mettre des chaussures."
Il disparaît après lui avoir offert un sourire mutin.

La Ballade du Pont des Anges - Tome 3 : EnoraOù les histoires vivent. Découvrez maintenant