Chapitre 26

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Isaac refusait de quitter le chevet de Derek alors qu'il s'agissait précisément de ce que Deaton lui avait demandé. La salle d'examen du cabinet était relativement petite et le vétérinaire appréciait le fait d'en occuper l'espace dans son entier. Seul, il s'y sentait libre de ses mouvements, se permettait certains examens en se mettant à l'aise. Et le problème, c'est que l'angoisse du jeune mordu embaumait la pièce. Elle allait jusqu'à le contaminer lui... Alors qu'une sombre acceptation l'habitait jusqu'alors. Deaton n'entretenait véritablement pas beaucoup d'espoirs quant à la survie de Derek, qu'il avait toutefois placé sous machine. Mais Isaac lui transmettait malgré lui cette négativité-là, laquelle... Lui fit redouter l'inévitable qu'il voyait, quelques minutes plus tôt, comme la suite logique des évènements.

Derek était... Enfin, il avait subi de plein fouet une chute qui aurait dû le réduire en bouillie, broyer son visage... Déformer son corps de mille et une manières. Des os cassés, il en avait – ça, Deaton n'en doutait pas. Le reste relevait pour l'instant du miracle. Néanmoins, il n'espérait pas le moindre réveil de sa part. La machine qui lui facilitait la respiration, « prêtée » par l'hôpital de Beacon Hills – grâce à Melissa –, ne réussirait pas à elle seule, à braver l'impossible. Derek mourrait, ce n'était aux yeux du vétérinaire qu'une question de temps. Son regard dériva lentement vers Isaac. Le pauvre mordu n'accepterait sans doute pas cette réalité, laquelle était trop dure pour lui. Comment lui en vouloir ? Derek était celui qui, malgré ses méthodes au départ brusques et sauvages, l'avait sorti de l'enfer qu'était sa propre maison. Il lui avait offert une vie, des amis, de l'espoir... Une reconstruction possible. Derek, c'était pour lui un symbole de réussite malgré sa vie catastrophique. Il lui avait montré que tout était possible, qu'il pourrait toujours rebondir, quels que soient les chutes qui le mettaient à terre et ce, qu'importe leur durée.

Sauf que celle-ci avait des allures de dernière fois.

Deaton regarda un instant l'heure sur son téléphone. Une bonne heure plutôt, il avait échangé quelques messages avec Jackson et celui-ci lui avait promis de passer pour soutenir Isaac une fois qu'il serait certain que Stiles serait pris en charge à l'hôpital et en sécurité. Si l'entièreté de la meute avait recouvré ses forces, sans doute n'aurait-il pas attendu, mais... Il n'y avait eu que lui et une partie des chasseurs pour l'escorter en toute sécurité. L'autre était retournée auprès de Liam et des autres, lesquels restaient une cible de choix pour d'éventuelles autres familles de chasseurs ou... Le reste de la meute qui s'était attaquée à eux. Dans cette histoire, il valait mieux ne rien prendre à la légère.

Le vétérinaire se concentra et domina ses propres émotions, ainsi que cette angoisse qu'Isaac avait commencé à lui transmettre. Il se mit à réfléchir avec une logique si froide que l'on aurait pu le prendre pour un sociopathe si l'on pouvait accéder à ses pensées. Lydia, toujours à l'hôpital et dans un état trop peu encourageant pour qu'elle puisse reprendre conscience, n'était pas en capacité de faire profiter son don de banshee à la meute. Ainsi, difficile de pouvoir décompter à l'avance le nombre de morts hypothétiques – ce qui ferait gagner à tous un temps monstrueux. Si l'alpha de la meute qui avait précédemment kidnappé Stiles avait passé l'arme à gauche, l'on ne connaissait pas le nombre de têtes qu'il avait sous ses ordres. Et s'il en restait, il y aurait vengeance. Deaton partait donc du principe que, malgré ses valeurs à lui, il valait mieux se concentrer sur ce qui pouvait véritablement être sauvé. En outre, si Derek était destiné à mourir, si une autre personne devait le suivre... Autant concentrer les efforts communs sur le reste.

Ce raisonnement, bien que froidement logique et pragmatique, omettait un fait qu'il n'oubliait pas outre mesure. Stiles était un émissaire primordial et... Les tentatives de communication par le rêve, telles que Derek les lui avaient rapportées, était un signe de leur connexion.

Un signe plus que parlant du fait que Derek était le véritable alpha de cette meute.

Sa future disparition, si elle paraissait n'être rien de plus qu'une perte malheureuse, un sacrifice loyal... Entraînerait Stiles dans la spirale infernale d'une folie qui n'avait rien d'enviable à la mort. Pas tout de suite, bien sûr – la chose se ferait à moyen terme. Un émissaire primordial ne pouvait survivre sans le lien immatériel qui le reliait à son alpha. Techniquement, il existait un moyen pour palier à ce problème, mais dans la mesure où l'instinct de Stiles avait reconnu Derek en tant qu'alpha et non Scott... La chose risquait fort de s'avérer compliquée.

Et ça, Deaton ne voyait pas à quel moment l'apprendre à cette meute... Dont la majorité des membres n'était pas au courant de ce qu'il s'était passé, ni même du sauvetage de Stiles. Prévenir les uns et les autres n'était pas une priorité quand il s'agissait, de l'autre côté, de sauver une vie gâchée par la soif de pouvoirs de certains... Parce que Deaton en savait des choses. Entre son savoir passé et les appels qu'il avait eus avec Jackson et Chris... Les éléments, il les avait accumulés.

Si Stiles survivrait très certainement à cet enfer, il en garderait des séquelles. Qu'elles soient physiques ou mentales, elles ne le lâcheraient pas... Avant un moment, sans doute. Alors le vétérinaire s'efforça à commencer à réfléchir de façon un peu plus humaine tout en écartant de sa pensée cette idée de folie qui risquait fort de venir perturber la future potentielle guérison de l'émissaire. Stiles aurait tout autant besoin d'accompagnement que d'explications. Quant aux soins, la question ne se posait même pas – il ne faudrait toutefois absolument pas les négliger. Outre le pouvoir qui était en lui, Stiles restait un être vivant doué d'intelligence, de sensibilité et d'humanité. Et Deaton savait fort bien qu'il faudrait faire passer son bien-être avant la meute. Celle-ci avait grandi sans émissaire primordial, elle pourrait ainsi continuer d'avancer sans problème. Quant à la stabilité mentale de l'hyperactif, Deaton se promit de faire tout son possible pour la maintenir à un niveau satisfaisant. Cela ne serait sans doute pas facile et nul doute qu'il aurait besoin d'aide, mais il ferait au mieux.

Le vétérinaire retint un soupir lorsqu'il reporta finalement son attention sur Isaac dont l'air hagard ne laissait pas la moindre place au doute : un nouveau traumatisme avait rejoint les rangs des précédents. Ses yeux bleu ciel ne se décollaient pas du visage tuméfié de son mentor, lequel n'avait même pas commencé à guérir. Pour Deaton, il s'agissait du signe le plus démonstratif de ce qui s'ensuivrait, mais il choisit de ne rien dire à ce sujet. Mettre Isaac au-devant de la réalité n'était pas une bonne idée, du moins pas à l'heure actuelle. Inutile de le détruire plus qu'il ne l'était déjà. Puis de toute façon, il n'était pas prêt à l'entendre, cette vérité.

- Reste avec lui, je vais sortir une minute, décida Deaton.

Isaac ne réagit pas et le vétérinaire dut s'y reprendre à deux fois pour attirer son attention et lui faire entendre ses mots. Une fois que cela fut fait et qu'il eut obtenu un fébrile hochement de tête de sa part, Deaton le laissa seul avec Derek. Ferma la porte de la salle d'examen, sortit du cabinet en tant que tel.

Et laissa l'air frais du soir percuter sa peau de plein fouet.

La nuit promettait d'être longue.

L'Emissaire PrimordialOù les histoires vivent. Découvrez maintenant