Chapitre 23 - La dispute

6 2 0
                                    

Jusqu'à cet instant, Liana n'avait pas réalisé son imprudence. Elle avait visité le royaume en compagnie d'Alan sans aucune arrière-pensée. Après tout, il était le frère du prince et elle était la créatrice de ce monde, elle n'avait de compte à rendre à personne et Alan n'aurait jamais rien fait de répréhensible. Mais la fureur qui brillait dans les yeux de James indiquait qu'il pensait tout le contraire.

Il était venu trouver Liana dès son retour et l'avait emmenée jusque dans le petit salon où ils avaient pris le thé ensemble le jour de son arrivée. Ce n'est qu'une fois toutes les portes closes qu'il lui avait révélé ce qu'il avait sur le cœur : sa colère de la savoir en compagnie d'un autre homme pendant qu'il était au travail, sa frustration qu'elle ne lui ai pas demandé de lui faire visiter le royaume à la place d'Alan, sa déception face à son ingratitude... Il ne lui avait pas laissé s'expliquer et continuait à déverser ses reproches avec une ardeur inhabituelle, lui d'habitude si réservé. Son attitude trahissait son inquiétude, mais ses paroles étaient plus tranchantes qu'une épée.

Liana l'écoutait en se mordant les lèvres. Les larmes qui avaient coulé sur ses joues étaient déjà sèches et son cœur débordait de colère à présent. Elle jugeait les reproches de James terriblement injustes, lui qui était si froid et peu aimable avec elle, et qui n'avait pas de temps à lui accorder.

« Comment avez-vous pu partir toute la journée en compagnie d'un autre homme ? continuait à demander James d'un ton de reproche, alors qu'il lui avait déjà posé la question à son arrivée.

- Il s'agit de votre frère, répliqua Liana sur le même ton. Je ne pouvais pas refuser !

- C'est plutôt vous qui ne vouliez pas refuser, non ? »

Liana resta bouche bée. James la dominait de toute sa hauteur. Jamais il ne lui avait semblé aussi intimidant qu'en cet instant, la mâchoire contractée par sa fureur et les poings serrés. Lui qui gardait habituellement ses distances avec elle se trouvait à présent tout proche, à tel point qu'elle distinguait son pouls qui battait furieusement dans son cou et ses narines qui frémissaient de colère. Sans se laisser troubler par son attitude, elle articula lentement :

« Qu'est-ce que vous insinuez ? »

Il la dévisagea un long moment, semblant hésiter sur ce qu'il devait dire. Ses yeux brillaient d'inquiétude, ce qui intrigua Liana. Pourtant, les mots qui sortirent de sa bouche lui ôtèrent toute compassion :

« Vous pensez que je n'ai pas compris votre manège ? Vous passez plus de temps avec Alan qu'avec moi, et vous le dévorez du regard... »

De nouvelles larmes montèrent aux yeux de Liana qui réprima un hoquet de stupeur. Elle était trop bouleversée pour répondre. Elle n'arrivait pas à croire qu'il insinue une telle chose, et à voir la surprise qui se peignait sur son visage aux traites sculptés, il semblait tout aussi stupéfait qu'elle. Mais aucune excuse ne franchit ses lèvres. Il se contenta de contracter la mâchoire et d'observer Liana, dans l'attente d'une réponse.

Était-ce la jalousie qui le rendait aussi odieux ? Pourquoi se mettait-il dans une telle colère ? Lorsqu'il fit un pas dans sa direction d'un air menaçant, réduisant davantage la distance qui les séparait, la jeune fille eut un mouvement de recul et se retrouva acculée contre le mur derrière elle. Soudain, elle sentit la peur s'emparer d'elle.

Elle réalisa enfin la situation dans laquelle elle se trouvait : elle allait être mariée de force à un homme qu'elle n'aimait pas, un personnage qu'elle avait créé de toutes pièces mais sur lequel elle n'avait aucun contrôle, contrairement à ce qu'elle pensait. Elle allait devoir subir ses reproches, ses mystères, ses colères et sa jalousie en silence, enfermée dans son rôle d'épouse qu'elle n'avait pas choisi.

Allait-il essayer de contrôler ses fréquentations, ses sorties et même sa vie ? Lui ferait-il d'autres scènes semblables à celle-ci ? Il était plus grand, plus imposant et plus puissant qu'elle, jamais elle ne parviendrait à lui tenir tête. La jeune fille réalisa qu'au fond, tout les opposait, leurs croyances comme leurs modes de vie. Et rien ne pouvait justifier qu'elle accepte une telle situation.

« Vous avez raison. » lâcha-t-elle dans un souffle.

James plissa les yeux, attendant qu'elle précise le fond de sa pensée. Elle releva la tête d'un air de défi et planta son regard dans le sien tout en crachant avec colère :

« J'aurai mille fois préféré qu'Alan soit mon fiancé ! »

Ignorant le visage de James qui se décomposa à ces mots, elle le repoussa d'un geste brusque et s'enfuit du salon. 

Pour quelques mots de plusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant