Pour quelques mots de plus

Chapitre 1 - Les résultats

  19h59. Elle fixait l'écran de son ordinateur, le cœur battant. Les résultats allaient tomber d'une seconde à l'autre. Et alors, elle saurait si elle avait enfin réalisé son rêve : remporter le prestigieux prix de la Plume d'Or, le plus grand concours d'écriture de toute l'Europe. Elle jeta un coup d'œil à sa montre et rafraîchit sa page internet. Il n'y avait toujours rien.

  C'était la troisième fois qu'elle se présentait à ce concours, et c'était également sa dernière chance de le remporter, car chaque auteur était limité à trois participations. Le prix en jeu était d'une importance capitale à ses yeux : outre l'argent, c'était surtout la reconnaissance de ses efforts et la renommée qu'elle pouvait acquérir qui l'intéressaient. Elle avait travaillé si dur pour terminer son roman ! C'est une romance touchante, entre un prince et une princesse venant de deux royaumes ennemis et qui parvenaient à s'aimer malgré les querelles entre leurs familles. Une nouvelle version de Roméo et Juliette en quelque sorte.

  Nouveau coup d'œil à l'horloge, qui n'avait toujours pas avancée. Ses doigts tambourinaient avec impatience sur le clavier. Allait-elle remporter ce prix ? Ses talents d'écrivaine seraient alors reconnus par sa famille et peut-être que ses parents accepteraient enfin son choix de carrière, elle qui avait abandonné ses études de droit pour se consacrer à l'écriture. Et surtout, elle serait à la hauteur de leurs attentes, tout comme sa grand-mère, qui avait été la première femme à recevoir ce merveilleux prix des années plus tôt.

  20h. Liana sentit son cœur bondir dans sa poitrine. Les résultats étaient en ligne. D'une main fébrile, elle cliqua sur la page suivante pour les afficher, et une larme roula sur sa joue.

  Ce n'était pas une larme de joie, mais une larme de déception, qui fut rapidement suivit par d'autres. Des sanglots montèrent dans sa gorge, tandis qu'elle contemplait d'un œil absent le nom du gagnant affiché sur la page des résultats, et qui n'était pas le sien. Sa tristesse se transforma rapidement en une colère noire et elle referma son ordinateur d'un mouvement rageur.

  Elle se releva et embrassa du regard le minuscule studio dans lequel elle se trouvait. Il mesurait à peine douze mètres carrés et elle n'arrivait même pas à en payer le loyer. Elle n'avait que le strict minimum pour y vivre, car elle avait quitté la maison de ses parents suite à une énième dispute à propos de son choix de carrière. Elle leur avait promis de réussir dans l'écriture en remportant ce prestigieux prix, et s'était installée dans cet étroit studio pour poursuivre ses rêves.

  Mais elle devait se rendre à l'évidence : elle n'avait pas été à la hauteur. Son roman n'avait pas été sélectionné pour le prix, elle n'allait donc pas recevoir d'argent pour tout le travail qu'elle avait effectué. Elle ne se faisait pas d'illusions quant à une possible publication de son roman étant donné les nombreux refus qu'elle avait déjà essuyés. Une seule solution s'offrait à elle : abandonner cette voie et reprendre un travail, au moins pour pouvoir payer son loyer. Ce brusque retour à la réalité lui fit l'effet d'une gifle.

  Sa frustration était si grande qu'elle poussa un cri de rage et envoya valser d'un coup de pied rageur les quelques livres empilés à côté de son matelas. Elle déchira son manuscrit qu'elle avait imprimé à la supérette au bas de l'immeuble quelques heures plus tôt, imaginant pouvoir l'envoyer à un éditeur après avoir reçu le prix. Voir ses espoirs réduits à néant lui brisait le cœur. Elle s'acharna sur le papier jusqu'à ce qu'il n'en reste que des miettes.

  Alors qu'elle cherchait un nouvel objet sur lequel passer sa colère, son regard se posa sur le stylo avec lequel elle avait écrit son roman. C'était un stylo doré, avec une gravure sur le côté. Il lui avait été offert par sa grand-mère, quelques temps avant son décès. Un court instant, Liana sentit sa colère vaciller, puis elle réalisa soudain qu'elle n'obtiendrait jamais le même prix que sa grand-mère et une expression de douleur se dessina sur son visage.

  « Tout ça, c'est de ta faute ! » cria-t-elle à l'attention du stylo.

  D'un geste vif, elle envoya voler le stylo à travers la pièce. Il ricocha sur le mur d'en face et tomba au sol avec un craquement déchirant. Liana grimaça en entendant le bruit et devina que le stylo s'était cassé, mais elle n'eut pas le temps de le vérifier car toutes les lumières s'éteignirent au même instant. Elle sentit l'effroi monter en elle, puis se détendit en comprenant qu'il s'agissait d'une coupure de courant.

  Super...

  Elle se redressa et chercha la porte d'entrée à tâtons. Lorsqu'elle la sentit sous ses doigts, elle tourna la clé dans la serrure et abaissa la poignée. La porte s'ouvrit, mais ce que Liana vit la laissa sans voix.

  Sans qu'elle ne puisse se l'expliquer, ce n'était pas le palier qui se trouvait devant elle comme elle s'y attendait, mais une immense salle de bal éclairée du sol au plafond. Et pire que tout, une centaine de personnes était présente et dansait devant ses yeux.