Chapitre 10

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Les lumières du corridor se sont éteintes, puis rallumées trois fois de suite sans que personne ne daigne s'enquérir de notre état. Greg gémit dans son sommeil toutes les nuits et la faim me tord l'estomac à tel point que des vertiges me montent à la tête dès que je me lève, m'assois ou me redresse un peu trop vite. Le minuscule évier présent dans nos cellules nous permet de rester hydratés et de calmer la faim durant quelques courtes heures mais plus le temps passe et plus notre situation devient insoutenable. Les vêtements que j'avais voulu garder ont disparus de sous ma couchette et je dois me contenter de cette chemise d'hôpital informe comme unique vêtement. Je me félicite néanmoins d'avoir refusé d'enlever mes sous-vêtements, ce qui aurait été franchement inconfortable, surtout pour une fille. Greg et moi nous occupons comme nous pouvons en inventant des jeux où en comparant nos répertoires musicaux. Tromper l'ennui n'est pas chose facile dans un endroit comme celui-ci et je commence à comprendre comment Grégory a pu tomber amoureux de Farah sans jamais la toucher ou l'avoir en face de lui : quand on se retrouve enfermé avec une autre personne, on en vient inévitablement à créer un lien fort avec elle. Soudain, les lumières aveuglantes du couloir disparaissent et sont remplacées par les LED disposées au ras du sol à intervalle régulier. Je soupire : encore un jour sans manger.

— Tu crois qu'ils essaient de nous punir ?

— Non, répond Greg d'une voix souffrante, ils veulent nous affaiblir pour nous faire passer le goût de la fuite et nous empêcher de recommencer.

Je grogne de frustration, n'ayant d'autre choix que de ronger mon frein en attendant que quelqu'un daigne nous apporter un peu de nourriture. Je compte les moutons, maintenue éveillée par la faim, pendant envions vingt minutes lorsqu'un panneau coulissant, que je n'avais pas remarqué auparavant, s'ouvre dans un cliquètement métallique. Un couloir à peine éclairé se révèle à moi, tel un gouffre sans fond, en plein milieu du mur, à l'opposé de la porte en plexiglass de ma cellule.

— Euh... Greg ?

— Oui, je sais : le couloir.

— Tu vois ce que je vois ?

— Ouaip.

— Et c'est déjà arrivé ?

— En dix ans d'existence ici, je n'ai jamais vu ce tunnel.

— Qu'est-ce qu'on fait ?

Il y a un silence, comme s'il réfléchissait.

— Tu es curieuse ?

— Oui. Et toi Greg ?

Je l'entends rire doucement et souris à mon tour.

— On y va alors, demandais-je, de toute façon il n'y a rien à faire ici, autant se dégourdir les jambes.

— C'est sûr qu'au point où on en est...

Le son de ses pas me parvient et je l'imite : avançant, non sans trembler, vers le couloir béant. J'inspire profondément au moment où je passe la limite entre le corridor et la cellule. Au pire, je pourrais toujours faire demi-tour. Mais au moment où mon pied quitte le sol de la cellule, la porte coulissante se referme d'un coup derrière moi. Je me retourne, terrifiée, et tâte le mur avec empressement, à la recherche d'un mécanisme qui pourrait me permettre d'ouvrir le battant. Je suis plongée dans le noir complet, affolée et en pleurs.

— Greg ? GREGORY !

J'ai beau hurler, je ne reçois aucune réponse. Je ne suis même pas certaine qu'il puisse m'entendre. Des larmes brûlantes coulent le long de mes joues et je me laisse glisser contre la paroi, désespérée. A chaque fois que je pense que ma situation ne peut pas empirer, le destin s'emploie à me prouver le contraire. Je ramène mes genoux sous mon menton et les entoure de mes bras, le front calé dessus. Je ne sais pas combien de temps s'écoule dans cette pièce minuscule et obscure mais plus je pleure, plus mon cœur s'allège d'un poids. Je repense à mes parents. Que font-ils ? Est-ce qu'eux aussi pensent à moi ? Et que leur a-t-on dit au sujet de ma capture ? Ils n'auraient jamais accepté que je me retrouve dans un endroit comme celui-ci. Les souvenirs de ce dernier jour de lycée me reviennent en mémoire et je me mets à hurler comme une dingue. Tout est de sa faute ! Si Kilian ne m'avait pas battue rient de tout cela ne serait arrivé ! C'est faux, bien sûr : mes capacités se seraient manifestées tôt ou tard, mais je suis trop jeune pour vivre tout cela. C'est trop à supporter pour Greg, qui a soixante ans, alors moi... une midinette à peine sortie de l'œuf, comme il dit. Comment suis-je censée assimiler ce qui m'arrive ? Je cale ma tête contre le mur qui soutien mon dos et renifle bruyamment. Le son produit par mon nez rebondit sur les murs de la pièce créant un écho qui revient vers mes oreilles.

Ushuara - La chasse a commencé (Tome 1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant