Je file en direction de la cour, à la recherche d'un surveillant à alerter mais je dois vraiment avoir contrarié quelqu'un là-haut parce qu'aucun d'eux n'est en vue. Sacha me rattrape et me fauche les jambes sous les exclamations plus surprises qu'horrifiées des autres lycéens. Kilian nous rejoints en titubant, signe que j'ai frappé où il faut, et le visage déformé par la fureur. Cela dit je le comprends : ne jamais être repoussé par les filles n'aide pas à soigner son égo quand l'une d'elle décide de le rejeter. Il se penche sur moi et m'assène une gifle dont le claquement résonne longtemps dans ma tête.
— T'aurais dû y réfléchir à deux fois, idiote.
Je n'ai pas le temps de lui répliquer que c'était déjà tout réfléchi ou un autre truc du genre. Je n'ai que le réflexe de serrer mes bras autour de ma tête et de recroqueviller le reste de mon corps en position fœtale avant que les coups de poings et de pieds ne se mettent à pleuvoir sur moi par millions. J'ai mal, j'ai si mal... cette douleur et cette peur qui grandissent en moi alimentent mon cœur, raidissent mes muscles et renforcent mes os. Je sens une chaleur diffuse naître au creux de mon cœur aux battements désarticulés par la souffrance et la terreur. Cette sensation inconnue grandit à mesure que les garçons me battent, elle prend de la place, dans mon cœur, ma tête et se propage doucement à travers mon corps. On dirait une balle de tennis couverte de plumes chaudes, toutes douces... Un poing s'écrase sur mon ventre et m'arrache un cri. J'entends une fille cirer « Arrêtez ! » mais évidemment, aucun de mes agresseurs ne l'écoutent. Je me demande si quelqu'un est parti chercher un surveillant où s'ils sont tous rester pour profiter du spectacle de la pauvre petite lycéenne qui se fait rouer de coups par cinq gars en rogne. Soudain, je sens que ma petite boule de chaleur grossit subitement. Elle se tends, se déforme et cours dans mes bras jusqu'à atteindre le creux de mes paumes. La chaleur se fait plus intense et les coups de mes adversaires me paraissent plus forts. J'ai tellement mal...
Mes mains, jusqu'alors serrées en poings, s'ouvrent d'instinct et libèrent cette peur et cette souffrance que j'endure depuis si longtemps en une explosion de lumière aveuglante qui irradie la cour du lycée en un duo de violet et de magenta. Les hurlements des lycéens me ramènent à la réalité et le cligne des yeux, sous le choc et incapable de réaliser ce qui se déroule devant moi.
— L'internat, murmurais-je stupéfaite, je...
Le bâtiment des filles et le bâtiment des garçons brûlent comme un seul, le toit et les deux derniers étages arrachés par la lumière violette sortie de mes mains. Un hurlement strident s'élève parmi les décombres et une silhouette dévorée par les flammes apparaît dans le couloir sans toit. Bon sang ! Il y avait du monde à l'intérieur. La sonnerie de l'alarme incendie rugit dans les haut-parleurs tandis que des surveillants et des profs courageux courent vers l'internat, résolus à sauver les victimes. Au loin, la sirène caractéristique des pompier résonne dans les rues et je reconnais aussi celles du SAMU et de la police. Pendant que la moitié des lycéens filme les bâtiments en flamme, l'autre moitié, dont je fais partie, n'ose pas bouger un orteil, stupéfaits. Je suis toujours par terre, le derrière sur le béton de la cour, incapable de réaliser ce qui vient de se produire. Cette lumière aveuglante venait de moi. Elle est sortie de mes mains et a pulvérisé deux bâtiments presqu'entièrement.
— PLACE !
Je suis la seule à ne pas bouger et je manque de me faire piétiner par les pompiers. Je vois des policiers cadrer le périmètre de sécurité et quelques ambulanciers apporter des civières. Une demi-heure plus tard, je les vois se remplir petit à petit et mon cerveau compte machinalement : un, deux, trois... six, sept... Non, c'est trop. Je ne peux pas avoir fait autant de victimes ! L'internat est interdit d'accès sans autorisation d'un surveillant... sauf qu'on est vendredi, que c'est le dernier jours de la semaine avant les vacances, et que, comme chaque semaine, les internes ont exceptionnellement le droit d'y aller sans permission pour finir de boucler leurs valises. Quelqu'un me montre du doigt et un policier fronce les sourcils. Il rejoint son collègue et lui murmure une courte phrase que je n'entends pas. Mais même sans les avoir entendus, je sais que je suis dans la sauce. C'est moi la responsable de ce carnage, je vais finir ma vie en isolement, je devrais sans doute manger de la purée matin, midi et soir... Ah non ! Je suis trop jeune pour aller en prison. D'un bond, je me remets sur pieds et file en direction du seul bâtiment resté intact. Je dérape dans les couloirs mais réussis à ne pas tomber et gagne mon casier. J'y récupère mon sac de cours, j'enlève mes cahiers et je ne prends pas le temps de remettre le cadenas. Le sac à main n'est clairement pas la meilleure option pour la fuite mais je n'ai que ça sous la main et il est hors de question d'abandonner mon téléphone et mes papiers aux main de ces voleurs de lycéens. Je zigue-zague entre les voitures de polices et les camions des sapeurs-pompiers, courant à toute berzingue vers l'arrêt de bus le plus proche. Je montre dans le premier car qui stationne et paie ma place avant d'aller m'installer au fond. Je me recroqueville sur mon siège, pas rassurée à l'idée d'être entourée d'inconnus, surtout après ce qui vient de se passer. Le bus démarre et roule lentement en direction du centre-ville. Une chance... que j'habite à la campagne. Tant pis, je prendrais une autre ligne ou j'appellerai mes parents mais je préfère mettre le plus de distance possible entre le lycée et moi. Je sors mon téléphone et ouvre ma galerie photo. Je remonte vers les plus anciennes et tombe sur ma préférée. C'est une photo de moi, bébé, vêtue d'un body rose et d'un bandeau de la même couleur, endormie dans les bras de mon père. Ma mère est à côté de lui et ils me regardent tous les deux. C'est mon oncle qui a pris cette photo le jour où mes parents sont venus me voir pour la première fois. Ma mère ne peut pas avoir d'enfants et pendant longtemps, elle en a souffert, jusqu'au jour où mon père lui a proposé d'adopter. Je sais que je ne suis pas leur enfant biologique depuis le jour où je suis capable de comprends qu'un homme à la peau noire et une femme latino ne peuvent pas donner naissance à un cacher d'aspirine. Mais malgré le fait que je sache cela depuis toute petite, je n'ai jamais vraiment souffert de cette réalité. Oh, bien sûr, il m'est arrivé d'en pleurer et d'en vouloir à mes parents biologiques inconnus mais mes parents adoptifs ont toujours été là pour moi. Ils ont su me réconcilier avec cette famille que je ne connais, et ne connaitrait sans doute jamais, avec tant de douceur et d'amour que la vie à leurs côtés est la plus belle dont une enfant puisse rêver. Je soupire, un poids venant de quitter mes épaules lourdes. A chaque fois que je vais mal, je regarde cette photo : le regard rempli de joie et d'émerveillement de ma mère, celui de mon père, déjà sous le charme de la petite crevette endormie dans ses bras... Ce sont eux qui m'ont appelée Anaya. Dans la langue maternelle de mon père, cela signifie « celle qui redonne l'espoir ». Quand je l'ai appris, j'ai trouvé ça marrant parce que, selon mon oncle, ma mère a littéralement changé du jour au lendemain quand je me suis installée chez eux. Un mouvement du bus me coupe dans mes pensées et je remarque que nous sommes en plein cœur de la ville. Il faut que je descende maintenant si je veux avoir une chance de rentrer à la maison pour le déjeuner. Je remercie le conducteur en quittant le véhicule et étudie la carte pour choisir une ligne directe vers ma commune. Ça peut paraitre idiot, mais saluer un chauffeur de bus n'est pas anodin. Ma mère m'a toujours appris à dire merci aux gens surtout quand d'autres pourrait dire « ils font leur travail ». Ce n'est pas un dû, alors je dis merci et au revoir. C'est la politesse, la moindre des choses. Vous dites bien « au revoir » à votre prof avant de sortir de la classe, c'est le respect, alors pourquoi on ne dirait pas merci aux gens, en général, quand ils nous rendent service, même s'ils sont payés pour le faire ? Je réserve mon billet pour le retour à « casa » sur mon téléphone portable et m'assois sur le banc en métal. Brr... il est gelé. Enfin, je préfère un banc glacé plutôt qu'un, qui est recouvert de chewing-gum. Un grondement sourd se fait entendre et je mets un moment avant de comprendre qu'il s'agit de mon estomac. Je plaque une main sur mon ventre comme si cela pouvait étouffer les bruits disgracieux qui s'en échappent, et consulte l'horloge de mon portable. Je pousse un petit rire ironique : pas étonnant que j'ai faim, il est une heure moins le quart. Soit je me suis endormie dans le bus, soit j'étais top absorbée par la photo de mes parents à mon adoption que je n'ai pas prêté attention au fait que j'ai fait trois fois le tour de la ville. J'ai passé deux heures dans ce bus de malheur ! Oh misère... En parlant de bus, voilà le mien qui arrive. Je salue le chauffeur et les passagers et me déniche une place près d'une fenêtre. Cette fois, pas question de louper mon arrêt !
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Ushuara - La chasse a commencé (Tome 1)
FantasyUne jeune fille de dix-huit ans est qualifiée de TNT sur pattes, lorsqu'elle détruit accidentellement deux des bâtiments de son lycée. Fuyant les forces de l'ordre et les équipes du GIGN, elle va se retrouver plongée dans un univers totalement incon...