Chapitre 13

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Il fait nuit lorsque j'arrive à Lyon. Je me gare sur le parking d'une station essence, une boule dans la gorge. J'ai deux options : soit je remplis le réservoir de la voiture actuelle et je file vers une autre ville pour essayer d'en changer, ce qui me parait être l'option la moins risquée, soit je vole une nouvelle voiture maintenant, pour éviter de me faire rattraper. D'un autre côté, il y a beaucoup de monde ici donc j'ai plus de chances de me faire chopper si je vole une voiture plutôt que de l'essence. Je cogite pendant une bonne vingtaine de minutes lorsqu'un détail attire mon attention. Le propriétaire d'une Twingo vient de quitter son véhicule et se dirrige vers le comptoir de la boutique, sans doute pour aller payer. Je lorgne la voiture d'un mauvais œil : elle est où l'arnaque ? Il a laissé la portière ouverte et les clés sur le contact... Difficile de faire plus suspect. En même temps, ce n'est pas dit qu'une occasion de ce genre se présente à nouveau. J'étudie rapidement mes chances, puis décide de tenter le coup. Si ça rate, je devrais compter sur ma vitesse, euh... sur la chance plutôt. Je jette un regard circulaire autour de moi pour vérifier que personne ne me prête attention, attrape ma bouteille d'eau et le reste de mon sandwich, puis marche d'un pas tranquille vers la voiture. Si je me dépêche, les gens verront tout de suite que je n'ai rien à faire là. Il faut que je prenne mon temps mais c'est très difficile d'avoir l'air naturelle quand on a le crime en horreur. Enfin, en horreur, c'est vite dit : pour une fille qui déteste les criminels, je trouve que j'ai commis pas mal de délits ces derniers temps ! A ce propos... je n'ai toujours pas osé regarder la date. Je sais quel jour nous étions lorsque j'ai été enlevée mais j'ignore combien de temps exactement s'est écoulé depuis. Peu importe, j'ai d'autres préoccupations à l'heure actuelle, comme voler une voiture par exemple... Je m'installe au volent, ferme la portière et balance mes maigres possessions sur le siège passager avant de démarrer doucement. Je vois du mouvement dans la boutique et j'accélère aussitôt, juste avant que le propriétaire à l'air cochon ne sorte en courant, le visage rougi de rage et les bras s'agitant au-dessus de son crâne dégarni. Je file et me hâte de mettre le plus de distance possible entre moi et le lieu du vol. Je roule la fenêtre ouverte à cause de l'odeur du véhicule : un mélange de tabac, d'alcool et d'« épice ». A mon avis, l'ancien proprio est un amateur « d'herbes de Provence » ... Beurk. J'espère que ce « délicat » fumet ne va pas imprégner mes vêtements. Tout d'un coup, je pile pour éviter de cogner la voiture devant moi. Ah, Lyon... ses immeubles, ses restaurants... ses embouteillages... que du bonheur ! J'attends une heure, puis deux et enfin :

— Hallelujah !

Je tourne à gauche et m'extrais enfin de cet amas de véhicules au ralenti. Ouf ! Je commençais à me dire que la police du coin n'aurait qu'à venir me cueillir à la sortie de l'embouteillage mais maintenant que je m'en susi extirpée, je respire mieux. Un poids de plomb s'abat sur mes épaules lorsque le sifflement d'un sirène de police retentit au loin. Il fallait s'en douter : l'entreprise était très risquée. Je n'aurais pas dû chercher à traverser la ville. Il aurait mieux valu que je fasse demi-tour pour rapidement regagner l'autoroute. J'accélère et tourner à droite vers un grand axe d'où je pourrais sans doute regagner l'autoroute. Perdu. C'est un carrefour bloqué par un barrage de police. Je ne peux pas faire demi-tour parce qu'il y a d'autres policier derrière. Je suis coincée. Ils vont m'arrêter et me renvoyer dans cet endroit immonde ! Le sacrifice de Greg n'aura donc servi à rien. A moins que... Je me retourne et évalue les distances. Oui, c'est jouable. Je passe en marche arrière, ignorant le policier qui me demande de sortir de la voiture, la voix amplifiée par un mégaphone, et recule en trombe. Je m'arrête et abandonne la voiture en plein milieu de la route, histoire de les ralentir un peu, et m'engouffre dans une ruelle étroite créée par deux immeubles aux façades peu engageantes. Espérons que ce ne soit pas une impasse. Je tourne à gauche, puis à droite et de nouveau à gauche, choisissant les directions au hasard en fuyant aussi vite que mes jambes fatiguées et mon bras blessé me le permettent. Je quitte le dédale de ruelles et débouche sur une rue passante. Je me mets à marcher en baissant le nez et croise les bras pour soutenir ma blessure qui commence à me faire souffrir. J'avance lentement mais sûrement, légèrement rassurée de ne plus entendre les policiers à mes trousses. Un groupe de jeunes assis sur un banc attire mon attention. Ou plutôt : « le long blouson noir à capuche posé sur le dossier dudit banc attire mon attention ». Je m'en approche comme une ombre et tends discrètement la main vers l'objet de ma convoitise. Le vêtement glisse du banc et je me hâte de l'enfiler avant que son propriétaire ne remarque sa disparition. Je rabats la capuche sur ma tête et enfonce mes mains dans les poches, pile au moment où j'entends un « Hé ! » retentir dans la rue puis s'évanouir comme s'il n'avait jamais été prononcé. Le garçon a visiblement abandonné l'idée de revoir un jour son blouson. Un petit vent frais me force à resserrer les pans du vêtement volé avec mon bras valide. Je lève le nez furtivement pour regarder où je vais et mon regard se pose sur la croix verte clignotante d'une pharmacie. Le logo de la profession s'affiche, suivi de l'heure et... la date ? Nous sommes en mai ? Aurais-je passé plus de temps que je ne l'avais imaginé dans ce laboratoire ? Grégory m'avait prévenue que le temps passait plus rapidement lorsqu'on est enfermé. Mais tout de même... un mois entier ? Nous sommes le 28 mai et j'ai été enlevée le 12 avril, juste avant les vacances scolaires. J'ai passé quarante et un jours dans cet endroit maudit. Logique, ma foi : entre mon coma, les heures d'opération sous anesthésié générale et les calmants qu'on m'injectait à coup de fléchettes tranquillisantes, il est normal que le temps ait filé. Je repère une voiture de police au loin et effectue un 90° militaire avant de m'enfoncer dans la ruelle déserte et mal éclairée. Je continue tout droit, n'ayant pas d'autres options, et débouche sur une petite place formée par un trou entre les immeubles. Trois sans abris sont assis par terre autour d'un baril en feu. Ce sont tous des hommes vêtus à peu près de la même façon : longs manteaux, bonnets, chaussures trouées et barbe fournie mal entretenue.

Ushuara - La chasse a commencé (Tome 1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant