Chapitre 27

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L'on avait souvent reproché à Stiles son manque de discrétion lorsqu'il devait s'infiltrer quelque part, ou juste... Vivre au milieu des autres. La société actuelle avait la fâcheuse tendance à pousser les gens à gommer leurs excentricités et dissimuler certaines particularités.

Stiles avait toujours fait montre d'une propension à l'émotion et son visage en faisait très régulièrement la démonstration. A côté de cela, il parlait fort, bougeait sans arrêt, s'amusait souvent à montrer celui qu'il était parce que... C'était quelque chose qui, pour lui, n'avait rien d'anormal. Il n'aimait pas se conformer à quelque règle trop stricte. Il aimait la vie, les couleurs, ressentir puissamment ce qui avait la capacité de le faire vibrer. Dans son monde, on n'aimait pas trop cela, à part éventuellement dans le cercle privé. En dehors, on le poussait à se museler.

Ici, il n'avait tout simplement pas le choix.

La tête de Stiles était lourde, très lourde. Tout comme ses pieds, qu'il s'efforçait de ne pas traîner. Sa survie dépendait de ses efforts pour se montrer discret. Et sa concentration concernant ce besoin vital baissait de jour en jour, si bien qu'il devait se mentaliser pour réussir ne serait-ce qu'à se concentrer un minimum. Ainsi, le nombre de fois où il avait frôlé la mort ne cessait d'augmenter... Alors pourquoi marchait-il de façon aussi tranquille au milieu de cette rue dévastée ? Tout simplement parce que son instinct de survie s'était partiellement fait la malle. L'apathie que ressentait Stiles jouait aussi... Sans pour autant qu'il ne laisse tomber toute forme de discrétion. Ses pas faisaient un bruit dérisoire justement parce qu'il faisait attention. Mais les morts – les fondus, comme les appelait Newt – ne lui faisait plus réellement peur. A force d'en voir de tous côté, il s'y était habitué. Leur vue... Ne le faisait même plus grimacer. En fait, peur et dégoût ne lui faisaient presque plus aucun effet, désormais. Cela faisait des jours qu'il côtoyait la mort mouvante, des jours qu'il survivait au milieu de toute cette merde, des jours... Que sa vie avait perdu toute couleur. Fade au possible, elle n'avait plus aucune saveur. Il était impressionnant de voir le peu de temps qu'il avait fallu pour que la vision des choses de Stiles change, pour que sa conception de la vie et du monde s'effondre. Il n'avait plus envie de rien, pas même de survivre.

C'était pour Newt qu'il continuait d'aller écumer les bâtiments abandonnés, qu'il bravait le danger sans avoir l'air de se soucier de son ampleur. Juste pour lui. Pour prolonger sa vie d'au pire quelques jours, au mieux quelques semaines. Besoin égoïste ou réel début d'amitié, nul ne saurait le dire, pas même Stiles. Disons qu'il ne pensait plus à grand-chose et certaines de ses émotions s'atrophiaient lentement. Ne restait en lui que la colère, celle qui l'animait de temps à autres et qui participait à lui donner un peu de cette énergie faiblarde, laquelle lui servait pour se lever et daigner sortir de ce qui était désormais son chez-lui. Pouvait-on d'ailleurs parler de colocation, dans le cas actuel ? Pouvait-on de toute façon encore donner un nom, un statut à une situation comme celle-ci ? Pouvait-on seulement considérer certains aspects de cette vie morne comme « normaux » ? Ici, la normalité, c'était la mort, la destruction de tout. De la civilisation humaine, il ne restait plus grand-chose, si ce n'est quelques bâtiments encore debout, rongés par la gangrène de ces êtres anciennement vivants. Stiles en voyait s'effondrer de temps à autres lors de ses expéditions et il profitait toujours du vacarme que la chute d'une tour produisait pour baisser un peu sa garde. Car le bruit attirait ces monstruosités mouvantes mais mortes, à tel point qu'elles se ruaient chaque fois dans la direction d'où provenait le son sans perdre une seule seconde.

Et parfois, Stiles se demandait ce qu'elles attendaient ou si elles attendaient quelque chose, tout simplement. Ces bêtes-là avaient-elles encore un semblant de conscience ou seule la maladie leur permettait de bouger ? Il avait vu et lu tout un tas d'histoires concernant ceux que l'on appelait « zombies » dans son monde... Et si chaque auteur se faisait sa propre interprétation de ces monstres, Stiles se rendait compte d'à quel point il était ignorant. De ces choses, il ne savait rien, si ce n'est qu'il s'agissait autrefois d'humains, comme lui... Des gens, des vivants. Ils avaient une vie, peut-être un métier, une famille. Je suis leur passé, ils sont mon futur, songea Stiles sans qu'une réelle émotion le traverse. Il s'agissait là pour lui d'un simple constat. Un peu amer, certes. L'hyperactif préférait y voir là une forme de réalisme – qui rimait pour lui avec concret. Il ne s'agissait pas d'un mauvais rêve, d'une hallucination ou d'une autre parade créée de toute pièce par son cerveau humain : c'était juste la vie, ici.

Vint un moment où Stiles, toujours à l'extérieur, décida de jouer avec la mort en douceur. Il allégea ses pas et se rapprocha d'un de ces groupes vagabonds de morts-vivants errants sans réel but. Il ne fit pas non plus le fou, resta à dix mètres de distance... Mais avança dans la même direction qu'eux sans s'éloigner davantage. Et ce manège dura de longues minutes. Stiles ne fit pas le moindre bruit, n'eut à souffrir d'aucune maladresse, à tel point qu'il se dit que... Scott et les autres auraient été au mieux, impressionnés, au pire, fiers de lui. Car l'hyperactif, aussi brillant soit-il, avait tendance à se faire remarquer aisément tant il faisait de conneries, trébuchait... Or il était ici d'une précision exemplaire dans chacun de ses actes. Il était aidé de faire attention, dans la mesure où le moindre dérapage pouvait réveiller chacun de ces monstres... Et précipiter sa propre mort. Les pulsions quelque peu suicidaires de Stiles lui avaient d'ailleurs fait songer à cette idée. Mais s'il n'avait pas choisi d'être ici, l'humain comptait bien décider de la façon dont il mourrait. Et son décès, il le voulait sans douleur.

Stiles ne voulait pas finir déchiqueté par mille et un êtres à moitié décomposés, ne désirait pas non plus passer ses derniers instants à hurler, à supplier qu'on l'aide, à agoniser au sens propre comme au sens figuré. Stiles se figurait une mort rapide, efficace et sans aucune souffrance. Il n'y avait pas plus radical qu'une balle dans la tête et par chance, Newt avait une arme au QG. Une arme que Stiles n'emportait jamais, alors qu'elle lui serait très utile ici, à l'extérieur. L'on pouvait y voir la manifestation de son ambition mortelle, celle de ne pas forcément se défendre face au danger si celui-ci venait à être un peu trop important. A bien y réfléchir, les multiples paradoxes qui composaient la personnalité de Stiles ressortaient au fur et à mesure qu'il s'acclimatait à ce monde en perdition. Il s'interrogeait relativement peu concernant divers sujets liés à cela et... Il y avait des questions qu'il ne se posait plus du tout, pour la simple et bonne raison qu'il ne cherchait plus de réponses à rien.

Du bruit attira son attention. La troupe de Fondus la plus proche de lui s'excitait et semblait s'être momentanément sortie de cet état de mollesse transitoire. Stiles tourna la tête, entendit des couinements tout d'abord étouffés, puis strident. L'un des morts brandit quelque chose, un gros rongeur – un énorme rat. Son voisin le plus proche répandit le sang en arrachant purement et simplement la tête de l'animal avec ses dents. Les couinements cessèrent instantanément, mais pas l'exaltation de ces monstres morts, lesquels se partagèrent férocement ses restes dans une lutte à la violence inouïe. Stiles s'arrêta, regarda attentivement la scène. Il n'éprouvait pas la moindre émotion. Ni peur, ni dégoût. Rien. Je suis leur passé, ils sont mon futur, se répéta-t-il froidement. Lui aussi, il réduirait en charpie la moindre forme de vie qu'il entendrait passer parce qu'il aurait faim... Ou parce que l'appel du sang le maintiendrait fonctionnel – Stiles ne savait pas réellement comment ces choses marchaient et il n'avait pas la moindre intention de se renseigner à ce sujet. La scène avait quelque chose de surréaliste : un vivant qui observait des morts tuer non loin de lui, sans réagir outre mesure. Il était cassé.

Avec l'impression que sa conscience n'avait eu à pâtir d'aucune manière de cet évènement sordide, l'humain reprit son chemin comme si de rien n'était.

Sans un bruit, sans inquiétude. Presque serein, comme si le danger ne pouvait plus réellement l'atteindre.

Les passeursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant